Comment êtes-vous d’abord devenu avocat d’affaires ?
Je suis fils d’agriculteur, originaire de la campagne, à La Petite-Boissière, près de Mauléon, dans le nord des Deux-Sèvres. Mon frère aîné qui n’avait pas fait beaucoup d’études a convaincu mes parents que ses frères et sœurs devaient en faire. Un premier a fait bac +2, j’ai fait un bac +5 et ma sœur un bac +7. J’avais conscience d’avoir une fibre relationnelle très forte, je voulais être commerçant. Après un bac option “techniques commerciales”, le professeur de droit convoque mes parents en leur disant que j’avais des capacités dans cette matière et qu’il fallait que je fasse des études de droit. Je me suis inscrit à Poitiers, en choisissant l’option commerce international.
Après mon service militaire je rentre dans la banque mais je donne très vite ma démission, pour aller en stop en Angleterre. Je travaille dans les bars, puis à l’Université de Bristol Polytechnic, à donner des cours de français et de droit français. Mon objectif était de parler anglais. J’ai fait ma place là-bas, pendant un an et demi. Quand je suis revenu, j’ai trouvé un job à Paris chez un avocat inscrit à la fois au barreau de Paris et celui de New York et puis dans un cabinet d’avocats d’affaires international qui m’a recruté lors d’un entretien entièrement en anglais pour faire du conseil en droit des sociétés et droit commercial. Là, j’ai appris le métier. Le dirigeant avait 30 ans et 12 collaborateurs. C’était une fusée, très organisé, super commercial.
Qu’avez-vous retiré de cette première expérience professionnelle ?
Ce que j’apprends souvent aux avocats aujourd’hui, c’est qu’ils ont trois casquettes. La première, celle de la production, connaître le droit, être un bon stratège. Bien sûr, il est indispensable de savoir faire des recherches, dire le droit, faire de la stratégie. C’est le point un. Point deux : pour être un avocat complet, il faut savoir, être gestionnaire, vendre les honoraires, gérer les relances, le cabinet. Le point trois, encore plus important, est le relationnel. Comment êtes-vous à l’intérieur, avec vos assistants, vos collaborateurs, comment vous les managez, comment vous prenez du temps avec les associés, pour parler entre vous ? Comment vous interagissez avec les gens à l’intérieur de votre structure ? Et avec l’extérieur ? Est-ce que vous savez aller chercher un client, aller serrer la main à un prospect, vous faire connaître, faire du rédactionnel, des petits-déjeuners ou des petits fours ? Tout ce côté relation extérieure est très important. Être un excellent avocat ne suffit pas s’il n’a pas de clients. Et si vous voulez associer des collaborateurs, ils doivent être de bons techniciens. Mais, en plus, soyez vigilants à ce qu’ils expérimentent la gestion et la relation. J’ai appris ces trois facettes du métier, technique, gestion et relations. Mais il y a encore des avocats qui ont à le découvrir. Ils ont été formés à faire du droit, mais beaucoup moins à savoir vendre des honoraires, gérer un client difficile, savoir dire non, gérer l’équilibre vie pro-vie perso. C’est cela être un avocat complet à mes yeux.
Et puis au bout de quelques années, j’ai eu besoin de vert. Je reviens dans la région nantaise en 1996.
Cela vous oblige à arrêter le droit du commerce international ?
Oui, mais c’était un choix de vie. Paris ne me correspondait pas et j’y travaillais à un rythme effréné. J’intègre un cabinet nantais de référence Eoche-Duval & Morand, pour faire du contentieux commercial. Au bout de 18 mois, je rejoins le cabinet de Yann Villatte. En 1999, je fonde mon propre cabinet, avec deux clients, dont le premier dépose rapidement son bilan et l’autre dont le gérant se fait remercier. En fait, j’ai développé ma clientèle par les déjeuners, par le relationnel, le face-à-face, à une époque où il y avait peut-être moins d’ouverture à l’autre. Je suis monté en puissance, avec toujours cette appétence pour le relationnel.
J’avais hérité du côté maternel ce que l’on appelle un “driver” : une injonction inconsciente pour se faire aimer de ses parents. Ma mère n’aimait pas attendre, elle n’aimait pas être en retard et me disait toujours : « Dépêche-toi ! » J’ai appliqué cela à mon travail et mes clients étaient, en premier lieu, contents de cette réactivité. J’ai mis en avant dans mon métier cette rapidité et je travaillais en flux tendu. Ma clientèle était surtout constituée de TPE-PME de la région. Ce que j’aime bien, ce sont les relations en face-à-face et se sentir utile aux autres. On me disait déjà à l’époque que j’étais un coach qui s’ignorait… Il est vrai que j’avais cette approche d’écoute tournée vers l’amiable ; je recherchais le compromis, plutôt que le procès. On s’est développés, on a racheté un cabinet, et associé quatre collaborateurs. Nous étions 14 personnes quand je l’ai quitté.
Pourquoi quitter ce métier d’avocat qui marche alors très bien ?
Je m’intéressais depuis au moins cinq ans à la méditation. En 2017, j’ai 52 ans, je fais une retraite de dix jours dans les Highlands (Écosse) dans un monastère bouddhiste, même si je ne suis pas bouddhiste. Quand je reviens j’ai l’impression de marcher à un mètre au-dessus du sol. Je me mets devant mon ordinateur et, sans stress et sans violence, je me décide à changer de métier. Parallèlement je suis bénévole au sein de 60 000 Rebonds¹. Cette association m’a beaucoup apporté. J’y participais en tant que parrain, puis en tant qu’expert, car je connaissais bien le droit des cautions bancaires et des dépôts de bilan. Au sein de l’association, j’ai pu voir le rôle bienveillant des coachs. L’avocat se bat pour la justice et le coach aide les gens à aller vers la paix. Ce n’est pas la même chose. Cela a été un virage où je suis passé d’avocat, bras armé d’une justice qui tranche des conflits, j’en avais vu d’ailleurs beaucoup entre associés, à un accompagnement vers plus de sérénité. C’est ce que j’ai vu chez les coachs qui accompagnaient les dirigeants à 60 000 Rebonds.
De temps en temps, il faut faire un pas de côté, pour regarder comment fonctionne votre cabinet ou votre entreprise
Vous avez alors décidé de suivre une formation professionnelle de coach ?
Oui, durant un an et demi. C’est un travail en profondeur qui secoue. Qui amène à une introspection personnelle, voire à une certaine spiritualité.
Il y a toujours un juste équilibre : aime ton prochain comme toi-même et je rajoute : « Et de grâce commence par toi ». Ce n’est pas aimer son ego, c’est aimer ses qualités propres, voir ce que je fais de bien et non les choses qui ne vont pas. De temps en temps, il faut faire un pas de côté, pour regarder comment fonctionne votre cabinet ou votre entreprise. Vous ne travaillez plus dans votre entreprise mais sur votre entreprise. Vous réfléchissez à où vous allez, où vous en serez dans trois ans… En ayant la tête toujours dans le guidon, si vous ne prenez pas ce temps, avec un coach, vous ne saurez où vous allez avec précision. Vous organisez vos vacances à l’avance pour savoir où vous allez. Faites pareil avec votre cabinet ou votre entreprise ou votre vie… Et c’est bien de le faire avec un coach professionnel qui connaît les contraintes des professions libérales.
C’est un sacré challenge de quitter une profession confortable pour se lancer dans cette activité ?
J’applique alors les trois P. Celui de “Protection” : savoir si financièrement cela peut tenir un moment, par exemple si votre conjoint vous suit. Ensuite, il faut se donner une “Permission”, l’autorisation d’y aller. Enfin, il y a celui de la “Puissance” de l’enfant qui reste en nous, d’aller chercher ses vraies qualités. J’aime beaucoup la phrase : « Tout ce que tu souhaites est au-delà de tes peurs. » Tout ce champ de possibles, de libertés, de changer de métier, d’être coach, d’être utile différemment, tu n’y iras jamais si tu ne dépasses pas tes peurs.
Quels ont été vos premiers clients ?
Le premier a été un chef d’entreprise qui était un client quand j’étais avocat. Puis rapidement j’ai eu des clients dans le domaine des professions libérales, principalement les avocats, puis les experts-comptables, aujourd’hui des médecins, que j’accompagne. Cette clientèle s’est aussi faite par des formations que j’animais sur la confiance en soi, sur la communication non-violente, sur la question de la facturation…
Cette question de la facturation revient souvent ?
C’est surprenant, mais parfois des avocats de 15 ans de métier me disent qu’ils se mettent en apnée quand il s’agit d’aborder la facturation. Certains sont mal à l’aise. J’aborde avec eux certaines questions. Est-ce que j’ai de la valeur et est-ce que mon travail a de la valeur ? Est-ce que dans un équilibre “je donne-je reçois”, il ne faut pas de la même manière un équilibre entre les prestations fournies et les honoraires perçus ? Pour recevoir une juste rémunération, il est important d’avoir confiance en soi, de se reconnaître comme suffisamment compétent et d’admettre que l’on a mérité une contrepartie financière pour son temps, ses efforts, son implication.
Précédemment, il y avait peu de formations des avocats ou des professionnels sur ces points-là. Je développe notamment ces aspects dans les coachings individuels et collectifs.
Au début, votre cible n’était pas les professions libérales ?
C’était plus le chef d’entreprise. Les avocats/notaires/experts-comptables sont aussi des chefs d’entreprise mais il est vrai qu’ils préfèrent avoir comme interlocuteur quelqu’un qui connaît les particularités de leur métier et celui de leurs collaborateurs. On va voir un coach pour deux raisons : soit parce que l’on va bien et que l’on veut l’entretenir et aller un peu mieux, soit parce que l’on ne va pas bien et que l’on cherche des zones de progrès. J’entends souvent : j’aime bien mon métier, mais je déteste la manière dont il m’envahit, dont je l’exerce, dont il me réveille la nuit.
Quelles sont les solutions ?
L’une est très simple et résulte de la question : qui prendra soin de toi si tu ne le fais pas ? On ne peut pas demander à son conjoint ou à ses clients de le faire. On en revient à l’équilibre. On ne peut pas faire de plus beau cadeau aux gens que l’on aime que d’aller bien. Parfois, j’interroge le chef d’entreprise : qui est le patron dans ta boutique ? L’un d’eux m’a avoué ne pas savoir ce qu’il faisait le 24 décembre, me répondant : « Cela va dépendre de mes clients ! »
C’est toute la question du triptyque : sens, cohérence et récompense. Est-ce que ma vie a du sens, mon travail a du sens ? Où est-ce que je vais ? Puis vient la question de la cohérence entre mes valeurs et mes actes. Et enfin la récompense : est-ce qu’à court terme, j’y prends du plaisir ? Est-ce qu’à moyen terme, cela fait appel à mes talents ? J’échangeais avec un bâtonnier qui me demandait si je me sentais aligné comme coach à accompagner les avocats. Après ma réponse positive, je l’ai interrogé à mon tour et il m’a répondu que comme avocat il se sentait à sa place. J’ai trouvé cela superbe. La question est de savoir si on se sent à sa place. L’un des critères pour le juger est de voir si ça fait sens et si l’on prend du plaisir à le faire. Si la réponse est oui : il faut continuer…
Dans un climat actuel plutôt anxiogène, comment voyez-vous les chefs d’entreprise d’aujourd’hui ?
Il y aurait deux extrêmes. Les gens d’un certain âge, pour qui la valeur “travail” a toujours été centrale et qui peuvent aller jusqu’à penser qu’ils existent par celui-ci. Ceux-là, surtout s’ils sont perfectionnistes, peuvent être en souffrance, tellement il y a d’injonctions à porter. Il faut les accompagner pour un réajustement bénéfique en s’écartant de l’illusion qu’est la perfection. À l’opposé, les plus jeunes pour lesquels le sens est incontournable. Ils vont se mettre très rapidement à leur compte plutôt que d’aller travailler pour un patron. J’accompagne des cadres d’entreprises, de structures d’avocats, ou cabinets d’experts-comptables, qui peuvent être en souffrance car ils ont des impératifs qu’ils n’arrivent pas, selon eux, à gérer de manière satisfaisante.
Lors d’un coaching professionnel, on parle également de l’équilibre vie perso-vie pro. Prendre soin de soi en se ménageant, que ce soit par le silence ou par le vide. Un poème dit « D’une motte de glaise on façonne un vase, ce vide dans le vase en permet l’usage »… J’invite les gens que j’accompagne à ne pas en prendre trop…
À mes yeux il y a deux raisons de vivre : être heureux et chercher à s’épanouir d’une part, et d’autre part, contribuer humblement au bien commun
Vous ne regrettez donc pas votre changement de direction ?
Aujourd’hui, ce n’est plus un métier, c’est une activité où j’ai reçu plus de mercis en six ans qu’en 25 ans d’avocat. Je me suis rapproché de ma raison d’être. À mes yeux, il y a deux raisons de vivre : être heureux et chercher à s’épanouir d’une part, et d’autre part, contribuer humblement au bien commun. Cet accompagnement : c’est un espace d’écoute, d’attention à soi. Le premier pas vers le changement, c’est de prendre conscience de son fonctionnement et le deuxième, c’est l’acceptation. « Accepter ce qui est », a dit Bouddha. Accepter ce que je ne maîtrise pas. Il dit même : « Laisse aller ce qui était et aie confiance en ce qui sera. » Le lâcher-prise porte sur ce que je ne peux changer. Pour un avocat, cela va être par exemple comment réagit un confrère, un client, le juge, le contexte jurisprudentiel. Il faut l’accepter. Et puis, plus proche de moi, il y a ce que je peux changer. À ce titre, il me faut sans doute du courage, pour expliquer ma position au confrère, pour monter dans les tours pour le compte d’un client… Et là, le maître mot est de « faire de son mieux », dans les limites de mon temps et de mon équilibre. C’est le quatrième accord toltèque, qui ne serait plus “faire toujours de son mieux” mais “faire juste de son mieux”.
On pourrait également se référer à Sénèque qui résume cela : « Que la force me soit donnée d’accepter ce que je ne peux changer, le courage de changer ce que je peux changer. Et la sagesse de distinguer les deux. »
Pour terminer, et puisque nous sommes en face-à-face, je vous partage une citation que j’apprécie énormément :
« Quel est le moment le plus important ? C’est maintenant.
Quelle est la personne la plus importante ? Celle qui est en face de moi en ce moment.
Quelle est la chose la plus importante à faire ? Être pleinement avec celle-ci. »
1 Depuis 2012, l’association 60 000 Rebonds accompagne les entrepreneurs ayant perdu leur entreprise. Ses bénévoles se sont donné pour mission d’aider ces entrepreneurs à se reconstruire personnellement et à rebondir vers un autre projet professionnel par le biais d’un accompagnement gratuit d’une durée de deux ans maximum.