Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

La RSE, par conviction ou intérêt ?

Les entreprises s’engagent-elles dans une démarche de responsabilité sociétale pour se donner bonne conscience, faire plaisir à des consommateurs de plus en plus soucieux de leur environnement et ainsi mieux vendre leurs produits, ou par conviction et en accord avec leurs valeurs intrinsèques ? Telle est, en substance, la question posée lors d’une conférence organisée par la Chambre de commerce et d’industrie de Vendée, le 19 septembre, à La Roche-sur-Yon.

RSE, conférence, Christian Guellerin, CCI, Vendée

Christian Guellerin, directeur de l'Ecole de design de Nantes, participant à la conférence " RSE : est-ce qu'on nous raconte des salades?". ©IJ

“RSE : est-ce qu’on nous raconte des salades ? “ C’est par cette formule accrocheuse et décalée que la Chambre de commerce et d’industrie de Vendée a choisi d’aborder ce sujet incontournable mais qui parfois divise. Quelles raisons poussent en effet les entreprises à s’engager dans cette démarche de responsabilité sociétale et le font-elles toujours pour de “bonnes“ raisons ? Une certitude : la RSE est la deuxième préoccupation la plus forte des entreprises ligériennes, juste derrière le sujet de l’énergie, et 52 % des entrepreneurs vendéens qui rencontrent des conseillers CCI souhaitent avoir plus d’information sur le sujet[1].

« Une tartufferie »

Cécile Esvan, responsabilité sociétale, RSE, Vendée, CCI

Cécile Esvan, directrice de l’Institut de la responsabilité sociétale par l’innovation. ©IJ

Pour y voir plus clair, Cécile Esvan, directrice de l’Institut de la responsabilité sociétale par l’innovation (IRSI), basé à La Rochelle, rappelle d’abord que « depuis les années 1970, les enjeux de sobriété sont bien identifiés » et que logiquement, à partir de cette époque, la question de la RSE et de sa raison d’être a fait débat parmi les grands économistes.

« L’Américain Milton Friedman écrivait en 1971 que la première – et la seule – responsabilité des entreprises, c’est de faire du profit puisque l’État s’occuperait de la dimension sociale et environnementale. A contrario, son compatriote Dennis Meadows affirmait qu’on ne pouvait pas continuer à croître sans tenir compte des limites planétaires. Cette dimension, ainsi que la démographie dans laquelle nous sommes aujourd’hui, obligent forcément les entreprises à repenser les choses différemment. »

Christian Guellerin, directeur de l’École de design Nantes Atlantique, juge, lui, que la RSE est une « tartufferie ». « Je ne suis pas contre la RSE, mais contre l’usage que l’on en fait. » Pour illustrer son propos, il pointe « l’ambiguïté de certains chefs d’entreprise qui vont trop loin dans leur discours et se tirent une balle dans le pied ».

« Je me souviens d’Emmanuel Faber, PDG de Danone de 2017 à 2021. Le jour où il est intronisé, il dit que Danone va sauver la planète. Ce jour-là, dans l’hôtel où je me trouvais, il y avait une bouteille plastique  d’Evian (marque du groupe Danone, NDLR) en face de moi. Cela m’interpelle forcément car l’empreinte carbone de cette bouteille est en totale contradiction avec le discours du PDG. Par ses mots, il venait tout simplement de s’interdire de vendre ces bouteilles à travers le monde et s’obligeait à les livrer dans un rayon de 20 km, à cheval , pour avoir un bon bilan carbone », ironise Christian Guellerin.

Or, poursuit Christian Guellerin, « une entreprise, c’est fait pour générer de la valeur ajoutée. Elle conçoit et vend des produits par intérêt et non pas par devoir. Par conséquent, vouloir à tout prix moraliser le capitalisme est vain et contre-nature car le capitalisme est un système où l’argent produit de l’argent. Ce que je veux dire, c’est que la responsabilité d’une entreprise n’est pas de sauver la planète, mais de répondre à l’émergence d’une conscience sociétale et environnementale des consommateurs. Attention cependant à ne pas tomber dans une course à la vertu. »

« Une dimension collective »

« Il y a des entreprises qui s’engagent concrètement, pas simplement en parole, et qui font évoluer leur modèle de production, tempère de son côté Cécile Esvan. Ce n’est pas simple, mais c’est possible. Aller vers une économie de fonctionnalité, d’usage ou circulaire peut être l’une des options à envisager. » Elle estime, par ailleurs, que la « RSE est un projet collectif dans lequel on doit tous embarquer en même temps : entreprises, investisseurs et consommateurs. C’est l’affaire de tous. »

[1] D’après une campagne téléphonique menée par la CCI Pays de la Loire dans le cadre de France Relance.