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ENTRETIEN – Matthieu Tougeron, PDG des Cafés Albert : « La RSE doit être vraie »

Pour Matthieu Tougeron, PDG des Cafés Albert, le café est plus qu’une boisson. C’est un art de vivre, avec son rituel, ses saveurs, ses histoires. Son activité de torréfaction et de distribution automatique génère des déchets ? L’entrepreneur vendéen fourmille d’idées pour les valoriser et leur donner une seconde vie.

Cafés Albert, Vendée, Matthieu Tougeron, RSE

"Nous avons notamment monté deux filières de recyclge et de revalorisation des gobelets et du marc", indique Matthieu Tougeron, dirigeant vendéen des Cafés Albert © Benjamin Lachenal

Quelles sont les différentes activités des Cafés Albert ? Et qui sont vos clients ?

Historiquement, chez Cafés Albert, nous sommes des torréfacteurs. Nous produisons du café et nous le vendons à travers trois créneaux de distribution : la GMS toutes enseignes dans le grand Ouest (10 % du CA), le CHR (20 % du CA) et nos deux boutiques de La Roche-sur-Yon et des Sables d’Olonne (10 % du CA).

Mais notre activité principale, c’est ambianceur de salle de pause. Nous avons en effet une activité de distribution automatique de boissons chaudes (café, thé) et fraîches, de confiserie et snacking[1]. Ce marché représente 60 % de notre CA. Nos clients sont ici des entreprises, des collectivités ou des établissements d’enseignement supérieur. Pour les structures de plus de 50 personnes, nous mettons à disposition gratuitement des grandes machines. Nous nous rémunérons sur les achats des boissons payés à la pièce ou par carte bancaire. Pour les entreprises de moins de 50 personnes, nous mettons à disposition des petites machines à café, là aussi gratuitement. Dans ce cas de figure, l’entreprise nous achète généralement le café et l’offre à ses collaborateurs.

Quel est votre parcours ?

J’ai fait une école de commerce à Nantes, à Audencia. J’ai ensuite travaillé chez Schweppes, Orangina ou encore chez Nestlé dans la branche café-distribution automatique. En 2008, j’ai rejoint l’entreprise familiale Cafés Albert, comme commercial. J’avais alors le projet de créer ma propre boîte de distribution automatique de boissons. Mon grand-père m’a suggéré de venir compléter mon expérience chez Cafés Albert avant de me lancer en solo. En 2014, j’ai racheté les parts de mon grand-père et de mon père, Robert et Xavier Tougeron, pour devenir l’unique actionnaire.

Quel est l’histoire de l’entreprise ?

En 1948, Marcel Albert crée une petite épicerie générale en plein cœur de La Roche-sur-Yon. Il est le seul commerçant à torréfier et vendre du café grain en Vendée ! Peu de temps après, il construit une usine de torréfaction à proximité de sa boutique. L’entreprise a ensuite appartenu à plusieurs familles vendéennes, mais le dernier propriétaire était un investisseur parisien qui cherchait uniquement la rentabilité. Pour mon grand-père, qui dirigeait alors la société de distribution DNL[2] à proximité de La Roche-sur-Yon, il était hors de question de laisser partir cette pépite vendéenne. En 2000, il a donc racheté les Cafés Albert. Quand je suis arrivé en 2008, l’entreprise était à bout de souffle. Mais il y avait une équipe, une ambiance et un savoir-faire. La même année, à la suite de désaccords entre le directeur et les actionnaires, mon grand-père et mon père m’ont proposé de prendre le poste.

Comment, sous votre impulsion, les Cafés Albert ont-ils retrouvé un second souffle ?

J’ai commencé par faire un état des lieux. L’outil industriel était vieillissant, les bureaux vétustes. L’entreprise, qui comptait 18 salariés, perdait de l’argent. Alors, en 2013, avec le soutien du groupe familial, nous avons investi 2 M€ dans un outil industriel neuf et dans une nouvelle usine moderne et attractive[3], à l’extérieure de la ville. Nous nous sommes aussi diversifiés dans la distribution automatique. Dix ans plus tard, nous sommes leaders en Vendée dans ce domaine.

Cafés Albert fête ses 75 ans en 2023. Un anniversaire marqué par un retour aux sources et un nouveau concept. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’avais deux envies : rapprocher Cafés Albert des consommateurs et recréer une histoire née en plein cœur de La Roche-sur-Yon. Quand j’ai lancé le projet de Maison Albert – Torréfacteur responsable en 2022, nous avions un magasin, « La Boutik », au sud de la ville. C’est alors que j’ai su que l’ancienne mairie, située place Napoléon, allait accueillir prochainement[4] l’office de tourisme et quelques commerces. J’ai saisi ma chance et décroché un bail pour un local de 100 m². Un emplacement idéal, à quelques pas à peine de la première boutique de Marcel Albert. La boucle est bouclée.

Ce magasin remplacera celui de la zone sud et sera le deuxième concept store Maison Albert. Car, contre toute attente, en juin dernier, nous avons eu l’opportunité d’ouvrir le premier au sein du centre commercial Ylium, aux Sables d’Olonne. Une cellule commerciale était disponible pour une boutique de café. Ce projet surprise a été monté en cinq mois seulement.

Quel est le concept et l’ambition de Maison Albert ?

C’est un concept de boutique différent avec des produits de qualité et des fournisseurs écoresponsables qui connaissent leurs produits de A à Z. D’ailleurs, ce sont plus des créateurs que des fournisseurs. Maison Albert, c’est le caviste du café. Le café est un produit noble, comme le chocolat et presque comme les vins. En venant ici, le client ne vient pas seulement acheter du café mais aussi une histoire. Il sait d’où il vient, comment il est produit. Il sait le voyage de dingue qu’il a fait jusqu’à sa tasse et pour quel moment de la journée il est fait. Il découvre des grands crus et que derrière un pays d’origine, il y a des régions, des producteurs et des saveurs différentes. Ici, on retrouve des cafés à projet, c’est-à-dire engagés dans la reforestation, le travail des femmes ou l’économie d’eau. Il y a notamment ce café colombien qui vient en bateau à voile ou ce café rwandais produit par une coopérative de femmes.

Maison Albert, c’est aussi des cafés à projet, c’est-à-dire engagés dans la reforestation, le travail des femmes ou l’économie d’eau. »

Le café, c’est plus qu’une boisson, c’est un mode de consommation. Comme pour le thé, il y a un vrai cérémonial. Pour transmettre cette passion à nos clients, chaque conseiller en vente reçoit une formation, à l’usine, avec notre torréfacteur. En boutique, nous vendons différentes machines. Le client dispose d’un espace pour les tester et prendre le temps de choisir la méthode et le café qui convient à son palais.

Vendée, Cafés Albert, Maison Albert

Le premier Maison Albert a ouvert ses portes au sein du centre commercial Ylium, aux Sables d’Olonne (Vendée) en juin 2022. ©ANTOINE MARTINEAU

Il y a cinq ans, vous avez mis en place une filière de recyclage et de revalorisation de vos gobelets et de votre marc de café. Quelle était votre motivation ?

La RSE fait partie de notre ADN. Nous n’avons pas attendu la loi de transition énergétique de 2020, interdisant notamment les gobelets plastiques dans les fontaines à eau et distributeurs automatiques, pour nous préoccuper de notre impact sur l’environnement. Dès 2010, nous avons envoyé nos gobelets dans une usine pour les transformer en cintres. La question du recyclage s’est ensuite posée pour les gobelets en carton. Sur les conseils de Trivalis, j’ai contacté l’usine vendéenne d’Huhtamaki auprès de qui le Syndicat mixte départemental chargé du traitement des déchets se fournissait. Aujourd’hui, nous broyons nos gobelets cartons avant de les envoyer à Huhtamaki qui les transforme en boîtes à œufs ou porte-gobelets pour tout ce qui est vente à emporter. C’est la première filière de recyclage de gobelets en Europe, et elle est 100% vendéenne. Huhtamaki, qui possède 70 entreprises dans le monde entier, cite ce projet en exemple.

En ce qui concerne le marc de café, j’ai découvert lors d’un échange avec un ingénieur agronome que ce déchet avait un fort pouvoir méthanogène. Je me suis donc rapproché d’un agriculteur vendéen qui a sa propre unité de méthanisation. Depuis 2018, chaque mois, nous lui envoyons des bennes de marc de café, soit un total de 110 tonnes par an. Nous prenons tout en charge, la récolte et le transport. S’il lui manque des déchets pour alimenter son méthaniseur, cet agriculteur pioche dans ce stock et non plus dans son fourrage.

Mon métier génère des déchets, c’est à moi de les gérer même si ce n’est pas encore obligatoire. »

Et comment développez-vous cette filière ? 

Nous encourageons nos clients à utiliser des mugs que nous leur fournissons gratuitement. Dans le cadre d’un distributeur automatique, ceux qui utilisent un gobelet au lieu d’un mug paient plus cher. Le surcoût est variable et fixé par le client. Pas question de forcer qui que ce soit. Cela se fait toujours en concertation et de façon progressive.

Parallèlement, nous avons créé des poubelles pour le recyclage des gobelets. Nous les récupérons et gérons la revalorisation. Pour encourager nos clients à faire ce tri, nous notons leurs poubelles. Étoile verte : c’est parfait. Étoile rouge : nous avons trouvé autre chose que des gobelets en carton. Étoile noire : ce n’est pas triable. Au bout de trois étoiles noires, nous retirons nos poubelles. Ce n’est pas grave. Ils ne sont juste pas prêts. Cela ne change en aucun cas notre partenariat. C’est arrivé une fois. La réaction a été immédiate : le client a supprimé les gobelets et les a remplacés par des mugs.

Savoir combien cette filière de revalorisation me coûte ne m’intéresse pas plus que ça. Cela ne veut pas dire pour autant que je suis un philanthrope. Cette démarche vertueuse valorise les Cafés Albert, fait parler de nous, nous ramène des clients. Elle contribue également à notre marque employeur. La preuve ? Nous ne connaissons pas de difficultés de recrutement. C’est un élément de différenciation qui est en cohérence avec nos valeurs. Mon métier génère des déchets, c’est à moi de les gérer même si ce n’est pas encore obligatoire.

Plus globalement, quel regard portez-vous sur l’économie circulaire, la RSE ?

La RSE est un enjeu sociétal fort, il y a urgence à s’y intéresser si ce n’est pas encore le cas. C’est aussi un sujet de préoccupation majeur pour les salariés, notamment pour les futurs collaborateurs. Mais pour que la RSE soit un élément de différenciation, elle doit être vraie. Certains dirigeants pensent qu’elle va les aider à faire du business et se contentent de faire du greenwashing. Or, ça se voit.

Malgré toutes ces initiatives, le café reste un produit cultivé à des milliers de kilomètres des consommateurs. Comment la filière peut-elle limiter son empreinte carbone[5] ? Quels sont les leviers ?

Le café est une plante cultivée entre les tropiques du Cancer et du Capricorne. On ne peut pas la faire pousser ailleurs, ça ne fonctionne pas. À moins de la mettre dans des serres humides, mais quelle serait la logique environnementale ? Le café est aujourd’hui menacé par le réchauffement climatique. Cette plante risque de disparaître, bien avant le cacao, si on n’y prête pas davantage attention. En Colombie, par exemple, cela fait neuf mois qu’il pleut. Le climat est complètement déréglé. Cela met en péril les récoltes. Or, en face, la demande en café n’a jamais été aussi forte. En tant que torréfacteur vendéen, nous sommes un petit acteur en bout de chaîne. Malgré tout, à notre niveau, nous faisons attention à ce que les producteurs gagnent suffisamment bien leur vie pour continuer à faire de bons produits et ne pas se tourner vers d’autres types de plantation. C’est pourquoi, nous sélectionnons depuis longtemps des petits producteurs qui ne défrichent pas et respectent la forêt. D’ailleurs, une loi européenne vient d’interdire tout produit issu de la déforestation amazonienne comme le café[6]. Autre levier pour réduire l’empreinte environnementale : le développement du transport décarboné, par exemple sur des bateaux à voile. D’une manière générale, il faut consommer moins mais mieux le café. Le consommateur doit aussi faire attention à ce qu’il achète. Cela nécessite plus de transparence et de traçabilité sur l’ensemble de la chaîne de production.

Comment œuvrez-vous au bien-être de vos salariés ? Quelles sont vos bonnes pratiques ?

Nous avons des locaux lumineux et agréables, une salle de repos avec terrasse et des outils modernes et performants. Il y a un 13e mois et un intéressement qui équivaut à un 14e mois. Nous avons noué de nombreux partenariats avec une banque, une assurance… Nous leur apportons des clients potentiels et ils proposent des prix préférentiels à mes collaborateurs mais aussi un service supplémentaire, comme ce centre de contrôle technique qui vient chercher leur voiture à l’entreprise, ou ce professionnel qui se déplace aussi pour changer leurs pneus. Cela évite au salarié de poser une demi-journée pour ça et moi, cela ne me coûte rien. Nous avons aussi mis en place la semaine de quatre jours pour ceux qui le souhaitent. Toutes ces mesures, c’est aussi une façon de rendre l’entreprise et ses métiers attractifs. Cafés Albert soutient aussi des associations dans lesquelles nos collaborateurs s’impliquent. Je souhaite qu’ils s’épanouissent aussi en dehors de l’entreprise. Comme le disait Richard Bronson : « Prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise. »

Quels sont vos projets ?

Nous développons une licence de marque pour notre activité de distribution automatique et sur les machines à café pour les entreprises. La société indépendante achète la licence pour une durée indéterminée et pour un territoire donné. Elle paie un droit d’entrée de 7 500 € et ensuite une redevance en fonction du chiffre d’affaires réalisé. Cela lui donne le droit d’utiliser la marque Cafés Albert, notre café et notre savoir-faire, notamment en termes de RSE. Elle gère son propre matériel acheté sur ses fonds propres et gère son propre réseau de clients. Nous devenons actionnaire minoritaire dans une logique d’accompagnement : le licencié reste le patron de sa boîte. Nous venons de signer notre premier contrat avec une entreprise du Maine-et-Loire. Nous allons chercher d’autres partenaires à proximité de la Vendée. L’objectif : mailler tous les départements du grand Ouest et y faire rayonner la marque d’ici à cinq ans.

J’ai aussi le projet de faire des pellets, non pas de bois, mais à partir de deux déchets issus de notre activité. J’ai en effet vu sur internet que des gens fabriquaient des pellets à partir de marc et de pellicule de café[7] car ils ont un fort pouvoir calorifique. A priori, ce n’est pas compliqué. Nous faisons 110 tonnes de marc de café par an, et la pellicule, nous en avons à foison. D’où mon envie d’essayer. Je n’ai aucune idée si cela va aboutir. Nous n’en sommes qu’à la phase d’études. Je ne recherche pas la rentabilité, juste une certaine satisfaction de poursuivre notre logique de valorisation des déchets. Si ça fonctionne, l’idée est d’en distribuer en priorité gratuitement à mes collaborateurs. Et, pourquoi pas ensuite, en proposer dans nos boutiques. Mon ambition : créer un microcosme d’activités autour de mon métier d’origine de torréfacteur. Pour moi, c’est naturel, c’est une évidence.

 

En chiffres

  • 42 salariés
  • + de 6 M€ de CA (avril 2023) : +30 % en un an en valeur et +10 % sur un an en volume
  • 3 000 clients distribution automatique

 

[1] Hormis le café, il s’agit de négoce.

[2] Diffusion nationale du livre.

[3] L’usine a été agrandie de 1 000 m² en 2020.

[4] La fin des travaux initialement prévue à l’automne 2023 a depuis été repoussée au 1er avril 2024.

[5] Une étude de 2013 a chiffré l’empreinte carbone globale du café, pour 1 kg de café produit au Costa Rica et consommé en Europe sous forme de café filtre. Le résultat est de 4,98 kg équivalent CO2 par kilo de café vert (c’est-à-dire avant torréfaction). Cela inclut 1,93 kg pour la production et le transport, et 3,05 kg en Europe, pour la torréfaction, la distribution, etc. Le filtre et le fonctionnement de la cafetière ont été inclus dans l’étude et constituent d’ailleurs le poste le plus important. Source : Bernard Killian, « Carbon Footprint Across the Coffee Supply Chain: The Case of Costa Rican Coffee », Journal of Agricultural Science and Technology.

[6] Loi de décembre 2022. Autres produits concernés : le soja, l’huile de palme, le bois, le caoutchouc et le papier.

[7] Couche très fine qui recouvre les deux grains de café et qui se détache lors de la torréfaction.