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Entretien avec Catherine Deborde du Réseau Entreprendre Atlantique : « Je me sens alignée »

Directrice de Réseau Entreprendre Atlantique depuis trois ans, Catherine Deborde incarne avec bonheur les valeurs de ce réseau de chefs d’entreprise profondément ancré sur le territoire. Portrait d’une femme qui semble avoir trouvé son ikigaï *.

Catherine Deborde

Catherine Deborde © Benjamin Lachenal

Des yeux qui pétillent. Un large et franc sourire. De nombreux éclats de rire. Faire la connaissance de Catherine Deborde, c’est forcément remarquer un enthousiasme et un entrain qui éclaboussent joyeusement ceux qui l’entourent. Des signes qui ne trompent pas, dessinant une femme alignée. À sa place.

Nantaise de naissance, Catherine a passé vingt-cinq ans de sa vie à Nancy, avant de revenir sur notre territoire à l’âge adulte. Aînée d’une fratrie de trois enfants, elle raconte une enfance heureuse, bouleversée néanmoins à l’âge de onze ans par le décès de son père. Sa mère, agrégée de Lettres, ambitionnait d’être conservateur de musée. La mort de son mari change la donne. Bénéficiant de la politique de soutien du conjoint mise en place par EDF où son mari exerçait comme conseil juridique, l’enseignante décide de passer une maîtrise de droit public, « tout en donnant ses cours de français, latin, grec et avec trois petits », remarque, admirative, celle qui est elle-même mère de trois enfants. « Je me souviens de lui avoir fait réciter ses cours la nuit. Elle a systématiquement obtenu ses années brillamment », énonce-t-elle avec fierté, soulignant par la suite un parcours professionnel remarquable.

Liberté chérie

De cette époque, elle dit garder de bons souvenirs. Certains l’ont aussi marquée de manière indélébile. « J’ai entendu très vite : “quoi qu’il t’arrive dans la vie, il faut que tu sois autonome et indépendante financièrement.” Cette petite musique n’est jamais ressortie et elle va bien avec ma valeur liberté », reconnaît-elle. Cette soif de liberté, elle la manifeste très tôt. Et elle ne s’est visiblement pas apaisée avec le temps…

© Benjamin Lachenal

« Bonne élève, mais aussi très rebelle », selon ses mots, la jeune Catherine n’est pas du genre à passer sa vie le nez collé aux bouquins, même si elle voue un amour inconditionnel aux livres. Après le collège, où elle intègre les classes musicales dont elle garde « un souvenir émerveillé », elle poursuit sa scolarité avec un parcours lycéen classique. Déléguée de classe et d’établissement, elle découvre alors le militantisme, qui ne la séduit pas, loin s’en faut. « On ne m’encarte pas, je n’aime pas ça », affirme-t-elle. Ce qu’elle aimait, en revanche, c’était « batailler, aller défendre les autres, ce qui m’a valu quelques reproches car je n’y allais pas forcément avec le dos de la cuillère », reconnaît-elle, un brin espiègle.

S’ensuivent des études de droit à Nancy. Elle confie avoir hésité avec médecine. Ce qui emporte son choix ? « C’était à dix minutes de chez moi », répond-elle en partant dans l’un de ses éclats de rire libérateur. Avant de préciser, aussi, que cela lui garantissait un choix des possibles suffisamment vaste pour ne pas lui fermer de portes. Liberté toujours…

Après avoir « redoublé joyeusement la première année », elle poursuit ses études avec un mélange réussi de sérieux et d’insouciance. Une dualité qu’elle assume d’ailleurs parfaitement. Avec une bande de copains, elle crée notamment un bureau des élèves et se retrouve rapidement responsable des stages… et des fêtes. Elle résume cette expérience d’un « Qu’est-ce qu’on s’est marré ! », mais évoque aussi la prospection dans les entreprises, les training de CV et d’entretiens de recrutement, permettant à des étudiants très éloignés du monde de l’entreprise de se familiariser avec les codes de celui-ci.

Sa première expérience professionnelle va brutalement la mettre face à une autre réalité. D’abord stagiaire en DESS avant d’être embauchée, elle se retrouve à accompagner le licenciement de la moitié du personnel d’une PME qui brasse de la bière… « J’avais 22 ans, je pleurais toutes les nuits parce que je devais licencier des pères de famille. J’ai grandi d’un coup », résume-t-elle, laconique. Quand on lui demande comment elle s’est acquittée de cette tâche, elle répond : « Il faut le faire, alors tu le fais, en tâchant d’être la plus équitable possible et en prenant soin des gens. Et, dieu merci, mon travail consistait aussi à accompagner ces personnes dans la recherche d’un emploi leur permettant de rebondir. »

L’humain d’abord

Au travers des différentes expériences professionnelles qu’elle évoque, Catherine Deborde met un point d’honneur à tirer du positif. Une force de caractère associée à un vrai souci de l’autre, qui l’aideront lorsqu’elle se retrouvera confrontée à des situations difficiles. Ce qui la fait choisir un poste ?

« L’humain et, soit une situation de difficulté, soit la création de quelque chose. » Réseau Entreprendre constitue en cela une exception dans sa carrière, affirme-t-elle.

Elle tient fermement les rênes de sa vie professionnelle, jusqu’à la mutation de son mari à Nantes. Enceinte alors de son troisième, elle avoue ne pas s’être posé de question pour le suivre. « Je suis partie la fleur au fusil. Je n’ai pas mesuré une seconde que ne plus travailler serait terrible pour moi. » Arrivée en mars 2002 avec ses enfants, la petite famille s’installe de manière temporaire au Pouliguen. « Et là, j’ai dégusté, se souvient-elle. Je suis une horrible citadine. J’ai toujours vécu en centre-ville et j’adore ça. Pour moi c’est le lieu du “si je veux, je peux”. » Rupture professionnelle, rupture sociale… Catherine vit cette période de six mois comme une mise à l’épreuve. Dès qu’elle le pourra, elle retrouvera donc le centre-ville de Nantes et un travail qui lui permette de retrouver un équilibre de vie qui lui est cher.

J’avais 22 ans, je pleurais toutes les nuits parce que je devais licencier des pères de famille. J’ai grandi d’un coup.

C’est à l’occasion d’une nouvelle épreuve, quelques années plus tard, qu’elle va croiser le chemin de Réseau Entreprendre Atlantique. Alors directrice régionale pour la filiale d’un grand groupe, elle effectue une mission de transition.

Dans les nouveaux locaux de Réseau Entreprendre Atlantique, avec des entreprises membres et une partie de l’équipe de l’association. © I.J.

 

« Et là, j’ai découvert mes limites », affirme-t-elle. Confrontée à un univers professionnel qui ne lui ressemble pas, « avec des collaborateurs très défavorisés qui n’avaient pas de sentiment d’appartenance à l’entreprise » et à un décalage criant entre le discours tenu par le groupe sur ses priorités et la réalité, elle constate qu’« avec la meilleure volonté du monde », elle n’y arrivera pas.

C’est alors qu’elle repère l’offre pour le poste de directeur de ce réseau de chefs d’entreprise qui en aident d’autres à grandir. « C’était la première fois de ma vie que je postulais vraiment pour moi », confie-t-elle, évoquant un poste « parfaitement aligné entre qui je suis, ce que je sais faire, ce que j’aime faire. C’est riche, varié, joyeux, triste, solidaire, optimiste… Pour le coup, moi qui ai horreur de la routine, ce n’est pas du tout routinier ! » Intarissable sur les valeurs de « Réseau », comme elle l’appelle, elle s’enflamme : « Tout l’écosystème est vertueux, on œuvre tous pour une mission d’utilité publique : l’emploi… c’est quand même incroyable de faire ça ! » Ce poste, elle le sait, est à durée déterminée. Alors, en attendant la prochaine marche, elle le vit pleinement. Intensément. À 200%.

Les mots des autres…

  • Carole DE LAPOYADE, coordinatrice du Rire Médecin : « Une grande générosité »
    « On s’est rencontrées il y a plus de dix ans. C’est quelqu’un d’une grande générosité, avec une capacité d’écoute sincère, hors du commun et sans se forcer : elle ne la travaille pas. Et comme tous les bons écoutants, elle ne donne pas la solution, elle nous laisse l’opportunité de la chercher. Dans toute cette période de Covid, avec pour certains entrepreneurs des situations insolubles, elle a ce côté protecteur. Elle les appelle et leur demande : « Et toi, comment vas-tu ? »
  • Joséphine BATISTA, dirigeante de Net Service : « Elle sait mettre en confiance »
    « J’ai rencontré Catherine dans le cadre de Réseau Entreprendre, lors du comité d’engagement pour devenir lauréate. J’étais assez stressée et elle m’a beaucoup rassurée. Elle sait mettre en confiance. Elle est toujours à l’écoute, bienveillante et sait trouver les bons mots pour donner cette énergie dont on a besoin. Dans mon parcours, c’est une personnalité marquante et ce qu’elle donne va bien au-delà des échanges professionnels. »

* Philosophie de vie japonaise qui vise à être parfaitement aligné avec soi-même et son environnement.

 

À brûle-pourpoint

Quel métier vouliez-vous faire plus jeune ?

Il y a eu un moment où je voulais être pilote de chasse et puis on m’a dit que ce n’était pas possible pour les filles… Alors j’ai voulu être médecin… J’ai aussi eu envie d’avoir une boîte de nuit, parce que ce sont des souvenirs très heureux de ma jeunesse. Une boîte de nuit ou un bar, en tout cas un lieu qui accueille des personnes pour qu’elles puissent se sentir bien, oublier leur stress. J’ai aussi voulu être avocate…

Et si aujourd’hui vous pouviez exercer un autre métier ?

Ça, c’est une inconnue absolue ! Il faudrait qu’il y ait une dimension humaine, d’utilité. Une chose dont je suis convaincue, c’est que je ne serai jamais créatrice d’entreprise, car je n’ai pas d’idées, je ne suis pas formatée pour ça. En revanche, reprendre avec un ou des associés un restaurant, un bar, ça peut être une super aventure. Mais ce qui est sûr, c’est que ça ne sera jamais seule !

Quelle(s) personnalité(s) admirez-vous ?

Simone Veil, évidemment. En tant que juriste, femme, admiratrice du monde et de la tolérance, tu ne peux pas ne pas être scotchée par cette femme-là. Et Clint Eastwood, parce que depuis que je suis toute petite, je suis une fan inconditionnelle. Ce type, qui est un Républicain convaincu, est capable de faire des films d’une profondeur et d’une humanité inouïes !

Un livre ou un film qui vous a marquée ?

J’aime tellement de choses différentes… D’une manière générale, j’ai toujours aimé la littérature du sud des États-Unis. Tout ce qui va avoir trait au racisme et à ceux qui se sont battus contre. Et parce que c’est une littérature de soleil et de chaleur. Dans les derniers, j’ai adoré Underground Railroad. Mais j’ai aussi été très choquée et épatée par My Absolute darling et j’ai pris beaucoup de plaisir à lire L’Anomalie.

Côté films, je dirais Star Wars. Outre l’émotion, parce que ce sont des personnes qui ne se connaissent ni d’Ève ni d’Adam et qui, lorsqu’elles se rencontrent, ne s’apprécient pas du tout, ne sont a priori pas faites pour travailler ensemble, mais vont se réunir pour l’atteinte d’un objectif commun et vont réussir. C’est la richesse de la différence.

Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?

Mon petit-déjeuner ! C’est sacré ! Ça a toujours été un moment pour moi. Je lis, je prends mon temps.

Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur ?

Que les gens soient heureux, à commencer par ceux que j’aime, bien sûr. J’aime la richesse du monde, la mixité, donc tout ce qui va être lié au respect, à la tolérance… L’honnêteté, ça me tient à cœur. Et la joie ! C’est peut-être une façon naïve de voir les choses mais tant mieux. Je ne suis pas du tout blasée.

Votre plus grande fierté ?

Mes enfants. Parce qu’ils sont chouettes. Ils ont cette notion de respect, ils sont drôles, ils ne végètent pas, ils savent que l’argent ne tombe pas du ciel et que si tu veux quelque chose, il faut s’en donner les moyens. Sans écraser les autres, bien sûr. Je ne suis pas fière d’une réussite en particulier, je n’ai pas ce type d’ego. Fière, si, d’avoir fait travailler ensemble des gens qui n’arrivaient pas à le faire. Fière aussi de ce qu’on fait chez Réseau et heureuse, plutôt que fière, d’y contribuer à mon échelle.