Faire la transition écologique sans mener de révolution technologique. À l’heure de la greentech et du numérique triomphants, la proposition peut paraître incongrue, surtout en provenance d’Atlanpole, la référence de l’innovation à Nantes. C’est pourtant bien le contre-pied pris par la technopole et ses invités, en clôture de la 11e saison de l’Eco Innovation Factory, programme d’accélération, axé sur l’environnement.
À cette occasion, entrepreneurs et chercheurs, réunis pour parler d’innovation verte, se sont retrouvés sur un même message : pour régler la crise climatique, il n’est pas toujours utile d’inventer de nouvelles techniques, car parfois les solutions existent déjà sous nos yeux.
Exemple le plus frappant, celui d’Erwan Hamard. Pour cet ingénieur en génie civil de l’Université Gustave-Eiffel, aucun doute : la terre crue, mélange de terre, de sable ou de gravier et d’argile, utilisée depuis 10 000 ans, sera le « matériau du futur » dans le bâtiment ! Une certitude bâtie sur un constat : « Aujourd’hui, le BTP creuse des trous pour en sortir les granulats nécessaires à la production du béton utilisé en ville. Puis, il les remplit avec les terres d’excavation de ces chantiers. Cela n’a pas de sens : il faudrait plutôt réemployer ces terres, là où elles sont extraites. »
Transformer ce déchet encombrant en ressource abondante est loin d’être une démarche utopique. Nathaniel Beaumal en a déjà fait une réalité économique. Depuis six ans, son entreprise Terra Innova, basée à Vertou, récupère les terres du BTP pour « en refaire du sol et du paysage agricoles, au lieu de les évacuer en décharge ou en remblais. Bref, on crée de la valeur en utilisant la matière intelligemment », justifie, en connaissance de cause, cet ancien conducteur de travaux.
Le défi de la low-tech et l’obstacle de l’acceptabilité
Ces approches à partir de l’existant n’empêchent pas l’innovation produit. Fonto de Vivo a ainsi mis au point un purificateur d’eau, fondé sur « une technologie d’ultrafiltration qui existe depuis longtemps », admet le cofondateur Anthony Cailleau. « Mais on l’a mise dans un système compact et on a breveté un dispositif de maintenance. Ce rétrolavage permet d’utiliser l’appareil en toute autonomie pendant au moins deux ans. »
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Avec ce produit humanitaire, l’entreprise nantaise s’est inscrite de facto dans une logique low-tech. Comprendre une technologie légère, fondée sur des principes d’utilité, de durabilité et d’accessibilité. « L’Ademe y ajoute deux critères, l’autonomie et le local », complète Jean-Marc Benguigui.
Problème, selon cet enseignant à Centrale Nantes, pour réaliser leur potentiel écologique, les entreprises de la low-tech doivent se départir de « l’image de bricoleur » qui colle à leur peau. « Leur enjeu est de rendre leurs objets industrialisables, pour que tout le monde puisse y accéder. » Anthony Cailleau enfonce le clou : « Le process industriel nous oblige à reproduire toujours le même standard, et donc à certifier notre produit. »
Un gage de qualité, de sécurité… mais, certainement pas d’acceptabilité. C’est pourtant là que le bât blesse, à en croire tous les intervenants. Pour que ces initiatives fonctionnent, encore faut-il que les utilisateurs en soient convaincus et, a fortiori, n’y soient pas opposés. Une évidence autant qu’un défi, quand l’innovation durable vient bousculer les habitudes établies.
Il en va ainsi de la terre crue. Elle imposerait au BTP des contraintes à rebours de ses usages. « On subit le matériau, car on doit l’utiliser tel qu’il est », explique Erwan Hamard. « On renverse donc la manière de pratiquer le chantier : c’est au maçon de dire quel bâtiment il est capable d’en tirer, et non à celui-ci d’adapter sa matière au dessin de l’architecte. »
L’innovation devient humaine
Dans ces conditions, l’innovation n’est plus technique, elle devient humaine. « Il s’agit de trouver comment faire accepter ce matériau d’un point de vue réglementaire, assurantiel, économique », énumère le chercheur. Mais changer de cadre n’y suffira pas, si les mentalités ne suivent pas non plus. La terre crue pâtit ainsi « d’une image plombante » de matériau des pays pauvres, déplore Erwan Hamard.
Las, ces réticences peuvent parfois se révéler rédhibitoires. « On se fait retoquer énormément de projets », regrette Nathaniel Beaumal. « Le principal fléau pour la transition écologique, en conclut-il, est dans cette idée du « not-in-my-backyard » : votre projet est bien, mais je n’en veux pas chez moi. » Façon de dire que pour sauver la planète, l’innovation se jouera décidément moins dans la tech que dans les têtes.