Comment, originaire du Loiret, fait-on le choix de Nantes ?
Je suis originaire d’Orléans, issu d’une famille d’industriels. Nous étions six enfants. C’est probablement ce qui m’a donné le goût d’entreprendre. Je suis arrivé à Nantes pour faire mes études à Audencia, où j’ai rencontré ma femme, Marielle. Les hasards de la vie ont fait que nous y sommes restés et nous nous sommes ancrés à Nantes. J’aime construire dans la durée et participer à l’histoire de ce territoire. J’ai appris à l’aimer et je l’ai vu se transformer grâce à l’engagement remarquable de certains.
Lire aussi
L’automobile à la croisée des mondes
Y a-t-il des personnalités qui vous ont marqué dans ce développement économique ?
J’ai toujours senti, et cela date peut-être d’Olivier Guichard (président de la Région de 1974 à 1998, également ancien ministre, NDLR), qu’au-delà des sensibilités politiques, il y a, sur ce territoire, un alignement des collectivités, des CCI et des acteurs économiques autour de projets structurants. Des personnalités, comme Alain Mustière et ses successeurs à la présidence de la CCI, ont porté une vision et se sont engagées pour développer le territoire, presque toujours avec succès. Il est fondamental d’entretenir cette dynamique.
Je suis également marqué par la qualité des réseaux patronaux, particulièrement actifs. J’ai fait un long parcours au Centre des jeunes dirigeants (CJD), une école formidable que j’ai eu la chance de présider entre 2006 et 2008. Cela m’a énormément inspiré et j’y ai beaucoup puisé en faisant entrer le CJD dans l’entreprise par la formation, l’expérimentation de certaines pratiques managériales et l’ouverture de commissions de travail aux collaborateurs. J’y ai également acquis le goût de l’engagement patronal et participé à la création du Réseau Entreprendre à Nantes, en structurant le fonds de prêts autour de banques et d’institutionnels pour accompagner les porteurs de projets. Je m’implique toujours aujourd’hui au sein de la CCI, de NAPF (Place financière du grand Ouest) et du Medef.
« Nous sommes très attachés à la dimension familiale de l’entreprise. C’est une force pour inscrire un projet dans la durée. »
Comment avez-vous intégré SEPAMAT ?
J’ai commencé ma vie professionnelle chez KPMG à Nantes, où j’ai appris à compter et à comprendre le fonctionnement des entreprises. Pour autant, je ne me voyais pas poursuivre dans la carrière libérale, mais plutôt rejoindre une PME, avec un projet de développement et la perspective d’y prendre des responsabilités et de m’y associer. C’est ainsi que j’ai connu Tony Lesaffre, en avril 1991. Tony avait repris SEPAMAT huit ans auparavant, une entreprise spécialisée dans la location automobile. Il sentait que le marché était en train d’évoluer et que ce métier nécessitait rigueur et organisation. Je l’ai rejoint en tant que directeur financier et rapidement nous avons partagé la direction. Il m’a également ouvert le capital, répondant ainsi à mon projet. Je m’y suis lancé à fond et je suis fier et heureux du chemin que nous avons parcouru. Nous avons des profils très différents. Je suis organisateur, stratège, planificateur. Lui est intuitif, créatif, développeur. Nous nous complétions et partagions un socle de valeurs. Nous avons toujours le souci de convaincre l’autre, sans arrière-pensées.
Que représente aujourd’hui SEPAMAT ?
SEPAMAT est devenue une ETI régionale. L’entreprise est engagée dans un projet de transmission autour d’un nouveau binôme, constitué de Quentin Lesaffre, fils de Tony, et Lionel Tiberghien, qui nous a rejoints il y a treize ans. Nous sommes très attachés à la dimension familiale de l’entreprise, une force qui permet d’inscrire le projet dans la durée. Les résultats du jour ne nous font pas vibrer. Ce qui compte, c’est l’amélioration continue et construire un projet autour d’une vision partagée par les équipes et toutes les parties prenantes.
Le groupe compte près de trois cents collaborateurs, répartis sur une quarantaine de sites sur la façade atlantique, et réalise 65 M€ de CA. Sa raison d’être est de développer des solutions de déplacement automobile innovantes, au service d’une utilisation plus raisonnée de la voiture. Son cœur de métier reste la location de véhicules, principalement de courte durée, que nous opérons sous deux marques, Europcar, dont nous sommes le principal franchisé en France, et Loc Eco, qui nous appartient.
Vous vous êtes diversifié dans votre propre secteur d’expertise !
À côté de la location, qui représente 90 % de l’activité, nous nous sommes intéressés à l’autopartage, avec marguerite (système indépendant d’autopartage de la métropole nantaise, NDLR) en 2008, un peu avant Autolib à Paris, sauf que nous n’avons pas opté pour le véhicule électrique et nous n’avons pas perçu de subventions, bien que la métropole nous ait encouragés et soutenus. Elle voulait un acteur local et le discours que nous portions sur la mobilité automobile était en phase avec sa vision. Nous regardions le sujet avec beaucoup de prudence, car le modèle économique nous semblait extrêmement étroit, ce que l’avenir a confirmé. Mais, avec les contraintes sur l’automobile en ville et la redistribution de l’espace public, le service se développe rapidement. Économique et idéal pour des besoins de déplacement de très courte durée, l’autopartage est complémentaire de la location. Il nous apprend également à expérimenter le libre-service, qui reste, pour le moment, très coûteux en France.
Au fil du temps vous n’hésitez pas à intégrer d’autres métiers ?
Considérant qu’ils amenaient beaucoup de valeur à l’entreprise, nous avons décidé d’internaliser des métiers connexes, en les regroupant sous la marque Formule. C’est ainsi que nous avons créé une activité de transport et nous avons également intégré une activité de carrosserie. Nous achetons et nous vendons plus de 6 000 véhicules par an. À la revente, nous justifions de leur état auprès des acheteurs. Enfin, nous développons également la location longue durée de véhicules neufs ou d’occasion, avec des services, notamment par la mise à disposition de véhicules d’attente ou de remplacement.
« Nous voulons surfer sur cette tendance de fond qu’est le passage de la propriété à l’usage automobile. »
Quelle est la complémentarité entre la location et l’autopartage ?
Nous avons rapidement compris que les villes ne s’adapteraient plus à l’automobile, mais qu’à l’inverse, l’automobiliste serait de plus en plus contraint et incité à reconsidérer ses déplacements. Le citadin peut aujourd’hui s’affranchir de sa voiture individuelle et combiner différents modes de déplacement : transports en commun, vélo et autres mobilités douces, autopartage au quotidien et location de voiture en week-end ou en vacances. Notre ambition est d’ancrer ces solutions de mobilité que nous avons créées, en alternative à la voiture individuelle. Marguerite, associée à nos offres d’abonnement à la location Véhicule Idéal et Zenius vont dans ce sens. C’est un axe de développement important, notamment au regard des enjeux environnementaux, car la voiture la plus écologique est celle que l’on n’a pas et que l’on partage. 80 % des utilisateurs de marguerite nous disent avoir renoncé à la voiture personnelle et nos abonnés sont sur la même voie. Ce sont des citadins qui ont franchi le pas et se déplacent autrement.
Marguerite tient toujours la route depuis 2008 ?
Le service connaît un fort développement. Le stationnement et l’accès au centre-ville sont de plus en plus réduits. La contrainte sur l’automobile, que nous pressentions, se concrétise par des mesures politiques et ce phénomène est irréversible. Donc c’est le moment d’accélérer. Le développement de marguerite a été plus lent que prévu, parce que nous étions en avance, mais aussi parce que nous avons commis des erreurs. Depuis que nous avons baissé les prix, le service connaît une croissance importante du nombre d’usagers et de nouveaux clients.
Lire aussi
Avec Marguerite, Sepamat fait fleurir l’autopartage
Vous êtes très attaché à l’expérience utilisateur…
C’est fondamental. Pour ancrer l’usage de la location et de l’autopartage et encourager de nouveaux comportements de mobilité, nous avons l’obligation de faire plus simple et aussi plus économique. Nous avons fluidifié le parcours client, en ligne et en agence, avec des accueils différenciés, parfois même sans intermédiaire, et suivant les typologies d’usagers. Ainsi, à l’aéroport de Nantes, un client régulier n’a plus besoin de passer au comptoir. C’est dans ces conditions que nous parviendrons à convaincre.
Vous avez des projets dans les tuyaux ?
Nous voulons continuer à densifier notre présence. À Nantes, marguerite propose soixante-dix voitures et quelques petits utilitaires. Nous aimerions élargir le service à d’autres communes de l’agglomération et en région. Pour Europcar comme pour Loc Eco, nous voulons développer le réseau, en nous rapprochant des clients. Nous sommes convaincus du déplacement de la propriété vers l’usage automobile. L’acquisition d’une voiture coûte de plus en plus cher et les jeunes générations n’ont ni les moyens ni l’envie d’investir dans un véhicule. En BtoB, notre volonté est de fidéliser, d’amener toujours plus de services, pour nous rendre indispensables auprès des clients qui nous confient les déplacements de leurs collaborateurs, pour des durées courtes ou moyennes. Cela passe par la livraison et reprise sur site et plus de flexibilité.
Et les véhicules électriques ?
Nous sommes dans une situation inédite. Il est rare que le réglementaire devance l’usage. C’est pourtant le cas avec la voiture électrique, poussée par la volonté politique. La fin des ventes de véhicules thermiques a été annoncée pour 2035, mais cet objectif semble aujourd’hui difficilement atteignable. En Europe, les constructeurs automobiles ont bien pris le virage, en s’engageant dans l’abandon du thermique, mais nous constatons que l’appropriation est lente, pour différentes raisons.
Avec au mieux 300 km sur la plupart des modèles, l’autonomie est encore inadaptée à des déplacements longs. En réalité, les technologies ont peu évolué et l’équation reste inchangée : plus il y a de batteries, plus l’autonomie est importante, mais le véhicule est plus lourd et consomme davantage. Bien qu’en progrès, le dimensionnement et la fiabilité des infrastructures de recharge sont par ailleurs encore insuffisants. Enfin, le prix de la voiture électrique reste beaucoup trop élevé par rapport à son équivalent thermique. Les aides gouvernementales sur les véhicules neufs ont stimulé les premières ventes, mais elles ont déjà été supprimées pour les professionnels. Aucun dispositif n’existe pour soutenir les ventes d’occasion.
N’est-il pas question d’imposer aux gestionnaires de flottes de véhicules de s’équiper en véhicules électriques ?
La loi LOM (loi d’orientation des mobilités, NDLR) dessinait, en 2019, une trajectoire d’électrification des flottes. Nous nous sommes inscrits dans ce cadre, en commençant par former nos collaborateurs, pour qu’ils puissent, à leur tour, convaincre et accompagner nos clients dans l’expérience électrique. Nous y sommes parvenus et nous constatons que les réservations de véhicules électriques sont plus nombreuses. Pour autant, nous n’arrivons pas à tenir les seuils fixés par la loi, pour des raisons surtout économiques. Une voiture électrique coûte 30 % plus cher et, avec des temps de recharge longs, son utilisation est 30 % inférieure à celle d’une thermique ou d’une hybride.
Nous découvrons également que personne ne veut porter le risque de la valeur résiduelle de ces véhicules, car elle est encore inconnue. Aux États-Unis, Hertz a acheté cent mille Tesla et, un mois plus tard, le constructeur baissait ses prix de 30 %. Du jour au lendemain, les actifs du loueur ont donc chuté de 30 %. Nous constatons également que la réparabilité des batteries en est encore à ses balbutiements avec des coûts de remplacement exorbitants. Et pour couronner le tout, un nouveau projet de loi sur le verdissement des flottes est déjà à l’étude et prévoit des sanctions financières pour les entreprises qui ne respecteraient pas la trajectoire imposée. Si celle-ci semble tenable pour des flottes de véhicules d’entreprise, elle ne l’est pas pour les loueurs. Nous avons besoin de temps pour nous adapter.
Pour autant vous suivez de près votre impact carbone ?
Nous avons réalisé notre premier bilan carbone en 2022 et nous avons une vision claire des enjeux. Les émissions de CO2 concernent principalement l’usage des véhicules par nos clients, puis tout ce qui découle de la fabrication des véhicules que nous achetons et, enfin, la logistique. Pour atteindre nos objectifs, nous déployons un plan d’action et nous en mesurons l’avancement. Comme toutes les ETI, nous serons soumis aux obligations de la CSRD (la directive européenne sur le reporting de durabilité) et devrons donc produire un rapport de durabilité, notamment sur le volet environnemental. Nous sommes engagés dans une démarche qualité et RSE régulièrement auditée.
L’intelligence artificielle (IA) pourrait-elle vous aider justement à mieux gérer ces flux ?
Faciliter et optimiser l’exploitation des données, en utilisant les possibilités de l’IA, est effectivement au cœur de nos préoccupations, avec l’objectif de développer l’activité, d’améliorer encore l’expérience client et l’efficacité de nos processus, notamment logistiques. La rationalisation des affectations et déplacements de véhicules de location présente des enjeux importants au plan économique et environnemental. Mais cela ne se fait pas d’un claquement de doigts. Si nous identifions les sujets, il nous faut trouver les bons prestataires pour nous aider à intégrer ces nouvelles technologies.
« S’il existe un lieu où l’on peut faire évoluer les comportements, c’est bien l’entreprise. »
Intervenant dans le domaine de l’automobile, n’êtes-vous pas obligé d’être encore plus attentif à l’environnement ?
C’est fondamental. En première intention, on peut nous regarder comme des pollueurs. Mais c’est sous-estimer tous les efforts que nous engageons pour réduire les motorisations des véhicules de notre flotte. Nous développons sur Loc Eco une offre de location de voitures reconditionnées, auxquelles nous donnons donc une seconde vie. Nous revendiquons aussi haut et fort le sujet des émissions évitées, car une voiture de location est une voiture partagée entre une multitude d’utilisateurs. Nous souhaitons en mesurer la réalité et faire reconnaître cette contribution dans notre bilan carbone. Encore une fois, la voiture la plus écologique n’est pas nécessairement la voiture électrique, mais celle que l’on partage.
Ne peut-on pas envisager de nouvelles solutions de partage ?
À la demande de promoteurs immobiliers, nous implantons marguerite dans leurs programmes, pour réduire le nombre d’emplacements de parking et offrir une solution de mobilité aux résidents. Sur Nantes, nous avons déjà une dizaine de voitures dans cette configuration. Il faut que la mayonnaise prenne et que les comportements des citadins changent, afin de s’affranchir de la voiture individuelle.
Dans quelle mesure ces défis forment-ils votre projet d’entreprise ?
Le projet de SEPAMAT repose sur quatre priorités. La première vise à améliorer durablement l’expérience client et collaborateur. La seconde est de faire face aux enjeux de la transition environnementale, technologique et sociétale. La troisième priorité est de challenger en permanence notre business model pour accompagner ces transitions, car l’entreprise doit préserver sa capacité à investir et à intégrer de nouvelles compétences, notamment dans le web, l’informatique ou la cybersécurité. Enfin, la dernière est d’aligner les comportements de tous dans l’entreprise, car nous exerçons un métier de services, dans lequel les hommes et les femmes sont moteurs.
Pour tout cela, il nous faut entretenir la culture d’entreprise et renforcer l’attachement des collaborateurs, pour rester une entreprise où il fait bon travailler. S’il existe un lieu où l’on peut faire évoluer les comportements, c’est bien l’entreprise, et elle se doit d’être contagieuse. En retour, elle attend de la visibilité et un allègement des contraintes de la part de l’exécutif. Car elle reste une organisation vivante et fragile.
En Dates
1983 Tony Lesaffre reprend SEPAMAT
1991 Denis Maure rejoint SEPAMAT en tant que directeur financier, puis directeur général, puis président
2008 Création de marguerite, la voiture en autopartage à Nantes