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Cyril Bazin, fondateur de Cyril Bazin Coiffeur Créateur : « Personnaliser le temps de travail »

À la tête d’une douzaine de salons de coiffure en Loire-Atlantique et Vendée (60 collaborateurs pour 3 M€ de CA), Cyril Bazin défend l’image d’une entreprise à taille humaine à l’écoute de ses collaborateurs. Après leur avoir proposé la semaine de 4 jours dès 2017, il leur offre depuis un an la possibilité de personnaliser leur temps de travail, ce qui se traduit par la fermeture le samedi de 90 % de ses salons. Une stratégie payante puisque le chiffre d’affaires du groupe est en hausse de 10 %.

© Benjamin Lachenal

Quel a été votre parcours avant d’entreprendre ?

J’ai suivi une formation classique en coiffure. Après la troisième, j’ai passé mon CAP, puis mon brevet professionnel. Le tout en apprentissage à Nantes. Ensuite, j’ai intégré une grande franchise avant de devenir responsable d’un salon, toujours à Nantes, en 2004. Comme il s’agissait d’une ouverture, il a fallu monter le salon de A à Z et construire la clientèle. J’ai apprécié le challenge et quatre ans après, j’ai décidé de m’installer.

Quel a été le déclic qui vous a poussé à vous lancer ?

Étant fils de coiffeur, j’avais dans un coin de ma tête le projet d’ouvrir un salon car j’ai toujours eu en moi cette envie d’entreprendre. Ouvrir un salon était la suite logique de mon parcours, mais je voulais impérativement faire ma propre expérience avant de monter une affaire.

Où et quand votre premier salon a-t-il vu le jour ?

C’était en 2008 à Nantes dans le quartier de Procé. J’ai commencé seul avec une apprentie en CAP. Depuis, le salon s’est bien développé puisque l’équipe est aujourd’hui de cinq collaborateurs (4,5 équivalents temps plein). Cette belle progression m’a permis de racheter un deuxième salon à Saint-Herblain trois ans plus tard. Et l’année suivante, en 2012, j’ai repris celui de mon père qui était route de Vannes.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je suis à la tête de huit salons de coiffure en Loire-Atlantique et quatre en Vendée que je viens de racheter. Donc une douzaine de salons au total pour une soixantaine de collaborateurs et environ 3 M€ de chiffre d’affaires. Chaque salon fait environ 70 m2 et j’en ai un qui est exclusivement réservé aux hommes.

Comment avez-vous procédé pour développer ce réseau ? 

J’ai d’abord consolidé chaque rachat de salon avant d’envisager de grandir. Dans le premier que j’ai repris, c’est une de mes collaboratrices qui est devenue responsable. Cela m’a permis de dégager suffisamment de temps pour en racheter un deuxième à proximité et monter une nouvelle équipe. Et ainsi de suite… D’abord dans des quartiers de l’agglomération nantaise. Puis dans les bourgs de communes moyennes de la périphérie de la métropole (Couëron, Sainte-Luce-sur-Loire, Carquefou, Nort-sur-Erdre, Sucé-sur-Erdre, NDLR). Et plus récemment en Vendée, toujours en faisant le choix de m’implanter dans des villes de taille moyenne (deux salons à La Mothe-Achard, un à Talmont-Saint-Hilaire et un à Beaulieu-sous-la-Roche, NDLR). La proximité et l’accessibilité de nos salons sont une priorité dans ma stratégie de développement. J’ai en effet opté pour un modèle de commerce de proximité où l’on se démarque par le fait qu’on propose les mêmes services que dans les grandes enseignes de salons de centre-ville. On y amène un côté plus haut de gamme, tout en offrant une expérience client tournée vers le bien-être.

Cyril Bazin Coiffeur Créateur

© Cyril Bazin Coiffeur Créateur

Vous avez donc misé sur la reprise de salons plutôt que la création ?

Effectivement, la création implique une approche métier qui demande de partir de zéro, de créer sa clientèle mais aussi de monter une équipe. Avec le manque de personnel sur le marché du travail, c’est tout sauf évident aujourd’hui. Je préfère donc racheter des salons qui ont déjà une histoire et une équipe en place. Il ne me reste plus qu’à y amener l’ADN et les valeurs que l’on retrouve dans mes salons, renforcer la technique et l’approche service clients au service d’une expérience réussie.

Justement, pouvez-vous présenter le concept de vos salons ?

Nous proposons un service dédié à la coiffure, féminin, masculin ou enfant, autour de la révélation de la beauté naturelle de nos clients. C’est-à-dire qu’on va leur proposer un parcours personnalisé où l’on va prendre le temps de les écouter et s’intéresser à eux pour cerner leurs besoins. L’idée est d’identifier clairement leur personnalité et leurs envies pour qu’ils ressortent de nos salons en confiance, grâce à une coupe, une couleur, un balayage qui les révèlent naturellement, sans artifice.

Comment se répartit votre chiffre d’affaires ?

Les prestations (coupes, couleurs, brushing…, NDLR) représentent 90 % de notre chiffre d’affaires et les ventes de produits capillaires les 10 % restants. Notre clientèle est composée à environ 70 % de femmes pour 30 % d’hommes.

Quand je rachète un salon, je ne me fixe jamais un chiffre à atteindre ou quoi que ce soit du genre. J’aime au contraire travailler au feeling.

Quelles sont vos ambitions de développement ?

Quand je rachète un salon, je ne me fixe jamais un chiffre à atteindre ou quoi que ce soit du genre. Je ne suis pas du tout là-dedans. J’aime au contraire travailler au feeling. Bien sûr, il y a la partie chiffre qui est importante et que je vais analyser. Mais en réalité, le premier point sur lequel je vais me focaliser, ça va être l’histoire qu’on va pouvoir raconter. D’ailleurs, si les chiffres d’un salon que j’envisage de reprendre ne sont pas très bons mais qu’on peut y amener notre ADN facilement, c’est encore mieux, car on aura une plus grande marge de progression.

Concernant le développement du réseau, je ne suis pas en recherche active comme j’ai pu l’être auparavant mais je reste en veille quant aux opportunités. Vu son développement actuel et les projets de rachats potentiels que j’ai repérés, je pense qu’on aura atteint les 20 salons d’ici cinq ans.

Comment avez-vous vécu la crise du Covid ?

Contre toute attente, très bien. D’une part car le Covid m’a permis de dégager du temps pour réfléchir à ce qu’on pouvait faire de mieux pour protéger les collaborateurs et nos clients dans la perspective de la réouverture : désinfection des mains, peignoir et serviette uniques, désinfection des bacs et fauteuils à chaque client… Des protocoles encore utilisés aujourd’hui dans nos salons !

Cette période a également été l’occasion de faire évoluer ma stratégie collaborateurs et d’en construire une nouvelle pour développer le groupe. Cela a été un moment de prise de conscience où je me suis vraiment posé pour déterminer ce que je voulais en faire. Pour remettre au centre de l’entreprise les équipes, cela m’a notamment amené à personnaliser le temps de travail de mes collaborateurs.

C’est en lien avec la semaine de 4 jours ?

Pas véritablement, car on la proposait déjà à nos équipes dès 2017 dans nos salons nantais. La personnalisation du temps de travail s’est en réalité traduite par la fermeture de certains de nos salons le samedi car on sentait qu’il fallait agir pour garantir un meilleur équilibre vie pro/vie perso à nos collaborateurs. Je me suis alors dit : “Pourquoi ne pas leur offrir un vrai week-end comme tout le monde ?“.

Après avoir pris la température auprès de mes équipes, il a fallu effectuer une analyse poussée des chiffres. J’ai découvert que dans 90 % de mes salons, le samedi n’était plus une journée de pic d’activité comme j’avais pu le connaître il y a une vingtaine d’années. On y faisait beaucoup d’hommes et d’enfants, mais peu de prestations techniques sur des femmes. Ensuite, on a sondé la clientèle, dont les retours ont été ultra positifs à 80 %. J’ai donc décidé de tester cette nouvelle organisation, qui s’est matérialisée par une ouverture de 90 % de nos salons du lundi au vendredi. En contrepartie de la fermeture du samedi, j’ai mis en place deux nocturnes, le jeudi et le vendredi, jusqu’à 21h.

Quel bilan tirez-vous de cette évolution ?

Cela fonctionne très bien. Nos lundis sont devenus de très belles journées. Ils ont même remplacé nos samedis en termes de chiffre d’affaires et d’activité. Après un an de test, nous affichons un chiffre d’affaires en hausse de 10 %. Donc c’est clairement une stratégie payante. Je précise qu’on a laissé le choix de travailler ou non le samedi à l’ensemble de nos collaborateurs. Aujourd’hui, deux salons sont encore ouverts le samedi. Un en raison de sa localisation : il est situé dans une zone commerçante qui marche très fort le samedi. Le deuxième, c’est uniquement le choix de notre collaborateur.

La personnalisation du temps de travail permet d’attirer des candidats aux profils intéressants. C’est un vrai plus pour notre marque employeur.

Est-ce que cette innovation vous permet de recruter plus facilement ?

Oui, la personnalisation du temps de travail permet d’attirer des candidats aux profils intéressants. C’est un vrai plus pour notre marque employeur. Cela étant, ils ne viennent pas que pour ça. C’est en quelque sorte la cerise sur le gâteau qui vient compléter des avantages comme notre plan de formation, le suivi professionnel, notre signature métier en technique et en coupe ou encore le fait d’avoir des possibilités d’évoluer. Notre indépendance est également un atout qui attire nos talents. Je ne suis pas une franchise, je reste avant tout une entreprise à taille humaine. Et ça, ça séduit.

Avez-vous déjà des pistes pour continuer d’améliorer les conditions de travail de vos équipes ?

On y réfléchit en permanence et on reste également à l’écoute de nos collaborateurs. C’est pourquoi j’ai une animatrice réseau qui s’occupe du management et du suivi des équipes. Cela permet d’établir une relation encore plus proche. Par exemple, notre dernière expérimentation, c’est la mise en place il y a six mois d’un comité d’entreprise, habituellement réservé aux grands groupes. Cela a permis à nos équipes de bénéficier de tarifs intéressants pour les vacances, loisirs, sorties culturelles. Ils ont également accès à des ventes flash pour des parfums, du vin, des chocolats…

Pour le recrutement, la rémunération reste un élément central. Comment vous positionnez-vous sur cet aspect-là ?

Nous sommes légèrement au-dessus de la convention collective. Nous avons également mis en place une rémunération “participative“, qui permet aux collaborateurs d’obtenir des primes très facilement par rapport à leur seuil de rentabilité. C’est donnant donnant : plus les collaborateurs travaillent et sont performants, plus ils sont récompensés financièrement. Tout ça aussi bien sur les prestations que sur les ventes de produits capillaires.

La coiffure est un secteur particulièrement adapté à l’apprentissage. Est-ce une formule que vous plébiscitez ?

Oui, mais par manque de temps, nous avons délaissé l’apprentissage ces dernières années. Aujourd’hui, j’ai plusieurs casquettes. J’ai notamment une société de formation en coiffure. Je parcours les salons en France et dans les pays francophones. Je rencontre beaucoup de gens mécontents parce qu’il n’y a plus assez de jeunes dans le secteur. Sur ce point, j’ai réalisé que j’étais le premier fautif parce que je n’avais plus aucun apprenti, ni en CAP, ni en BP.

Depuis un an, j’ai choisi de remettre en place cette formule dans mes salons avec le recrutement de onze apprentis. Mais en modulant et en personnalisant leur accompagnement. Je ne voulais surtout pas avoir de juniors passifs dans mes salons. J’avais au contraire envie de former des jeunes passionnés qui ont envie de travailler et d’apprendre. Avec l’idée derrière de leur transmettre notre ADN, de manière à pouvoir leur proposer un parcours professionnel au sein de nos salons grâce à un suivi régulier et personnalisé sur leur montée en compétences dans le but de les conserver après leur formation. C’est pour cette raison que j’ai recruté une responsable de formation.

Cyril Bazin Coiffeur Créateur

© Cyril Bazin Coiffeur Créateur

Quels sont vos enjeux actuels ?

Notre enjeu principal est de toujours rester en veille sur ce qui se passe au niveau de la consommation. Notre secteur est en perpétuel changement et je suis convaincu qu’il est essentiel de rester très à l’écoute de l’évolution du marché.

Le recrutement est notre enjeu numéro deux. C’est pourquoi, aujourd’hui, je ne fais plus passer un entretien comme il y a cinq ans. On a totalement modifié notre façon d’aller chercher les candidats pour les séduire et les recruter. Concrètement, en entretien, on va tout faire pour être totalement transparent et honnête avec les candidats. L’idée n’est plus de vendre du rêve, mais bien la réalité des conditions de travail tout en mettant en avant l’ADN du groupe. C’est le moyen d’être en phase et d’aligner les attentes d’un candidat avec les besoins de l’entreprise. Par exemple, on ne va plus hésiter à utiliser des vidéos et tutoyer rapidement pour qu’il y ait un véritable échange des deux côtés. L’époque du “donnez-moi vos qualités et vos défauts“ est donc totalement révolue !

Notre troisième enjeu concerne la fidélisation des équipes, et notamment l’accompagnement mis en place après le recrutement. Car on s’est rendu compte qu’après avoir embauché, il n’existait aucun suivi des nouveaux collaborateurs. Nous avons rectifié notre process managérial en créant un véritable processus d’accueil, doublé d’un suivi régulier. Le premier jour, on accorde beaucoup de temps à chaque nouvel entrant : on l’accueille, on fait le tour de l’équipe, on l’accompagne toute une journée et on lui laisse le temps nécessaire pour qu’il prenne ses marques. Au bout d’un mois, on pose un premier bilan pour s’adapter au profil de chacun et lui proposer des conditions de travail personnalisées.

Existe-t-il également un enjeu du côté de la formation continue de vos équipes ?

Oui, car le métier de coiffeur est l’un des rares emplois qui nécessite de se former tout au long de notre carrière parce que les tendances changent, nos produits s’améliorent et nos méthodes évoluent. C’est pourquoi chacun de nos collaborateurs bénéficie d’un plan de formation, d’une valeur de trois à cinq formations par an, soit une trentaine d’heures environ par personne. Chaque collaborateur choisit les formations en fonction de ses attentes et ses domaines de prédilection. C’est pourquoi la palette de formations proposées à nos équipes est très large : ça peut être de la coupe, le développement du business, la confiance en soi, la vente…

Sur l’aspect environnemental, comment envisagez-vous de décarboner vos activités ?

Nous avons déjà mis en place pas mal de choses. Nous travaillons par exemple déjà avec Capillum, une société de récupération de cheveux. On conserve ainsi tous les cheveux coupés dans chacun de nos salons et une fois par mois, on les envoie par sacs de 100 litres à la société. Cette dernière se charge alors de les transformer en tapis d’engrais pour le sol ou en boudins qui seront déployés en mer en cas de marée noire car les cheveux ont un pouvoir absorbant exceptionnel.

Sur l’aspect énergétique, nous envisageons également d’équiper nos salons de douchettes qui permettent de réaliser des économies d’eau grâce à une pression plus importante. Pour l’instant, je ne suis pas encore totalement convaincu par cette alternative qui génère beaucoup d’éclaboussures.

Selon vous, à quoi ressemblera le salon de coiffure de demain ?

Selon moi, il devra proposer plus de bien-être à ses clients tout en montant en gamme. Ces évolutions permettront de répondre au besoin de prendre de plus en plus de temps pour soi. En parallèle, il faudra continuer d’améliorer nos produits, mais aussi les conditions d’accueil de nos clients, tout en transformant progressivement nos salons en lieux de vie, de rencontres et d’échanges et encore une fois favoriser l’expérience privilégiée.

Je suis relativement confiant pour l’avenir de la profession car je suis convaincu que les salons de coiffure au sens large vont être revalorisés demain par la société. Cela nous permettra de montrer que coiffeur est un vrai métier, qui a de la valeur tant pour la mise en valeur de la beauté extérieure de nos clients que pour leur beauté intérieure. Néanmoins, il ne faudra pas perdre de vue le cœur de notre métier, qui est la relation humaine. Avant d’être des coupeurs de cheveux ou des techniciens, nous sommes des personnes qui prennent soin des autres à travers l’écoute active, l’échange et la proximité et la personnalisation. Ça, personne ne pourra jamais nous l’enlever !