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Destruction ou rénovation d’un bien immobilier : l’architecte peut-il s’y opposer ?

À l’heure où la France subit depuis des années une importante crise du logement et que les Français rencontrent des difficultés pour se loger, les acteurs du secteur de l’immobilier doivent choisir entre la rénovation de bâtiments ou leur destruction en vue de constructions nouvelles. Mais quels sont les droits de l’architecte du bâtiment originel ? Peut-il s’opposer à ces opérations ?

Hristo Mironov-Simeonov, Pierre Langlais. DR

Un bien immobilier est-il protégeable dans le principe par le droit d’auteur ?

Lorsqu’est évoqué le droit d’auteur, nous pensons immédiatement aux œuvres musicales, littéraires ou encore d’art graphique. Mais qu’en est-il des œuvres d’architecture qui, pour certaines, peuvent, aux premiers abords n’être perçues qu’à vocation purement utilitaire ?

Le droit d’auteur protège un large panel de créations, que le code de la propriété intellectuelle (CPI) qualifie « d’œuvres », dès lors qu’elles répondent à la condition de l’originalité. En effet, ce code consacre un droit d’auteur « sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (Article L112-1 CPI). Pas de jugement de valeur donc, la protection est possible qu’on aime ou qu’on n’aime pas !

Et l’article L112-2 du même code va plus loin en présentant une liste non exhaustive d’œuvres protégeable dans le principe et au sein desquelles l’on trouve « Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ».

En résumé, dans le principe, un bien immobilier est susceptible d’être protégé par le droit d’auteur. Néanmoins et comme évoqué, ces œuvres doivent encore répondre à la condition d’originalité.


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Qu’est-ce qu’un bien immobilier « original » ?

Cette condition d’originalité est la pierre angulaire du droit d’auteur. À défaut de satisfaire à cette condition, l’œuvre ne sera in fine pas protégée au titre du droit d’auteur. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une œuvre n’est pas originale si elle est nouvelle et se démarque de ce qui existe en l’état de l’art. L’originalité se définit en réalité comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans l’œuvre qui se traduit par un ensemble de choix libres et artistiques témoignant d’un parti pris esthétique de l’auteur.

Appliquée aux œuvres d’architecture et au bien immobilier, la condition de l’originalité ne sera pas remplie s’il est démontré que les plans et croquis de l’architecte ou du dessinateur (ce droit n’est pas alloué qu’aux seuls architectes) ne font que traduire graphiquement des aspects purement techniques sans aucun aspect artistique intégrant une part de subjectivité et donc l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Dès lors que l’œuvre de l’architecte répond à cette condition d’originalité, ce dernier pourra invoquer son droit d’auteur avec les prérogatives qui lui sont offertes par ce droit. Les œuvres protégées au titre du droit d’auteur sont protégées dès leur création sans aucune formalité de dépôt.

En quoi consistent les droits de l’architecte sur le bien immobilier qu’il a conçu ?

Le droit d’auteur confère à l’auteur du bien immobilier et plus particulièrement à l’architecte des prérogatives d’ordre patrimonial et moral. Tout d’abord, le droit d’auteur permet à l’architecte de s’opposer à toute reproduction ou communication au public de ses plans ou croquis, que la reproduction soit faite en deux ou trois dimensions.

Ensuite, le droit d’auteur confère également à l’architecte un droit moral qui lui permet notamment de s’opposer à toute modification, altération, voire destruction de son œuvre sur le fondement du droit au respect de son œuvre (Article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Face à ce constat, nous pourrions donc en conclure que l’architecte dispose d’une arme très puissante lui permettant de s’opposer à la destruction de l’immeuble qu’il a créé. Toutefois, ce droit sera confronté au droit de propriété du propriétaire de l’immeuble qui lui permet d’en disposer de la manière la plus absolue dont de le détruire (article 554 du Code civil). Il s’agit ici de deux droits fondamentaux et une balance des intérêts sera donc nécessaire afin de déterminer lequel faire primer sur l’autre selon le cas.

Comment concilier le droit d’auteur de l’architecte avec le droit de propriété ?

Dans une telle situation de blocage, les juges ont très vite dû intervenir afin de trouver une solution satisfaisante pour les deux parties à savoir d’un côté le propriétaire de l’immeuble et de l’autre, l’architecte qui l’a créé.

Ainsi, la Cour de cassation a posé le principe suivant : « la vocation utilitaire d’un bâtiment commandé à un architecte interdit à celui-ci de prétendre imposer une intangibilité absolue de son œuvre à laquelle son propriétaire est en droit d’apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l’adapter à des besoins nouveaux ; qu’il importe néanmoins, pour préserver l’équilibre entre les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire, que ces modifications n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire et ne soient pas disproportionnées au but poursuivi (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 11 juin 2009, n° 08-14.138)

Mais alors, où situer le curseur sur ce qui est proportionné ou ne l’est pas ? Des exemples en jurisprudence, et notamment pour des situations de démolition d’un immeuble en vue de réaliser un nouvel immeuble destiné à proposer de nouveaux logements nous montrent que le droit moral au respect par l’architecte de l’intégrité de son œuvre perd de sa portée dès lors que :

  • Le bâtiment a une fonction utilitaire et non esthétique
  • Le public a bénéficié d’un temps suffisant pour le contempler
  • L’atteinte au droit moral de l’auteur est justifiée par un intérêt supérieur tel notamment la protection des usagers, un besoin de relogement, la sécurité publique.
  • L’immeuble n’est pas classé au titre des monuments historiques
  • L’alternative à la démolition proposée par l’architecte n’apparaît pas satisfaisante

Partant de là, le droit moral de l’architecte n’est pas absolu, mais il est impératif de se préoccuper de ce sujet et conseillé de contacter ce dernier en cas de risque identifié.

De la même manière, ce droit n’est pas absolu en cas de modification du bâtiment. Dans cette hypothèse, les juges rappellent « qu’il importe cependant, pour préserver l’équilibre entre les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire de l’œuvre architecturale, que les modifications apportées n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire à l’adaptation de l’œuvre à des besoins nouveaux et ne soient pas disproportionnées au regard du but poursuivi » (Cass. 1er civ. 20 décembre 2017, n° 16-13632). Dans cette affaire, il a ainsi été considéré que l’extension réalisée qui modifiait la construction d’origine reprenait néanmoins les couleurs originelles, blanche des murs et bleue des façades et que dans ces conditions il n’était pas démontré qu’elle dénaturait l’harmonie de l’œuvre.

En résumé en cas de modification ou destruction d’un immeuble, droit de propriété et droit moral au respect de l’œuvre de l’architecte vont s’opposer et, selon le bien immobilier concerné et le projet d’aménagement proposé, l’un pourra primer sur l’autre.