D’où venez-vous ?
Je suis originaire du Nord où j’ai grandi ; une région toujours très chère à mon cœur. Mon papa était de Tourcoing, ma mère de Roubaix, des familles d’entrepreneurs industriels du textile. J’y ai fait ma scolarité puis je suis parti à Grenoble pour des études de commerce à l’École de Management. J’ai adoré cette région Rhône-Alpes. Beaucoup de mes amis partaient en coopération à l’époque mais j’ai saisi l’opportunité de vraiment faire autre chose. Le service militaire m’a attiré, je l’ai fait bien et à fond, comme officier. Je me suis ensuite rengagé pour douze mois. J’y ai appris les premières règles de management et j’ai apprécié la rencontre de tous les milieux. Je suis parti en Afrique, dans l’artillerie au sein de la Force d’Action Rapide. Il s’agissait d’expliquer et de convaincre plus que de faire « péter » les galons comme on disait. Le manager doit s’adapter aux individus auxquels il a affaire. Il y a bien sûr un cadre et des règles que chacun doit connaître, mais manager, c’est avant tout comprendre la spécificité, la particularité d’un individu pour faire en sorte qu’il ait le meilleur environnement pour exprimer ses talents tout en respectant le collectif. Le manager est là pour faire respecter une équité, non une égalité. Je pense que l’humanité est faite de différences, de fragilité, d’excellence. Le manageur doit jouer avec tout cela et être le plus équitable possible. J’ai appris cela à l’armée, y compris en prenant des coups. Si on met les gens en situation d’être responsables et autonomes, du moment que l’on a une vision globale et que l’on s’assure qu’ils atteignent leurs objectifs, on n’est pas obligé de savoir faire à leur place.
Comment êtes-vous devenu entrepreneur ?
C’est l’histoire de TMC Innovation : donner un environnement qui permette aux hommes et femmes qui y travaillent de s’épanouir. J’aime cette phrase : « L’art le plus difficile n’est pas de choisir les hommes mais de donner aux hommes que l’on a choisis toute la valeur qu’ils peuvent avoir. » Cela résume mes convictions de manager. Faire avec un collectif et incarner sa vision et sa dynamique mais en étant toujours au milieu de celui-ci pour qu’il soit le meilleur possible.
Après l’armée, j’ai intégré un grand groupe de distribution de matériel électrique, leader mondial, Sonepar, où j’ai franchi progressivement tous les échelons. Je suis plutôt un diesel, je ne suis pas explosif. Pour me mettre en confiance, il faut que je fasse et refasse les choses. Et je suis prudent. Une fois que je suis en confiance, je peux gravir un échelon supplémentaire. À 40 ans, directeur général d’une des filiales du groupe (Socolec au Mans) depuis cinq ans, j’ai eu envie d’autre chose. J’ai ressenti le besoin d’être patron de ma propre boîte pour être à l’origine de la création de valeur.
Je me suis alors dit que c’était le bon moment. C’était un objectif que j’avais fondamentalement. Je suis descendant de patrons chrétiens. Dans la Bible, il y a la parabole des Talents : quand on a reçu de la confiance et des moyens, il faut s’en servir ! Cela n’a pas été facile au début. Matériellement, je peux encore me poser la question de savoir si cela a été un bon choix car j’ai mis beaucoup de temps à retrouver l’équivalent du salaire que j’avais comme dirigeant salarié. Pendant six mois, mon ami Dominique Goubault m’a prêté un bureau dans son imprimerie pour me mettre à la recherche d’une entreprise à reprendre. Je n’étais pas un créateur. Je n’avais pas d’idées préconçues. J’ai étudié plusieurs dossiers dans des domaines très différents. Pour moi, l’entreprise est un moyen et non une fin : un moyen de s’épanouir et d’épanouir les autres et de créer de la valeur. J’avais envie d’être dans la fabrication plutôt que dans le service.
Je pense que le gars qui se met à son compte n’est pas complètement lucide et rationnel sur la situation. Il a tellement envie qu’il y a des trucs qu’il ne voit pas »
Vous reprenez un fonds de commerce qui devait fermer !
En 2006, on est en pleine croissance, les entreprises étaient très chères. Je n’avais pas les moyens et une trop grosse dette senior à mettre en place. Je n’avais pas envie d’être motivé par le remboursement. J’ai choisi d’acheter quelque chose qui ne valait rien et de tout refaire. J’ai repris un fonds de commerce ayant très peu de valeur car il devait fermer. Le propriétaire voulait s’en débarrasser. Il y avait six chaudronniers, plus de clients, plus trop de produits. On est reparti de zéro avec TMC qui voulait dire Tôlerie Mécanique Chaudronnerie. Dès le début, j’ai eu une associée salariée, Sandrine Têté, sans qui je n’aurais pas fait ce pari fou. Personne n’attendait une nouvelle boîte sur ce marché très concentré, très concurrentiel et très mature. Ce n’était pas gagné.
Vous le saviez pourtant…
Je pense que le gars qui se met à son compte n’est pas complètement lucide et rationnel sur la situation. Il a tellement envie qu’il y a des trucs qu’il ne voit pas. Sinon tout le monde ferait ce qu’il fait. On n’avait pas imaginé que ce serait si difficile. J’ai beaucoup misé sur le marché de l’aménagement de l’espace public. On aura toujours besoin d’embellir nos espaces, d’avoir un bon et beau cadre de vie. Par notre mobilier urbain, nous voulons rassembler.
L’aménagement de l’espace urbain en France est peu délocalisable et aura toujours de l’avenir. Je ne regrette rien. Aujourd’hui, nous avons trois personnes pour la recherche et l’innovation. C’est formidable car nous avons, dans cette entreprise, beaucoup misé sur les jeunes et bénéficié d’eux.
Quels conseils donnez-vous à ceux qui veulent reprendre une entreprise ?
Premièrement, mesurer la profondeur de la détermination que l’on a de devenir entrepreneur à son compte. Si elle n’est pas forte, profonde, ancrée, si c’est juste une envie, un idéal de devenir patron, cela peut être très risqué. Dans les moments difficiles, on passe les épreuves quand on est profondément sûr qu’on l’a fait par conviction, par passion et que ce projet entrepreneurial, c’est nous.
Deuxièmement, l’environnement familial doit nous supporter dans cette démarche.
Troisièmement, il faut être accompagné, car seul on ne voit pas tout. Il faut avoir des conseils, la base avocat, expert-comptable, pour être sûr d’avoir la bonne vision.
Aujourd’hui, nous sommes 23 personnes et nous réalisons 4 M€ de chiffre d’affaires. Nous avons commencé très localement, puis régionalement et maintenant au niveau national. Nous avons débuté par des produits basiques et aujourd’hui avec des produits très techniques. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises en France capables de se lancer sur des projets comme ceux que nous menons actuellement.
Lesquels ?
Des mâts de trente mètres de haut pour les Jeux olympiques, des recharges de e-Busway à Nantes sur des systèmes en porte à faux devant supporter des efforts importants qu’il faut maîtriser parfaitement. Des mâts qui allient esthétique et technique, comme pour l’éclairage des abords de l’Arc de Triomphe ou au pied de la Tour Eiffel. Il faut réaliser des ouvrages uniques en termes de serrurerie et chaudronnerie. Bien souvent, cela commence par des prototypes. Nous avons équipé les parvis des gares de Saint-Nazaire, Nantes, Rennes… Nous allons équiper la ligne Hélyce de Saint-Nazaire, nous avons fait la place Napoléon à La Roche-sur-Yon et à Paris la place d’Italie. Nous venons de livrer le parvis de la Défense et nous sommes en train de produire les mâts de la place de la Chapelle avec la nouvelle Adidas Arena.
L’innovation semble être votre leitmotiv ?
Au début, il a fallu beaucoup innover car nous avons dû créer une gamme de produits. Nous sommes allés puiser à l’École de Design, au sein du quartier de la création sur l’île de Nantes, et à la Région, des programmes pour nous accompagner à l’innovation. Il nous fallait inventer les produits de TMC Innovation. Nous avons ainsi imaginé la collerette de balisage Lunik® (anneau d’éclairage LED installé sur le poteau du lampadaire à faible hauteur, NDLR) dont nous avons déposé le brevet. Nous avons fait un mât autonome solaire que l’on retrouve sur le territoire de Nantes Métropole. Actuellement, nous réalisons un pivot stratégique et technologique majeur : nous nous mettons à développer de l’éclairage. De fabricant de poteaux, nous devenons développeurs de solutions d’éclairages durables et économiques. De plus, notre démarche d’écoconception nous amène à proposer des solutions en bois brut très disruptives sur le marché.
Vous vous appuyez sur un groupe de sous-traitants fidèles !
Comme nous étions sur un marché déjà mature et très concentré, faire des investissements industriels pour des capacités de production n’avait pas de sens. Il fallait s’inscrire dans une niche où la différenciation et le pas de côté nous permettent de nous faire une place sur ce marché. Pour faire ce pas de côté, il faut être agile et sortir du mainstream (tendances majoritaires, NDLR). Nous avons préféré externaliser un certain nombre de choses, avoir une grosse tête et des petites jambes. La grosse tête, c’est le bureau d’études et la partie commerciale. Les petites jambes, c’est un atelier très agile et flexible qui s’enrichit de nombreux sous-traitants, en local, à moins de cinquante kilomètres. Comme nous ne sommes pas prisonniers d’un process d’économie d’échelle, cela nous permet aujourd’hui de travailler aussi bien l’électronique, la LED que le bois. On est une entreprise qui peut bouger.
Nous sommes des artistes qui créent une œuvre. L’entreprise n’est pas un but mais un moyen.
Peut-on encore parler d’entreprise artisanale ?
Oui, mais avec des impératifs industriels car nous sommes soumis à une norme européenne rigoureuse. Elle est donc artisanale mais avec une organisation industrielle. Depuis le début, nous utilisons les systèmes logiciels CRM pour gérer les flux d’informations clients dans notre entreprise pour chacune des affaires suivies. C’est au-dessus de la moyenne de notre secteur. Une autre spécificité de notre démarche est d’aller voir les architectes paysagistes et les prescripteurs, autant que nos clients installateurs. Nous avons un logiciel ERP (Enterprise Resource Planning) qui structure tous les flux d’informations dans l’entreprise. Chaque morceau d’acier intégrant un éclairage public doit voir sa source tracée.
Vous avez veillé très tôt à votre impact carbone ?
Le RSE est quelque chose que nous avons en tête depuis longtemps. C’est ancré chez nous. Mais pendant le Covid, je me suis rendu compte que si nous étions bons pour l’aspect social et sociétal, nous n’avions pas assez à cœur de mesurer l’impact environnemental de notre entreprise. Nous avons fait un bilan carbone qui a démontré que c’est le matériau utilisé qui a le plus gros impact, beaucoup plus que les questions de déplacement. Nous avons travaillé sur l’écoconception pour diminuer l’impact de nos produits sur l’environnement. Toute cette démarche est mesurée par l’analyse des cycles de vie de nos produits réalisée depuis deux ans. Nous sommes bien aidés par Dirigeants Responsable de l’Ouest (DRO) et l’Ademe sur ces sujets.
Le sociétal et l’environnemental vont ensemble ?
Oui, parce que le social pour moi vise à savoir ce que l’on fait à l’échelle de notre entreprise pour que nos collaborateurs aient une reconnaissance, pour bien vivre de leur travail. C’est tout ce qui est intéressement, diversité, non-discrimination, rémunération, qualité de vie au travail. Sociétal, c’est de savoir comment notre équipe peut avoir une influence positive sur la société. Considérant que l’entreprise reçoit et se nourrit de son territoire, que peut-elle faire en contrepartie ? Accompagner des dynamiques, participer à des réflexions, être avec des associations qui contribuent positivement à la société… Pour l’environnemental, nous avons dû beaucoup travailler.
Est-il nécessaire que les employés adhèrent au projet de l’entreprise ?
Il y a trois ans, nous avons choisi d’opter pour la permaentreprise, développée par Sylvain Breuzard* avec comme piliers éthiques : prendre soin des hommes, de la planète, se fixer des limites et répartir les surplus. Il y a toute une démarche pour identifier les enjeux propres à l’entreprise. Cette philosophie nous aide à incarner cette RSE au sein de l’entreprise et à lui donner une vision plus globale et systémique. Nous en sommes à faire des projets et des plans d’action.
Justement, en 2024, vous allez déménager dans des locaux plus vastes ?
Oui, à Montbert, dans la zone d’activité de la Bayonne. Le 30 juin, nous y déménagerons l’ensemble des activités pour l’instant situées aux Sorinières. Ce sont des investissements qu’il va falloir amortir, mais ce sont des capacités qui vont être accrues, surtout face au pivot technologique qu’est le traitement de la technologie LED.
De fabricant de poteaux, nous devenons développeurs de solutions d’éclairages durables et économiques.
Quel développement visez-vous ?
C’est le mix produit. Au lieu de vendre essentiellement des produits de métallurgie de mobiliers, nous allons vendre de l’électronique dans une proportion plus importante, passant de 25 % actuellement à plus de 50 % d’ici trois ans. Nous ferons toujours des mobiliers uniques et spécifiques dont nous ne fournirons pas l’éclairage, mais nous allons également énormément développer la partie éclairage. Comme la borne Seven, qui adapte l’éclairage pour respecter le plus possible la faune et la flore. Notre laboratoire de développement électronique travaille sur tout ce qui est détection, pilotage LED, couleurs et optiques.
Et le bois ?
Nous utilisons du bois brut, mais se pose la question de la durée de vie. Il faut réfléchir à son remplacement à moyen ou long terme, pour maintenir le mobilier en place. C’est une piste remarquable que nous creusons, tout comme les matériaux biosourcés.
Vous êtes un homme engagé, passionné de voile et de course à pied… En fait, vous voyez l’entreprise comme un levier ?
Mes engagements visent à redonner ce que j’ai pu recevoir. Mon entreprise ayant reçu un soutien pour l’innovation, j’ai été pendant cinq ans président (2010-2015) du Réseau de Développement de l’Innovation (RDI) des Pays de la Loire qui aide des entreprises à innover. J’ai eu la chance de devenir entrepreneur, je la retourne en m’impliquant au sein du Réseau Entreprendre Atlantique dont j’ai été président de 2016 à 2019. Je voulais que d’autres puissent bénéficier de ma passion pour l’entrepreneuriat pour qu’ils puissent se mettre à leur compte. Durant ces trois années, nous avons eu 120 lauréats et je me suis rendu compte qu’il n’y a pas une bonne façon d’entreprendre. Chaque individu a sa manière pour réussir.
Peut-on dire que vous êtes passé en mode transmission aujourd’hui ?
Ma passion maintenant, c’est effectivement la jeunesse. J’ai vraiment envie de m’en occuper. Les entreprises sont des leviers incroyables pour contribuer à des causes. Et ma cause désormais c’est celle-là. Être jeune aujourd’hui, c’est sensiblement plus risqué qu’il y a quarante ans, quand je l’étais. Le monde est d’une telle complexité et les échéances qui attendent nos jeunes sur le climat, le social, le travail, sont beaucoup plus compliquées. Notre devoir d’adulte chef d’entreprise est de donner au maximum de jeunes la chance et l’ouverture pour qu’à terme ils puissent faire face aux nouveaux défis. Pour cela, j’ai choisi une association qui permet aux collégiens ou lycéens de vivre une aventure collective d’engagement, de créativité, de prise de risques à travers la création d’une mini-entreprise dans leur classe. J’ai la conviction, non pas qu’il faille faire de tous les jeunes des chefs d’entreprise, mais que les pratiques que l’on a dans nos entreprises peuvent aider des jeunes à développer leur confiance, leur envie, leur motivation, leur autonomie et leur esprit d’initiative…
La cause que j’ai choisie est l’association Entreprendre pour Apprendre, qui existe dans le monde entier et depuis dix ans en France. Cette pédagogie active est développée dans beaucoup de pays et plus qu’en France. Il y a un an et demi, j’ai pris la co-présidence régionale de l’association avec Fanny Duriez. Nous touchons 3 500 jeunes par an à travers 140 mini-entreprises. Les salariés de l’association vont aider les encadrants et les mentors pour faciliter les choses auprès des enseignants. Je m’y investis beaucoup car nous sommes à un moment où nous devons fédérer, informer et engager le plus grand nombre autour de cette cause. Que ce soit des collectivités ou des entreprises. Avec cet engagement, j’ai l’impression d’être à ma place. Le chef d’entreprise doit, comme un artiste, modeler, dessiner, avec de la matière, des moyens humains qui sont le cœur de la création de la valeur d’une entreprise. Mais aussi avec des moyens techniques et financiers. Nous sommes des artistes qui créent une œuvre. L’entreprise n’est pas un but mais un moyen.
* La permaentreprise, un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture. Éditions Eyrolle.