Comment allez-vous ?
C’est un peu dur pour tout le monde. Il y a des clients de Goubault Imprimerie qu’on n’a pas pu revoir depuis le mois de mars, certains ont été soit confinés, soit en télétravail et, dans certaines entreprises, les visites sont interdites. Alors oui, on est devenu des experts de Skype, Zoom, Teams, mais ce n’est quand même pas pareil !
C’est difficile pour un dirigeant, aujourd’hui, d’avoir de l’enthousiasme. C’est compliqué, quand le business est triste, de trouver l’énergie positive qui ne soit pas du béni oui-oui, du « y’a qu’à faut qu’on » ou du « ne t’inquiète pas, tout va bien ». Dans la presse, on voit régulièrement de bonnes nouvelles et c’est génial, ça me nourrit, mais j’ai aussi tellement de copains chefs d’entreprise qui sont en difficulté…
On a pris une grosse raclée avec les deux confinements et au milieu, il y a bien eu une reprise, mais molle, insuffisante. Dominique GOUBAULT
Justement, comment se porte votre activité Goubault Imprimerie ?
D’habitude, novembre et décembre sont les plus gros mois de l’année. Et là, on ne va même pas faire des mois normaux.
On a fermé quasiment un mois et demi pendant le premier confinement et tout s’est arrêté, on a même suspendu des travaux en cours d’impression… Le deuxième confinement est pour nous presque aussi brutal que le premier, avec des cartes de vœux, des calendriers qu’on ne fera pas, des projets décalés à l’année prochaine…
On va être à -30% cette année. On a pris une grosse raclée avec les deux confinements et au milieu, il y a bien eu une reprise, mais molle, insuffisante. Ce n’est pas catastrophique, la boîte qui a 123 ans est solide. Mais ces deux mois qu’on a perdus, on les traîne toute l’année.
Comment faites-vous face ?
Dans ces cas-là, il faut mobiliser, être sûr de notre stratégie, continuer d’enchanter la relation client, magnifier les projets. C’est là que la RSE que l’on met en œuvre depuis des années trouve tout son sens.
De quelle manière ?
Cela passe par l’attention aux autres, l’accompagnement de ceux qui sont le plus en difficulté dans l’entreprise. Lors du premier confinement, on a pas mal animé la période collectivement, c’était bien, mais en termes de suivi individuel, on n’a pas forcément pris le temps d’appeler chacun : on était groggy ! Les quinze premiers jours, les gens se sentaient en vacances et puis au bout d’un moment ils se sont lassés d’être chez eux, enfermés. Ils avaient envie de bosser ! On s’est aperçu que c’est un peu comme dans une famille, quand un membre est loin, il manque !
On voit que les relations clients-fournisseurs se tendent. C’est votre cas ?
Ce qui est dur, c’est de ne pas être appelés par certains clients qui arrêtent les projets. Ou qu’ils ne te répondent pas quand tu les appelles alors que tu travailles avec eux depuis des années…
Les gens pensent à leurs objectifs personnels et pas à la relation long terme. Pourtant, ça aussi c’est de la RSE ! Je déteste la négociation de supermarché, donc je traite mes fournisseurs comme je souhaite que mes clients me traitent. On cherche à trouver la meilleure formule afin de continuer à travailler ensemble, y compris avec des boîtes qui ne sont pourtant pas faciles à manœuvrer.
En matière de RSE, tout le monde déclare en faire, mais ça reste souvent dans le domaine de l’intentionnel, c’est du greenwashing. Nous, on donne les preuves de notre engage- ment depuis 2003. Même si ce sont des petits pas modestes. On a pris le parti de faire plein de petites choses, parfois très simples, comme de ne plus payer les salariés après le 30 du mois ou de changer les ampoules pour passer en Led 1.
Le problème, c’est que la RSE n’est pas encore suffisamment valorisée dans les appels d’offres, par exemple. L’acheteur doit « critériser » ses achats en mettant un pourcentage RSE, et que celui-ci soit basé sur des preuves, pas du baratin.
Vous êtes investi dans la RSE depuis des années, vous avez encore des projets à mener dans ce domaine ?
On a encore plein d’idées ! Je voudrais travailler sur les temps sociaux. Faire en sorte que les collaborateurs travaillent davantage à la carte. Par exemple, on pourrait imaginer que quelqu’un qui a ses enfants en garde partagée ne travaille pas le même nombre d’heures ou pas aux mêmes moments, une semaine sur deux. Ou voir comment on pourrait aider collectivement un salarié qui a des problèmes personnels à prendre des congés en plus. Pour cela, il faut que les salariés s’autorisent à demander de l’aide et qu’on mette en place des dispositifs de détection des signaux faibles.
On peut faire de la solidarité de différentes manières, à travers le mécénat, par exemple. J’estime que c’est au moment où c’est le plus dur, et pour nous et pour eux, que, justement, il faut manifester son engagement 2 !
Beaucoup de dirigeants ont profité de la mise en sommeil de leur activité pour prendre du recul et rebondir. Est-ce votre cas ?
On n’a pas trouvé de nouveau modèle de business qui ne soit pas dans notre axe de valeurs. On a bien pensé à aller sur d’autres marchés, mais ce n’est pas si simple que ça en termes de stratégie d’entreprise, d’investissement, de compétences.
Et, faire de la croissance externe, ce n’est jamais simple non plus. Je vois régulièrement des boîtes qui viennent pour se vendre. Mais ce n’est pas forcément le bon moment de racheter une boîte dans un marché en décroissance et des entreprises qui sont sous perfusion.
Malgré tout, êtes-vous confiant à moyen terme ?
Oui, car on arrive de plus en plus souvent à démontrer que la trace carbone du papier est meilleure que la trace électronique, pour peu que l’on travaille de manière écologique, avec du papier certifié, des encres végétales. On est en train de semer cette idée et je pense qu’elle va finir par porter. Après le tout digital, il y a un rééquilibrage en faveur du papier.
Certains, par exemple, ont pensé économiser sur le print en ne publiant plus leur rapport d’activité. Sauf que personne ne le lit s’il est numérique ! Et à quoi sert de faire un rapport d’activité s’il n’est pas lu ?
De la même façon, après la crise de 2008-2009, les journaux d’entreprise avaient soit été arrêtés, soit basculés vers le digital. Mais alors on ne touche plus tout le monde et le digital n’a d’intérêt que pour l’actualité chaude. On a réussi à convaincre nos clients de traiter leurs sujets de fond sur le papier, pour expliquer la stratégie de l’entreprise, ses nouveaux produits.
On a également investi le marché du livre en autoédition avec financement participatif. Beaucoup d’artistes, des graphistes, des peintres, veulent diffuser leurs œuvres et font désormais de la précommande sur des plateformes type Ulule ou KissKissBankBank. On a une bonne expertise là-dessus pour trouver la meilleure formule entre qualité du papier, écologie, rapidité, optimisation des chutes donc du coût… On est architectes de projets et c’est ce qu’on adore !
Quels sont vos enjeux ?
On va très vite, de plus en plus vite. Plus que jamais quand le client arrive chez nous, il est en retard. On doit traiter une centaine de dossiers de fabrication en même temps, entre ceux qui démarrent et ceux qui sont en train de se terminer, avec des écarts de vitesse, des problématiques clients qui sont toutes différentes. Ça, l’équipe l’a compris et derrière on reçoit de nombreux remerciements clients et ça leur donne du sens au travail. Car ce que l’on veut, c’est enchanter la relation client ! L’année dernière, on a reçu 116 remerciements écrits sur 500 clients et 4 000 dossiers de fabrication. On fait 90% de notre business sur la métropole nantaise, on a envie de travailler avec notre écosystème ! On veut être le petit boucher du coin qui vend la côte de bœuf et le lendemain vous dit : « Alors elle était comment ? Tenez, aujourd’hui, je vous propose de goûter ça. » C’est ça notre business model ! On est comme le petit commerçant de quartier qui reconnaît ses clients. On est le local de l’étape et on se revendique comme ça : on connaît bien nos clients, ils nous connaissent bien et on est là pour leur décrocher la lune quand il faut, leur donner les meilleures solutions écologiques, que les documents qu’on imprime leur fassent faire du business.
L’année dernière, vous avez ouvert une parenthèse de trois mois loin de l’entreprise. Qu’est-ce qu’elle vous a apporté dans votre rôle de dirigeant ?
Ça m’a apporté trois choses. D’abord, de constater que je ne suis pas toujours nécessaire dans le quotidien : ce n’est pas du désengagement, c’est de la responsabilisation des équipes. Ensuite, ça m’a apporté une bonne respiration de couple. Et enfin, ça m’a fait un bien fou ! Je pense que le dirigeant, globalement, s’occupe bien de ses salariés, mais très peu de lui-même. On n’est pas des surhommes et pourtant on se retrouve souvent un peu coincés par le système. Je pense qu’il vaut mieux faire ça avant de péter un plomb. Malheureusement, le surengagement, la suractivité guettent tous les dirigeants et beaucoup de salariés en ce moment.
On a la chance de ne pas avoir peur de disparaître, mais on veut juste passer, avec nos clients, de la trouille de perdre à l’envie de gagner, retrouver un peu de fun ! Dominique GOUBAULT
Que vous souhaiter pour 2021 ?
On veut continuer à dégager de l’enthousiasme, multiplier les projets avec chaleur ajoutée. On est une boîte solide, on a la chance de ne pas avoir peur de disparaître, mais on veut juste passer, avec nos clients, de la trouille de perdre à l’envie de gagner, retrouver un peu de fun ! Même célébrer les succès dans l’entreprise c’est plus difficile qu’avant : ce n’est pas joyeux… J’ai envie de faire un concert de rock dès que ce sera possible, au printemps peut-être ? On invitera tous nos clients et nos fournisseurs et on fera une grosse bringue dans l’usine comme on l’avait fait il y a quelques années… On a tous envie de ça !
- Goubault Imprimeur est notamment un des adhérents historiques de Planet’RSE, membre de Dirigeants responsables de l’Ouest, et certifié Iso9001.
- L’entreprise soutient les Restos du cœur, Toit à Moi et Café Joyeux.