Faire du neuf avec du vieux, l’économie circulaire en connaît un rayon. Mais lever des fonds prend encore des airs de quadrature du cercle pour les entrepreneurs du secteur. Il faut dire qu’ils ne se facilitent pas la tâche non plus pour attirer les investisseurs : dans leur quête de préservation des ressources et de réduction des déchets, notamment par la réparation, le réemploi, la remise à neuf ou le recyclage, ils en viennent parfois à des solutions originales… pour ne pas dire loufoques.
« On développe la maison en carton », lance ainsi Alain Marboeuf à l’auditoire de Start West, une rencontre entre investisseurs et start-up, organisée le 4 avril dernier à Nantes. « Cela peut faire sourire, mais depuis dix ans, nous prouvons que c’est un matériau de construction innovant, issu du recyclage et recyclable », poursuit le fondateur de Bat’Ipac (Saint-Aignan-de-Grandlieu). Lauréate dans la catégorie industrie, sa « vieille » jeune pousse, née en 2012, cherche 3 M€ pour lancer sa commercialisation à grande échelle.
L’économie circulaire à l’eau
L’exemple de Bat’Ipac n’est pas un cas isolé. Les projets circulaires, souvent à dimension locale, défrichent des terres inconnues et renversent les conventions établies, dans une économie globalisée et linéaire, peu habituée à voir ses déchets comme des ressources à valoriser et ses rejets comme des dommages à diminuer. Un nouvel horizon qu’Armel Tripon a pourtant choisi d’explorer.
À Malville, le navigateur nantais conçoit son bateau de course à partir de « carbone périmé » (récupéré chez Airbus) et de titane recyclé (en provenance d’hôpitaux). « La construction d’un monocoque Imoca, c’est 600 tonnes de CO2 émises. On veut passer à 300 tonnes et montrer que l’on peut être écoresponsable et performant », résume le skipper. Ce pari osé, le Nantais le relève avec le soutien d’industriels (Airbus et Duqueine Atlantique), de banques et de mécènes. « On a mis un peu de temps à démarrer parce qu’on est sur de gros montants », reconnaît le skipper. La mise à l’eau du voilier a été repoussée à septembre. Mais Armel Tripon tient bon la barre : « Il faut des initiatives un peu décalées et innovantes, comme celle-ci, pour donner confiance et amorcer un mouvement. »
La réglementation aux avant-postes
Célie Couché en sait quelque chose. La fondatrice de Bout’ à Bout’ est l’illustration parfaite d’une économie circulaire en avance sur son temps… Quand bien même elle ressuscite des pratiques du passé – en l’occurrence, ici, le verre consigné. « On redéveloppe toute la filière, de la collecte à la revente des bouteilles », précise-t-elle. Une démarche ambitieuse, concrétisée en octobre par l’ouverture d’une usine de lavage à Carquefou, présentée comme la plus grande du pays.
Ce retour en grâce du réemploi n’était pourtant pas gagné. Bout’ à Bout’ s’est lancé en 2016 en tant qu’association, « un format adapté pour expérimenter et sensibiliser. Et parce que nous n’étions pas vraiment rentables ».
En 2022, la structure se transforme en société et boucle une première levée de fonds de 7,3 M€ l’année suivante. Le tour de table réunit business angels, fonds à impact, industriels, État, Région et particuliers. Une convergence d’intérêts que l’évolution des mentalités ne suffit pas à expliquer. « La loi Agec (pour « anti-gaspillage et économie circulaire », NDLR) est aussi venue nous aider », glisse Célie Couché. Le texte, adopté début 2020, veut faire grimper à 10 %, en 2027, la part des emballages réemployés en France (deux fois plus que l’objectif 2023).
La réglementation a également fait bouger les lignes chez Manitou (Ancenis). Ici, c’est la directive européenne CSRD sur les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), applicable depuis le 1er janvier, qui a rebattu les cartes. Elle a conduit à la désignation de « pilotes de transformation » au sein du groupe d’engins de manutention. Leur mission ? « Intégrer au cœur de nos métiers 1 178 indicateurs de performance liés à la durabilité », détaille le directeur des solutions cycle de vie, Pascal Graff.
Les industriels à l’affût
« Tous les grands groupes prennent l’économie circulaire très au sérieux », confirme Jean-François Brazeau. Le cofondateur de Stimcar (Couëron) peut témoigner de l’accélération des industriels sur le sujet : d’abord soutenue par des banques, son entreprise de reconditionnement de véhicules d’occasion a fini par taper dans l’œil du quatrième constructeur automobile mondial. Stellantis est entré au capital en 2022… soit moins de deux ans après l’ouverture de son premier atelier !
Développement local plutôt que centralisé, achat de matériel reconditionné à la place du neuf, prime à la réparation des pièces sur leur remplacement… Stimcar fait de l’économie circulaire presque sans le vouloir. « Pour nous, c’est du bon sens, assure Jean-François Brazeau : cette démarche contribue à la valeur de l’entreprise. »
Les investisseurs à la traîne
Stellantis l’a bien compris. Les fonds d’investissement un peu moins. « On n’aime pas trop quand il y a des industriels au capital », s’excuse Amélie André, directrice innovation et impact chez Sodero Gestion. Mais le problème ne serait-il pas plus profond ? Tout au long de ces témoignages, le capital-investissement a paru systématiquement en retrait des projets. Pour sa part, Sodero Gestion ne rechigne pas à s’engager sur cette voie. Mais son fonds régional durable, créé fin 2023 avec 22 M€, ne compte que deux entreprises en portefeuille (le Nantais Faguo et le Quimpérois Polaris), bientôt rejointes par deux autres, pour un objectif, à terme, d’une quinzaine de PME et ETI soutenues.
L’économie circulaire ne manque pourtant pas d’avenir au vu des gisements de déchets et des chaînes de valeur concernés. Elle est même « inévitable, tranche Armel Tripon, car les ressources vont se raréfier. Il nous faut réinventer nos modèles. Alors n’ayez pas peur, lancez-vous », conclut le skipper à l’attention des entrepreneurs. Un message qu’il aurait pu tout aussi bien adresser aux investisseurs eux-mêmes.