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ENTRETIEN – Céline Brochard, présidente de SVC-ODS : « Je fais partie de l’histoire »

Diriger SVC-ODS ne faisait pas partie de la feuille de route de Céline Brochard. Le décès prématuré de son conjoint en janvier 2021 a changé la donne. À la demande de celui-ci, elle a repris les rênes de ces deux entreprises vendéennes, sous-traitantes en métallurgie. Faisant preuve d’une résilience insoupçonnée, elle a choisi la confiance comme stratégie. Désormais, elle écrit la suite de l’histoire en formant un trio de managers aux côtés de deux cadres.

Vendée, SVC-ODS, Céline Brochard, métallurgie

Céline Brochard, présidente de SVC-ODS © Benjamin Lachenal

Quelle est l’activité de SVC-ODS ?

SVC et ODS sont deux sociétés complémentaires, sous-traitantes en métallurgie, et basées à Cheffois. Elles font partie de la holding Chafogep dont je suis la gérante depuis 2021. SVC, fondée en 1977 sous le nom de Société Vendéenne de Chaudronnerie, est experte en chaudronnerie, mécanosoudure, montage mécanique, grenaillage[1] et peinture. La seconde, ODS (Ouest découpe soudure), est née en l’an 2000 pour servir son aînée. Elle est spécialisée dans la découpe laser, le plasma et l’oxycoupage[2]. Aujourd’hui, ODS travaille à 60 % pour des clients extérieurs. SVC et ODS fabriquent essentiellement des châssis pour l’agriculture et le BTP. Leurs clients sont des fabricants de machines agricoles, des carrosseries industrielles, des spécialistes du magasinage (chariots élévateurs, transpalettes, NDLR), du traitement de l’eau des industries, des entreprises expertes dans la fondation, du levage ou de la maintenance ferroviaire.

Votre conjoint, Thierry Fontaine, a repris les deux sociétés en 2007. Quelle empreinte a-t-il laissé ?

Entrepreneur luçonnais en maintenance industrielle, il travaillait régulièrement avec SVC-ODS. Lorsqu’il a repris les deux sociétés, il s’est attaché à les moderniser en profondeur. En 2009, SVC a ainsi fait l’acquisition d’un robot de soudure et d’un robot de pliage adapté aux pièces volumineuses. Quant à ODS, elle s’est dotée en 2012 d’un magasin de stockage automatisé capable d’entreposer 650 tonnes de matériel puis de livrer automatiquement les machines. Cette innovation était la grande fierté de Thierry car elle a limité la manutention et facilité les dépannages en urgence.

Début 2021, à la suite de son décès prématuré, vous reprenez les rênes de SVC-ODS. Quel était alors votre lien avec ces deux entreprises ?

Aucun. J’étais la “femme du patron“. Et encore ! J’ai dû venir deux fois en tout et pour tout. On avait chacun notre activité. Moi, j’étais chargée d’affaires pour les particuliers chez Harmonie Mutuelle. J’y ai travaillé pendant plus de 20 ans. Après, Thierry me parlait régulièrement de SVC-ODS. J’étais a minima au courant de la vie des deux entreprises.

Comment et pourquoi avez-vous pris cette décision ?

C’était une demande de Thierry. Il savait être très persuasif. C’était un excellent négociateur. Il ne lâchait jamais rien. Pendant un an, il s’est battu. Pour lui, chaque jour de gagné sur le cancer, c’était un jour de plus donné à la science pour trouver une solution. La première fois qu’il m’a parlé de reprendre l’entreprise, c’était en octobre 2020, quand il a compris que son combat contre le cancer était perdu. Au début, j’ai ri. Nous avions cette force entre nous de tout tourner en dérision. Ensuite, il m’a expliqué son choix et nous avons commencé à préparer la transmission avec nos différents conseils. Libre à moi de continuer ou de vendre.

Pour me rassurer, Thierry a commencé à me former. Tous les mois, je participais au Copil (Comité de pilotage). C’est une mine d’infos pour comprendre le fonctionnement de SVC-ODS et connaître les clients. J’ai connu de grands moments de solitude, mais tout le monde avait à cœur de m’expliquer. Début janvier 2021, il y a eu l’assemblée générale du groupe. Thierry était très affaibli. J’étais là comme auditrice. Le nouveau commissaire aux comptes d’ODS a demandé à Thierry de présenter SVC-ODS. Pendant 45 minutes, la maladie n’existait plus. Il y avait une telle lueur. Ce fût un moment décisif. J’ai compris que SVC-ODS était toute sa vie. Dix jours plus tard, il nous quittait. Il n’y avait plus de questions à se poser. Je n’avais pas le droit de laisser tomber. Au début, je me suis convaincue que mon rôle était uniquement d’assurer l’intérim entre Thierry et notre fils, âgé alors de 11 ans, Valentin. Maintenant, je me dis que je n’ai pas le droit de faire ce choix pour lui. Il aura peut-être d’autres envies.  Ma mission, c’est juste de continuer ce que Thierry a commencé.

Disposiez-vous d’une feuille de route pour guider vos premiers pas ?

Non, je n’avais pas de feuille de route sur laquelle m’appuyer. Thierry avait à cœur de m’expliquer le B.A.BA et ne voulait pas me polluer avec des orientations stratégiques. Avant de prendre des décisions, il fallait d’abord que je comprenne ce que je faisais là, quelle était ma place et ma valeur ajoutée, ce que Thierry attendait de moi. Cela m’a pris du temps. Pour l’opérationnel, il savait que je pourrais compter sur Gaëtan Hugot, directeur de site, et Lolita Deborde, responsable administrative et financière du groupe. Il avait toute confiance en eux. Moi, évidemment, je ne les connaissais pas, je me demandais comment ils allaient accueillir le fait que je reprenne l’entreprise. Thierry, lui, était serein. Il savait parfaitement s’entourer des bonnes personnes. Gaëtan et Lolita, comme le reste de l’équipe, ont été d’une aide précieuse. Sans eux, je n’aurais pas tenu.

Quelles ont été vos premières décisions ?

Ma première décision a été de faire évoluer le mode de management de SVC-ODS. Jusqu’ici, la direction des entreprises était concentrée dans les mains d’une seule personne. Progressivement, une évidence s’est installée : Lolita, Gaëtan et moi, nous formions un trio de managers. J’avais besoin d’eux dans leur domaine de compétences respectif et ils avaient besoin de moi pour la vision stratégique. Ainsi, Gaëtan a acquis des parts dans la holding, faisant de lui mon associé. C’était une suite logique. Ceci étant, toutes les décisions sont prises à trois, avec le concours de Lolita. Ce nouveau fonctionnement m’a permis de me positionner sur ce que je savais faire de mieux : la communication. Sortie d’une école de commerce, le réseautage, la clientèle, a été mon quotidien pendant plus de 20 ans. Alors, je me suis également attelée à la refonte du site internet, à retravailler le slogan et les valeurs de l’entreprise pour améliorer notre communication.

Vendée, SVC-ODS, Céline Brochard,, Gaëtan Hugot, Lolita Deborde, métallurgie

De gauche à droite : Céline Brochard, présidente SVC-ODS, Gaëtan Hugot, directeur de site, et Lolita Deborde, directrice administrative et financière du groupe.

Ma seconde grande décision a été de faire le choix de la croissance externe pour aller chercher de nouvelles compétences. En octobre 2022, je me suis de nouveau associée avec Gaëtan pour faire l’acquisition de Mimault Tôlerie Industrielle, dans les Deux-Sèvres, à 30 km de Cheffois. SVC fait de la tôlerie à partir de trois millimètres. Mimault[3] (20 salariés, 3 M€ de CA) est expert en tôlerie fine, c’est-à-dire inférieure à trois millimètres d’épaisseur. Nous avions de plus en plus de demandes pour ce produit. Alors, on s’est mis en veille et nous avons eu cette opportunité.

Quel accueil avez-vous reçu de la part des équipes et des clients de SVC-ODS ?

J’ai été et je suis toujours très entourée et soutenue par les équipes. Le fait que je reprenne l’entreprise et que je ne la vende pas a été une source de respect à mon égard. Je me suis attachée à l’entreprise et à ses salariés, et inversement. Au départ, j’ai repris SVC-ODS pour Thierry. Aujourd’hui, je continue pour les salariés et pour moi aussi. La transition, c’est fini. Je veux laisser ma patte. Je fais partie de l’histoire. Côté clients, très peu me connaissent, encore aujourd’hui. Je suis un nom. Ce qui compte pour eux, c’est que Gaëtan soit toujours là. C’est lui qui a affaire avec les clients. C’est grâce à lui qu’ils nous ont conservé leur confiance.

Où avez-vous puisé une telle résilience ? Reprendre deux entreprises a-t-il compliqué la tâche ?

Le fait de reprendre deux sociétés sœurs n’a pas été plus compliqué. J’ai considéré que c’était un tout. Clairement, je ne savais pas que j’avais cette résilience en moi. Je ne sais pas où je l’ai puisée (silence). Vous ne pouvez pas vivre avec quelqu’un d’aussi charismatique que Thierry, qui a une telle force en lui, sans avoir envie, vous aussi, de vous dépasser. Thierry sortait en permanence de sa zone de confort. Il a eu son premier cancer à 19 ans, son pronostic vital était engagé. Il a eu un traitement assez lourd. Il a réussi à s’en sortir grâce à sa combattivité hors du commun. Il a fini ses études, puis a repris l’entreprise de ses parents.

Face à un tel parcours, on ne peut avoir que du respect, on n’a pas le droit de se plaindre. »

À partir de 2010, il a eu de multiples problèmes de santé, dont un infarctus, conséquence du traitement de son premier cancer. À cause de sa maladie, il pensait ne jamais avoir d’enfant. Notre fils, c’est son miracle. Son second cancer est aussi la conséquence du premier. Le traitement a irradié d’autres organes et c’est aussi pour cette raison que ce cancer n’était pas soignable.  En 2012, l’entreprise familiale[4] qu’il dirigeait a été liquidée : il en a été profondément affecté. Face à un tel parcours, on ne peut avoir que du respect, on n’a pas le droit de se plaindre.

Deux ans plus tard, quelle dirigeante êtes-vous devenue ?

Thierry avait un management descendant. Il avait l’œil sur tout et savait être plus ferme que moi. Quand il le faut, je tranche parce que c’est mon job. Mais celui qui assume le mauvais rôle du dirigeant au quotidien, c’est Gaëtan. Moi, je délègue en toute confiance. Je sais que Lolita gère la trésorerie aussi sérieusement que son propre compte, que Gaëtan maîtrise l’activité, le secteur. Je suis dans le dialogue, la participation. J’essaie à la fois de favoriser l’esprit de responsabilité de chacun et le travail d’équipe. Après, je ne suis pas naïve et la confiance n’exclut pas le contrôle.

L’ADN commun de SVC-ODS, c’est son haut niveau de technicité. Pourquoi et comment satisfaites-vous cette exigence ?

Nous avons un véritable savoir-faire en chaudronnerie. Nous devons le défendre et le faire évoluer. Il s’agit à la fois de suivre les demandes de nos clients et de satisfaire leur exigence de qualité. Nous investissons en moyenne 3,5 % de notre CA pour maintenir ce haut niveau de technicité et répondre aux exigences de conformité de plus en plus nombreuses. Il s’agit de moderniser nos bâtiments et nos équipements, d’avoir des machines toujours à la pointe de la technologie, ou encore de renforcer la formation des équipes. Pour Thierry, l’objectif était de devenir le petit dans cour des grands, c’est-à-dire être une entreprise à taille humaine capable de fabriquer ce que les autres ne font pas et d’attaquer des gros marchés. Mon ambition est différente. Je cherche juste à pérenniser le groupe, faire en sorte que mes salariés aient de bonnes conditions de travail et soient reconnus dans leur savoir-faire.

Quels projets actuels traduisent cette ambition ?

À l’automne 2022, nous avons construit un bâtiment de 450 m² pour abriter une nouvelle cabine de peinture adaptée aux pièces volumineuses et répondre aux demandes de notre clientèle. Nous l’avons mise aux normes avec l’idée de trouver d’autres partenariats pour rentabiliser cet investissement majeur (montant non communiqué, NDLR). Elle sera opérationnelle ce mois d’avril. L’ancienne cabine de peinture va être utilisée pour agrandir et renforcer notre service contrôle qualité. Ce nouvel espace, quatre fois plus grand qu’auparavant, sera doté d’outils de dernière génération. Les travaux seront achevés fin 2023.

Par ailleurs, nous venons de lancer un plan de recrutement. Avec le Covid, notre chiffre d’affaires était en baisse et nous avons été contraints de nous séparer des CDD. Guerre en Ukraine, explosion du coût des matières premières et de l’énergie, les crises se sont enchaînées. Nous sommes restés prudents et avons adapté nos capacités de production à notre effectif. Avec la reprise annoncée pour 2024, nous relançons notre plan d’embauches en recrutant quatre à six personnes en 2023, notamment dans le domaine de la soudure. Nous avons du mal à trouver les bons profils. Avec l’aide de Pôle emploi et de la Mission locale, nous organisons des formations en commun avec deux autres entreprises locales de métallurgie. À l’issue des stages, il y a une promesse d’embauche. Nous nous sommes aussi rapprochés des établissements de formation pour recruter les jeunes diplômés et nous faisons appel à des intérimaires, voire à de la main-d’œuvre étrangère.

Nous sommes aussi en veille pour poursuivre notre croissance externe, cette fois-ci dans le domaine de l’usinage. Nous devons tenir des cotes de plus en plus précises sur les pièces que nous fabriquons, ce qui nous oblige à sous-traiter de plus en plus souvent l’usinage de nos pièces primaires. Or, nous rencontrons des problèmes de stabilité de prix et de délais. Faire l’acquisition d’une nouvelle structure nous permettrait de répondre aux besoins du groupe, mais aussi de diversifier notre activité auprès d’une clientèle extérieure, au même titre qu’ODS.

Ces orientations stratégiques ont-elles pour objectifs de répondre aux enjeux actuels de la filière métallurgique ? Et d’ailleurs, quels sont ces enjeux ?

La métallurgie est un secteur d’activité très large. SVC-ODS est reconnu pour ses savoir-faire en chaudronnerie grande dimension, en mécanosoudure de précision et en robotique moyenne série. Mais nous ne faisons pas de charpente pour les bâtiments par exemple. Toutes nos orientations stratégiques restent ou sont proches de ce cadre bien précis. Si nous nous en éloignions, nous risquerions de nous perdre et de ne plus être compétitifs. Grâce à ces choix de développement et à notre haut niveau de technicité, nous sommes plus que des fournisseurs pour nos clients. Nous sommes leurs partenaires de projets.

Suivre les évolutions techniques et technologiques, c’est d’ailleurs l’un des grands défis de la filière métallurgie. Depuis une dizaine d’années, elles s’accélèrent, notamment sur la découpe laser, le matériel de pliage et de soudure. Pour rester concurrentiel, il faut être en veille permanente, sous peine de se faire dépasser rapidement par la concurrence.

D’autres enjeux frappent la filière en ce moment. Nos métiers sous tension peinent à recruter, le prix des matériaux a doublé depuis 2021, l’énergie flambe. Or, nos machines sont très gourmandes, en gaz comme en électricité. La moindre hausse tarifaire se ressent immédiatement et impacte nos coûts d’exploitation. Nous consommons 1000 MWh par an. Une augmentation de 100 € le MWh, c’est une hausse de 100 000 € de notre facture. Nous avons eu la « chance » de renouveler notre contrat d’électricité en août 2022, juste avant l’explosion des prix. Et pourtant, notre facture a été multipliée par 2,25 en un an ! Quant au gaz industriel, la hausse est de 37 % en 2022 et de 28 % sur le début de l’année 2023.

Comment faites-vous face à toutes ces hausses ?

Nous avons mis en place un plan d’action pour limiter les impacts de ces hausses : négocier avec nos fournisseurs d’énergie, maîtriser notre consommation en sensibilisant les équipes au gaspillage ou en remplaçant nos luminaires par des led moins énergivores, et revoir notre sourcing pour trouver des alternatives aux marques habituelles. En dernier recours, nous répercutons ces hausses à nos clients.

 

[1] Décapage mécanique des surfaces avant peinture et soudure.

[2] Technologie de découpe des plaques de métal avec des chalumeaux à gaz.

[3] Mimault est détenue par la nouvelle holding Extence Invest, créée spécialement pour cette acquisition.

[4] La Luçonnaise de montage (LDM).

En chiffres 

  • CA moyen de SVC + ODS (hors crise) : 18 M€. SVC : 11 M€ et ODS : 7 M€
  • Salariés : 100 salariés. SVC : 70 et ODS : 30.