Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Les néo-industriels, modèle pour réinventer notre outil productif ?

Plus de 300 personnes étaient au rendez-vous, le 20 septembre, de la deuxième édition des Rencontres pour une industrie durable et écoresponsable (Ride), organisées par le pôle EMC2 à La Baule, à l’intention des décideurs du secteur. Parmi les temps forts, une table ronde était consacrée aux néo-industriels. Morceaux choisis.

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Emmenés par le journaliste Clément Lesort, Sébastien Ecault (E-cobot), Olivier Lluansi (PWC Strategy&), Florence Baron (Bysco) et Julien Blanchard (HGCT) ont évoqué les enjeux des néo-industriels. ©IJ

Représentant à elle seule 20 % des émissions de CO2, l’industrie fait partie des secteurs les plus pollueurs. Mais elle peut aussi faire partie de la solution. Un message volontariste, porté depuis deux ans par les Rencontres pour une industrie durable et écoresponsable. Parmi les pistes identifiées, celle des néo-industriels pourrait bien, selon Olivier Lluansi[1], chargé d’introduire la journée, incarner cette renaissance industrielle tant attendue. « C’est une constante de notre nature humaine : on a besoin de récits, de mythes, de héros, on a besoin de personnes qui nous montrent le chemin », témoigne-t-il. Et pour l’expert, ces modèles ne peuvent être que des acteurs de terrain, des « faiseurs » : les néo-industriels.

Qui se cache derrière cette appellation un brin marketée ? Olivier Lluansi a commencé par dresser leur portrait. « Ce sont des hommes, des femmes, des jeunes et moins jeunes, qui se sont lancés dans des aventures industrielles, parfois sans être issus de ce monde. » Ce qui les caractérise ? « Leur volonté de renouveler le modèle industriel » pour répondre aux deux enjeux que sont l’environnement et la souveraineté, leur fort ancrage territorial, leur taille (soit des start-up, soit des PME) et leur maîtrise des codes du marketing et de la communication, égrène l’expert.

Une approche globale

Lors de la table-ronde, trois chefs d’entreprise étaient chargés de personnifier ces néo-industriels : Florence Baron, directrice générale associée chez Bysco, un fabricant nantais de matériaux biosourcés qui s’est fait connaître pour son utilisation du byssus de moule ; Sébastien Ecault, fondateur et dirigeant de E-cobot, acteur carquefolien de systèmes cobotiques à destination de l’industrie et Julien Blanchard, cofondateur et président d’Hoffmann Green Cement Technologies (HGCT), pionnier du ciment décarboné, implanté à Bournezeau (85).

Julien Blanchard, HGCT, Hoffmann Green Cement Technologies, Ride

Julien Blanchard, président de Hoffmann Green Cement Technologies – ©Benjamin Lachenal

S’appuyant sur l’analyse d’Olivier Lluansi, Julien Blanchard se retrouve dans l’ambition de rupture basée sur une nouvelle approche de conception des produits : « C’est exactement ce qui s’est passé quand on a conçu avec mon associé David Hoffmann nos nouveaux ciments sans clinker en 2015. On a essayé de penser ce projet dans son intégralité, aussi bien le produit que le process de production et sa commercialisation, afin d’être le plus vertueux possible. » Même ambition du côté de Bysco, qui a travaillé dès la genèse de l’entreprise sur les ressources, les process pour fabriquer de manière vertueuse, ainsi que la recyclabilité des produits.

Revers de la médaille, ces néo-industriels paient aussi chèrement leur innovation… « Il fallait y croire très fort, confie ainsi Julien Blanchard, car, à l’époque, on parlait très peu de CO2, encore moins de décarbonation de l’industrie. Il a fallu se battre au départ. » Et encore aujourd’hui : « Le marché est là, mais on doit aussi faire face au quotidien à un certain conservatisme des utilisateurs. C’est une notion à ne pas négliger quand on fait de l’innovation de rupture. » « Notre ambition, à terme, est de réindustrialiser la production textile en Pays de la Loire, évoque de son côté Florence Baron. Sauf que l’on a aujourd’hui du mal à trouver un sous-traitant industriel. »

Des obstacles, Sébastien Ecault a lui aussi dû et doit encore en franchir, le Covid ayant rebattu les cartes du marché de la robotique en accélérant « la disparition de champions, régionaux, mais aussi européens, rachetés par des Japonais, des Chinois, des Américains », évoque-t-il. Un contexte difficile, renforcé par le fait que « tous les capex[2] dans les années 2020-2022 ont été quasiment anéantis par les industriels et les capacités d’investissement des fonds locaux, atténuées ». Pour devenir un champion de demain, le chef d’entreprise rejoint Olivier Lluansi pour qui le redéveloppement de l’industrie nécessite une grande agilité, choisissant pour sa part le terme de « résilience ».

Lutter contre le « désamour industriel »

Autre problématique cruciale : celle de la main-d’œuvre. Pour Olivier Lluansi, en France, il faudra recruter en dix ans 130 000 personnes dans l’industrie afin de répondre aux enjeux qui l’attendent. Le problème, expose-t-il, c’est qu’actuellement, « sur 125 000 jeunes qui suivent une formation industrielle, la moitié ne va pas travailler dans l’industrie ». D’après l’expert, c’est le signe que cette voie de formation est encore suivie par défaut. « Le premier sujet, c’est comment créer des vocations chez les jeunes », estime-t-il, donnant au passage une piste : ouvrir les portes des usines pour montrer leur vrai visage et casser des stéréotypes qui ont la vie dure. Il invite également à tenir compte du fait que les Français ne sont pas mobiles, en formant dès lors « dans le territoire, pour le territoire ». Rebondissant sur ces propos, Florence Baron nuance : « Même si on est tout petits, on attire les jeunes. Pas sur les engagements de création de richesse économique ou d’engagement industriel, mais sur les engagements sociaux et environnementaux », souligne-t-elle.

Pour Sébastien Ecault, au-delà d’attirer les jeunes vers le secteur, l’enjeu est aussi de « réussir à motiver les gens à venir travailler, sachant que le taux d’absentéisme dans certaines industries est de plus de 25 % ». Ce « désamour industriel » constitue pour lui un véritable défi.

 Le financement, mère de toutes les batailles

Logiquement, la question des moyens financiers a été largement évoquée lors de cette table ronde. Sébastien Ecault le confirme : « le financement, c’est la première bataille. » « Il faut vraiment avoir les reins solides et faire de très grosses levées de fonds pour mener à bien et à terme ce type de projet industriel », pointe Julien Blanchard. « C’est extrêmement capitalistique, confirme Florence Baron. On avait très peu de moyens au départ, donc on construit pas à pas, en internalisant aujourd’hui la préparation de la fibre et en construisant nos outils afin qu’ils soient adaptés et très peu consommateurs d’énergie. » Aujourd’hui, la jeune entreprise prépare sa première levée de fonds prévue au premier semestre 2024 : « On cherche 1 M€ pour l’industrialisation de la préparation de la fibre et donner un gros coup d’accélérateur sur le commerce. »

« Le quotidien d’entrepreneur, c’est quand même le financement de l’entreprise et le paiement des salaires de ses collaborateurs, reprend le président de HGCT. En 2015, les banques traditionnelles ne nous ont pas fait confiance, ce sont des entrepreneurs vendéens, et notamment les familles Cougnaud et Briand, qui nous ont accompagnés et permis de financer la première usine qui a coûté 10 M€ pour faire la preuve du concept. On s’est introduits en bourse également fin 2019, on a levé au total près de 100 M€ pour financer notre déploiement industriel. » Olivier Lluansi, lui, identifie une solution pour soutenir la réindustrialisation : « Flécher l’épargne des particuliers sur notre outil productif suffirait à financer tous les projets », lance-t-il.

L’international, planche de salut des néo-industriels ?

Les Français en soutien du nouveau modèle industriel qu’ils appellent de leurs vœux ? Voilà qui semble logique. Sauf que, pour l’heure, le compte n’y est pas selon Sébastien Ecault : « Contrairement aux Allemands par exemple, nous aujourd’hui nous n’avons pas le choix : si nous voulons survivre, il faut d’abord commencer par l’international pour ensuite aller en France car ici, on en demande beaucoup à l’innovation. » « Il y a une vraie éducation à faire sur le marché », atteste Florence Baron.

Et Julien Blanchard de confirmer le rôle clé du marché extra-national, voire extra-communautaire, pour les néo-industriels. « Des étrangers nous font confiance, viennent capter l’innovation de rupture française et nous apportent une notoriété supplémentaire. On vient de signer un très beau contrat en Arabie Saoudite pour construire plusieurs usines dans le pays. On a signé le contrat en juillet et ils vont commencer la construction en janvier 2024. » Et de comparer : « Moi, il m’a fallu pratiquement 30 mois pour mener à bien toutes les autorisations administratives nécessaires pour lancer la construction de notre usine verticale. On est un très beau pays, mais avec énormément de freins quand on veut porter des messages de rupture », regrette-t-il.

[1] , Associé chez PWC Strategy&, enseignant à l’École des Mines de Paris et auteur du livre Les néo-industriels.

[2] Les Capex désignent les dépenses d’investissement de capital d’une entreprise comme l’acquisition d’immobilisations corporelles (machines notamment).