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ENTRETIEN – Cédric François, fondateur d’Equium : « Le son est une nouvelle énergie »

Deeptech basée à Saint-Herblain depuis 2019, la start-up Equium entend révolutionner le marché du confort thermique avec une innovation de rupture : une pompe à chaleur thermoacoustique, utilisant la capacité physique des ondes acoustiques de transporter la chaleur ou le froid. Une invention écologique et durable que présente Cédric François, dirigeant et fondateur.

Cédric François, fondateur d'Equium

Cédric François, fondateur d'Equium.

Pouvez-vous présenter le projet d’Equium ?

Notre ambition est de proposer une solution écologique et sobre pour couvrir un besoin humain basique, le confort thermique, en s’appuyant sur une technologie durable, la thermoacoustique, différente de celle utilisée depuis 120 ans dans les frigos et pompes à chaleur (PAC).

Quel est le principe de la thermoacoustique ?

Il s’agit d’un phénomène naturel complexe, à la croisée des chemins entre trois disciplines : la thermique, l’acoustique et la mécanique des fluides. Il correspond à la propension d’une onde sonore à échanger de la chaleur avec un solide ou un liquide.

C’est en faisant de la cryogénie (1) que ce principe a été découvert. Les machines des chercheurs se mettaient en résonnance et cassaient subitement. C’est comme ça que mon père, qui était enseignant et chercheur en cryogénie, s’est passionné pour la thermoacoustique.

Cela signifie que le son transporte de l’énergie thermique ?

Effectivement, les ondes acoustiques sont un vecteur de transfert thermique (chaud ou froid) quelle que soit leur puissance. Lorsque vous parlez, vous générez 10-6 W de chaleur. Lorsque vous hurlez, c’est 10-4 W. Enfin, à très forte puissance (200 dB), on transporte des kW de chaleur. Le principe est le suivant : une onde acoustique est le mouvement d’un gaz autour d’un point fixe. En avançant, les ondes se compriment et s’échauffent. Et en revenant à leur position initiale, elles se détendent et se refroidissent. On a mis 15 ans de R&D, pour comprendre et créer des machines qui utilisent cette propriété thermique naturelle du son que l’on appelle la compression harmonique.

 

Equium est en pleine industrialisation de sa pompe à chaleur harmonique.

Equium est en pleine industrialisation de sa pompe à chaleur harmonique.

 

Pouvez-vous expliquer de manière simple son fonctionnement ?

Nos machines sont constituées d’un haut-parleur très spécifique qui génère une onde acoustique de forte puissance dans un gaz de travail neutre, l’hélium. Cette onde traverse deux échangeurs de chaleur, l’un, connecté à la source froide extérieure, l’autre, connecté à la source chaude intérieure (radiateur, plancher chauffant). En passant entre ces échangeurs, l’onde acoustique pompe de la chaleur, selon la fréquence de résonance du système de 100 Hz, soit 100 fois par seconde. Bien entendu, l’onde acoustique reste confinée à l’intérieur du système, ce qui permet à nos machines d’être silencieuses.

Quelle innovation ce principe vous a-t-il permis de développer ?

Nous avons développé une brique technologique, cœur d’un nouveau type de PAC : la PAC harmonique. Elle est plus performante et durable, mais aussi plus simple à installer, maintenir et utiliser qu’une PAC classique. Nous apportons ainsi une alternative aux compresseurs mécaniques de vapeur utilisant des fluides frigorigènes nocifs pour la planète et à fort potentiel de réchauffe- ment climatique.

Quelles sont vos objectifs avec la création de cette PAC d’un nouveau genre ?

Nous souhaitons participer à la réindustrialisation de la France en développant une filière unique française de pompes à chaleur harmoniques fédérant des acteurs institutionnels, universitaires, industriels et financiers du territoire. Cela permettra le développement d’emplois locaux à haute valeur ajoutée (18 ont déjà été créés) en ayant un fort impact économique, social et écologique. Le tout pour répondre aux objectifs du Giec de réduction de 55 % des émissions de CO2 en Europe d’ici 2030.

 

Ce démonstrateur permet aux ingénieurs de produire en temps réel du froid à partir d’une onde sonore.

Ce démonstrateur permet aux ingénieurs de produire en temps réel du froid à partir d’une onde sonore.

 

En quoi vos pompes à chaleur sont-elles écologiques ?

Nos systèmes sont sans gaz à effet de serre. Ils affichent donc une empreinte carbone très faible et sont conçus à par- tir de matériaux 100 % recyclables. Leur durée de vie est de l’ordre de 30 ans, soit deux fois plus qu’une pompe à chaleur classique. De plus, nos systèmes ne nécessitent pas de maintenance et sont très efficaces. On va donc rendre le même service qu’une pompe à chaleur classique mais avec une régulation plus flexible à l’instar du pilotage du son qui génère un meilleur confort thermique, tout en affichant un impact CO2 50 % inférieur et une consommation d’énergie moindre de 20 %. Le tout pour un coût et un encombrement équivalent.

Chez nous, on appelle ça faire du simplexe : simple à utiliser, extrêmement complexe à réaliser.

En quoi peut-on considérer qu’il s’agit d’une innovation de rupture ?

Pour produire du chaud et du froid, on utilise depuis le XIXe siècle la compression mécanique de vapeur. Concrète- ment, on génère un cycle thermodynamique qui permet de chauffer et de refroidir de façon cinq fois plus efficace qu’une chaudière gaz en comprimant un gaz avec un piston pour lui faire changer de phase.

De notre côté, on va rendre un meilleur service pour chacun des acteurs de la chaîne de valeur, en changeant radicalement la façon de le faire. Un peu comme la différence entre voiture thermique et électrique. Chez nous, on appelle ça faire du simplexe : simple à utiliser, extrêmement complexe à réaliser.

Quel a été votre parcours avant Equium ?

Je ne suis pas ingénieur. J’ai étudié à l’École supérieure de commerce à Tours. J’ai ensuite travaillé une dizaine d’an- nées dans le marketing stratégique pour un grand groupe agroalimentaire (Danone). Puis j’ai monté une agence d’innovation par le design (design thinking). En 2008, j’ai découvert les résultats du rapport “limit to growth“ du Club de Rome, qui montrait que, si on ne faisait rien, on allait vers un effondrement du système d’ici 2030. C’est là que j’ai commencé à travailler sur des sujets d’écodesign et me suis mis à regarder comment faire évoluer le business model de mes clients. J’ai rapidement compris qu’il était très difficile de faire bouger les lignes de l’extérieur car il s’agit d’effectuer un changement de paradigme qui doit être par essence une démarche interne de chaque organisation.

 

C’est cette perspective d’effondrement qui vous a poussé à entreprendre ?

Effectivement, ce n’était plus possible pour moi de continuer sur la même lancée. Mon rôle de designer perdait tout son sens. Vers 2013, j’ai commencé à en discuter avec mon père, qui et avait lui-même monté un premier bureau de conception en 2006 pour développer la technologie thermoacoustique.

En 2015, j’ai commencé à travailler sur le sujet en parallèle de mon agence de design. Puis, j’ai décidé de faire un pivot personnel et professionnel. Plutôt que d’être dans une posture de conseil, j’ai choisi de passer du côté des acteurs du changement.

En 2017, j’ai créé à Paris-Saclay la start-up Equium dans une logique d’alignement personnel et professionnel, qui a absorbé l’entreprise historique initiée par mon père. Au départ, nous étions cinq.

Pourquoi avoir déménagé à Nantes en 2019 ?

Pour plusieurs raisons. La première était d’aller au plus proche de nos marchés. À l’époque, nous avions ciblé celui du maritime. La seconde était que l’industrie est une affaire de région, de proximité, de dynamique et d’ajustements rapides : les acteurs de l’innovation de la région Pays de la Loire ont tout de suite exprimé leur désir de nous accueillir.

Comment s’est passée votre arrivée en Loire-Atlantique ?

J’ai été accueilli ici les bras ouverts et nous avons effectivement pu vérifier qu’on joue vraiment collectif sur le plan entrepreneurial, avec en tête de pont de l’écosystème innovant de la région, Atlanpole, qui a tout de suite soutenu notre intégration sur le territoire. Puis la Région, la CCI, des entrepreneurs locaux et plus récemment les Dirigeants responsables de l’Ouest.

Dans un premier temps, nous avons visé le marché des bateaux avec l’idée d’aller récupérer la chaleur perdue des échappements des moteurs. On a ainsi mené un premier projet avec l’École nationale supérieure maritime (ENSM) et les Chantiers de l’Atlantique, financé par la Région. Cela nous a permis d’installer à Nantes un prototype fonctionnel à terre produisant 2 kW de froid à 0°C. Nous avons alors compris en affinant notre compréhension du marché maritime que l’adoption de notre innovation serait lente et qu’il nous fallait développer des relais de croissance pour ne pas rester sur le bord de la route avec un beau concept.

Comment avez-vous fait ?

Nous avons regardé d’autres marchés où notre innovation pouvait avoir du sens : doubler l’efficacité d’une chaudière gaz à usage résidentiel dans un contexte de nécessaire rénovation énergétique semblait a priori intéressant. Regarder cette application a été le parfait exemple du détour fructueux : il s’est avéré que cela n’aurait pas eu de sens économique car le marché du gaz allait subir des interdictions réglementaires et un arrêt de soutien à l’innovation de la part des acteurs industriels. Mais cela nous a permis de découvrir que notre technologie avait un énorme intérêt et des avantages concurrentiels certains sur le marché de la pompe à chaleur. Nous avons alors fait le fameux “pivot stratégique de la startup“ qui cherche à un endroit et trouve ailleurs et nous avons réorienté toutes nos forces sur ce marché en énorme croissance.

 

Qu’avez-vous remarqué en vous penchant sur le marché des pompes à chaleur ?

En comprenant tous les avantages de notre technologie pour ce marché, nous avons décidé de monter un nouveau business plan car nous avions trouvé le marché stratégique par excellence à fort enjeu : 80 % de la consommation d’énergie des ménages est liée au chauffage de l’eau ou des bâtiments, ce qui représente 20 % des émissions de CO2 de notre société. Donc si on veut réduire notre impact, autant attaquer là où ça fait mal.

 

Quelles sont les prochaines étapes pour Equium ?

Nous sommes en pleine industrialisation de notre pompe à chaleur harmonique. La prochaine étape, d’ici la fin de l’année, est d’intégrer notre cœur harmonique dans une pompe à chaleur spécialement conçue à cet effet. L’étape suivante est la livraison des premières machines prévue au 2e semestre 2023 pour des tests en condition réelles, sur des applications résidentielles et tertiaires. Concrètement, on va prendre deux maisons identiques et en équiper une avec une pompe à chaleur classique et l’autre avec notre pompe à chaleur acoustique. Puis, on va comparer les consommations de chacune pour montrer la performance annuelle d’une pompe à chaleur harmonique. Enfin, la commercialisation est prévue début 2024.

Vous avez effectué une levée de fonds de 3 M€ en décembre 2021. À quoi a-t-elle servi ?

En réalité, avec les leviers bancaires, notamment la BPI, nous avons levé 5 M€. Cette somme a servi à embaucher 13 personnes (18 salariés au total) pour industrialiser nos produits et développer nos partenariats industriels.

Quelles sont vos perspectives de développement d’ici trois ans ?

Dans un an, on expérimente. Dans deux, on aura vendu nos cent premières machines et ensuite on table sur un coefficient dix chaque année. Je pense qu’on sera donc en pleine accélération et qu’il faudra effectuer une nouvelle levée de fonds dans un processus d’intégration du marché.

Je suis convaincu que l’avenir d’Equium se jouera également à l’international car notre technologie a une vocation mondiale. Il s’agit de marchés gigantesques. Mais plutôt que passer du temps à réfléchir à ces hypothèses, je préfère concentrer nos forces sur l’étape décisive que l’on a prévue pour l’année qui vient, c’est-à-dire produire des machines. Après cette industrialisation, un champ infini des possibles s’ouvrira à nous.

 

Quel est votre modèle économique ?

C’est celui d’Intel Inside, notre modèle économique va être de vendre nos cœurs harmoniques aux fabricants de pompes à chaleur. Nos cœurs seront conçus et assemblés à Saint-Herblain.

Et votre stratégie de production ?

Notre stratégie, c’est bien évidemment de produire des pompes à chaleur harmoniques en France. Nos cœurs seront intégrés par un premier partenaire stratégique fabricant régional de pompes à chaleur, Arkteos à Guérande. Ce projet est d’ailleurs financé par la Région Pays de Loire. D’autre part, nous venons

de remporter le grand prix du jury du concours #Accélérons de Cougnaud, le leader de la construction hors site, pour réfléchir à des façons efficaces de les intégrer. Nous sommes également en discussion avec de nombreuses autres entreprises, dans le but de développer de futurs partenariats car nous cherchons à construire aussi bien en interne qu’en externe une véritable communauté d’actions pour permettre à cette innovation de trouver son marché.

Vous pouvez développer ?

Quand je parle de communauté d’actions, je fais référence à la relation et la façon d’être ensemble au sein de l’entreprise. Car on ne peut pas créer d’in- novation technologique, sans innovation managériale. Equium, c’est donc aussi un laboratoire où l’on va chercher à inventer une autre logique d’organisation collective, créer des rituels, autour du projet qui est le patron, sans hiérarchie. C’est un modèle vivant organisé de façon horizontale en sources, avec une source globale que je représente et des sources spécifiques qui forment effectivement une communauté d’actions.

En quoi la création de votre start-up a-t-elle été un challenge ?

Ça a été un projet complètement fou car je ne connaissais rien au domaine de l’énergie, ni à l’industrie. J’ai compris que ce qui fait un entrepreneur, c’est sa capacité de désirer quelque chose de façon plus intense que la moyenne et d’être capable contre vents et marées de fédérer et d’embarquer des écosystèmes d’agents qui sont prêt à suivre le mouvement car il est porteur de leurs valeurs. C’est aussi un chemin transformateur, car en construisant la stratégie de votre entreprise et les fameux « why, how, what », vous finissez immanquablement par travailler sur qui vous êtes, quelles sont vos valeurs, et le challenge dans un monde en mouvement est de réussir à ajuster son alignement en permanence.

 

En décembre 2021, une levée de fonds de 5 M€ a permis à Equium de recruter 13 nouveaux collaborateurs.

En décembre 2021, une levée de fonds de 5 M€ a permis à Equium de recruter 13 nouveaux collaborateurs.

 

À quelles difficultés propres à l’innovation de rupture avez-vous dû faire face ?

Développer l’énergie du son a toujours suscité un fort intérêt chez nos interlocuteurs, un peu comme être confronté à un mythe. Mais une fois passé l’effet “whaou c’est incroyable“, on passe vite à “mais est-ce vrai?“. Il a donc fallu démontrer que c’était possible et faire preuve de pédagogie, rassurer, avec souvent l’impression d’être dans une vallée de l’étrange dont nous sommes en train de sortir.

La seconde difficulté a été de trouver les applications marché pour la technologie, ce qui nous a fait pivoter deux fois, comme c’est souvent le cas dans les histoires d’innovation. D’ailleurs, il est intéressant a posteriori de constater que quand toutes les planètes ne sont pas alignées, il est compliqué de convaincre des industriels d’être les premiers à intégrer une innovation ou encore de lever des fonds. Or dès le second pivot sur le marché de la PAC, nous avons aligné besoin marché, contraintes environnementales, performance de nos machines et avantages concurrentiels contre l’existant. Nous avons alors levé en six mois ce dont nous avions besoin pour construire une équipe et accélérer alors que nous cherchions à le faire auparavant depuis cinq ans.

Comment y avez-vous répondu ?

On prouve, on expérimente, on implémente… On se met en résonance avec nos environnements dans un monde en accélération permanente pour réduire l’écart entre les innovateurs que nous sommes, qui ont tendance à multiplier par trois l’intérêt de leur innovation, et les utilisateurs de nos produits ou services qui ont tendance à multiplier par trois l’effort qu’ils vont devoir faire pour adopter cette innovation. Pour réussir dans l’innovation de rupture, il faut avant tout savoir s’ajuster, faire des détours, être persévérant et avoir une bonne dose de courage ! Vous n’allez pas forcément trouver ce que vous cherchiez au début, mais vous allez avoir d’autres idées et des solutions vont émerger…

 

Quelles sont les autres applications qui pourraient découler de la thermoacoustique ?

À terme, la thermique des voitures électriques sera un marché important pour la compression harmonique, qui présente des avantages de réversibilité sans contrainte de température très froide ou très chaude. Des applications industrielles de forte puissance pour des pompes à chaleur très haute température (140°) sont également envisageables.

En quoi le son est-il selon vous une énergie d’avenir ?

Aujourd’hui, l’énergie du son est un phénomène naturel que l’on arrive à exploiter. C’est l’une des énergies les plus puissantes et on n’a pas fini de découvrir tout ce qu’on peut faire avec. D’ailleurs, je suis convaincu qu’à terme, la compression harmonique devrait sur certaines applications de production de chaleur et de froid, remplacer la compression mécanique de vapeur, car elle est efficace, écologique et robuste.

Notre mission est donc de libérer la puissance de cette énergie naturelle en la diffusant le plus largement possible, pour enclencher une rupture technologique qui devienne une des solutions au problème climatique.

Ensuite pour conclure et avancer vers une économie régénérative, cette in- novation n’est qu’un “enabler“ (facilitateur, NDLR) à mettre en perspective avec un alignement nécessaire de toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur de la rénovation énergétique pour favoriser la demande (passer à des systèmes plus efficaces) et un usage sobre des technologies, tout en favorisant la rénovation énergétique des bâtiments.

 

(1) La cryogénie est l’étude et la production des basses températures dans le but de comprendre les phénomènes physiques qui s’y manifestent.

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