Comment est né le projet du restaurant inclusif Ô Bell’ Endroit ?
C’est une histoire de famille. Nous sommes une fratrie très soudée de cinq frères et sœurs. Valentin, le petit dernier, né en 1997, est porteur de trisomie 21. Lors de mes études – un DUT Gestion des entreprises et des administrations et une licence Gestion du personnel -, j’avais déjà en tête qu’un jour, si j’étais responsable des ressources humaines, j’intégrerais Valentin dans l’entreprise où je travaillerais. En 2007, j’ai été embauchée en CDI pour participer à la création d’un service RH. Très vite, j’ai intégré le comité de direction, ce qui m’a permis d’avoir une vision globale de l’entreprise.
Pendant ce temps-là, Valentin grandissait. En 2016, il approchait de ses 20 ans et était sur le point de terminer son parcours en IME (Institut médico-éducatif). C’est quelqu’un de très jovial, très avenant avec les personnes sans handicap, mais plus réservé avec les personnes handicapées. Son stage en Esat (Établissement et service d’aide par le travail), ne fut pas très concluant. Ses éducateurs l’ont alors orienté vers un foyer de vie, à la journée. C’est de l’occupationnel, du ludique, pas un travail ou une formation, donc beaucoup moins stimulant pour Valentin. Or, nous qui le connaissions bien, pensions qu’il était capable de travailler.
De mon côté, je me demandais à quel moment j’aurais le cran de faire quelque chose professionnellement avec Valentin. Quand j’ai eu 30 ans, notre père a entendu parler d’un restaurant nantais sur le point d’ouvrir, dont le concept était de confier le service à des personnes porteuses de trisomie 21. Son nom : le Reflet. C’était le premier restaurant du genre à ouvrir en France. Forcément, le concept de Flore Lelièvre, la fondatrice du Reflet, nous a intrigués.
Qu’avez-vous fait alors ?
Une première visite, en février 2017, en famille, mais sans Valentin, nous a conquis. On le voyait bien y faire un stage. Quelques semaines plus tard, on est revenu avec lui et cette idée en tête. Valentin n’a pas une bonne élocution. Pourtant, à la fin du repas, il est de lui-même allé voir le barman pour lui demander un stage. Pour nous, ce fut un déclic.
Au même moment, mon patron m’a annoncé qu’il voulait se séparer de l’entreprise. C’était le coup de pied qui me manquait, j’ai officialisé mon envie de changer de vie. J’attendais mon deuxième enfant mais j’aspirais à autre chose. Les planètes s’alignaient. C’était le moment de se lancer.
Était-ce un choix facile ?
Non, mais c’était une évidence : je voulais tellement au fond de moi mener ce projet avec Valentin. Cela s’est fait naturellement, mais ça a pris du temps. Il s’est passé près d’un an entre le moment où j’ai décidé de me lancer et celui où j’ai quitté officiellement mon travail, en mars 2018. Et il a fallu patienter encore près de neuf mois avant l’ouverture du restaurant. Pendant ce temps-là, Valentin avait effectué deux stages au Reflet.
Comment avez-vous opéré votre reconversion ?
J’avais besoin de mûrir mon projet. Entre mars et août 2017, j’ai mis un instant de côté l’idée du resto et j’ai commencé par faire un bilan de compétences pour savoir exactement ce que je voulais. Les métiers qui ressortaient n’étaient pas administratifs, mais très éclectiques. Ça allait du journalisme au maraîchage, en passant par les métiers du commerce et de la restauration. J’ai poursuivi par une formation sur l’entrepreneuriat à la CCI de Vendée. J’ai également beaucoup échangé avec Flore Lelièvre. Nous avons le même âge, le même parcours. Son frère est également porteur de trisomie 21 et c’est dans ce contexte qu’elle a imaginé un lieu de travail possible pour des personnes en situation de handicap.
Au printemps 2018, après une rupture conventionnelle avec mon employeur, j’ai suivi une formation de deux mois de serveuse en salle, avec un restaurant d’application de 30 couverts. Je ne pouvais rêver mieux comme première expérience. J’avais la salle entière rien que pour moi. Préparation de la salle, prise de commande, service, paiement : j’ai tout appris en accéléré.