Organisée par le Pôle Mer Bretagne Atlantique, la table ronde proposée sur le village du Vendée Globe le 24 octobre dernier a permis aux nombreux visiteurs présents de prendre conscience que les innovations de la course au large ne bénéficient pas qu’aux Imocas ! Elles profitent en réalité à l’ensemble de la filière maritime, des navires acheminant des marchandises, responsables à eux seuls de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, aux bateaux de pêche, en passant par ceux de transport de passagers.
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Car au-delà d’améliorer la vitesse des navires de course, les foils, instruments de routage, capteurs, pilotes automatiques ou encore la fibre optique permettent de collecter des datas très utiles à l’ensemble de l’économie bleue pour la faire gagner en performances et en sécurité tout en limitant son impact. « Cela concerne également la résistance des structures, les capacités d’intervention des secours en mer ou encore la protection de l’environnement… Sans oublier les communications », ajoutait à cette liste de bénéfices l’animateur Frédéric Renaudeau, conseiller innovation du Pôle Mer Bretagne Atlantique, en guise d’introduction.

Le skipper de Paprec Arkéa, Yoann Richomme. POLARYSE / PAPREC ARKEA
Une entrée en matière rapidement illustrée par Romain Ménard, team manager Paprec Arkéa : « Les Imocas sont des prototypes de course qui embarquent énormément de technologies. Le nôtre a nécessité trente-six mille heures de travail au chantier Multiplast de Vannes. Sur cette dernière génération de bateau de course, il y a énormément d’électronique et de fibre optique à bord pour permettre de connaître en temps réel les efforts sur la structure du navire. C’est ce qui permet à notre skipper Yoann Richomme d’avoir des retours sur écrans en live dans son cockpit. Avec des lumières vertes ou rouges, il sait s’il doit calmer le jeu, s’il peut encore attaquer ou s’il doit modifier le règlement de sa voile. »
Avec l’ensemble des technologies installées à bord de l’Imoca Paprec Arkéa, ce sont ainsi deux gigaoctets de données qui sont traitées en temps réel durant toute la course. « Comme c’est un tour du monde en solitaire et sans assistance, nous n’avons pas d’ingénieur qui parle en direct à Yoann », poursuit Romain Ménard. « C’est lui qui doit garder la lucidité pour traiter l’ensemble de ces données le mieux possible… Et c’est pourquoi nous essayons de l’aider avec des logiciels embarqués afin qu’il puisse prendre la bonne décision à l’instant T en fonction des conditions de navigation. »
La fibre optique comme outil d’aide à la décision
Des propos confirmés par Vincent Drévillon, directeur de projets de Pixel sur Mer, entreprise lorientaise qui développe et installe depuis 2008 des équipements de haute technologie à bord des navires de course, notamment tout ce qui est acquisition, visualisation et traitement de la donnée : « Nos solutions d’instrumentation par fibre optique permettent de mesurer les déformations et contraintes sur les pièces structurelles des bateaux. Ce sont de précieux outils d’aide à la décision pur améliorer les performances des Imocas tout en les rendant plus sûrs. D’ailleurs, avec nos systèmes, nous apportons également des réponses aux questions de contrôle de vol sur foils. »
Toujours en matière de sécurité, Pixel sur Mer « travaille aussi sur la détection des objets flottants non identifiés et la fiabilisation des solutions de pilotage automatique afin d’éviter les collisions ». Une mission particulièrement complexe pour les Imocas, qui naviguent souvent à 20 nœuds et flirtent, pour les plus rapides, avec les 40 nœuds. « Notre enjeu principal est d’identifier la vitesse de déplacement et la position de l’obstacle pour l’éviter à très haute vitesse », confirmait Vincent Drévillon. « De l’acquisition de données, au pilotage automatique en passant par le monitoring des structures, toutes ces innovations sont au cœur de notre expertise. Développées dans le cadre de la course au large, ces technologies s’étendent désormais aussi à des secteurs comme le transport maritime, le nautisme ou la défense. »

Les intervenants de la table ronde (de g. à d.) : Romain Ménard (au micro), Rémi Harlé, Vincent Drévillon, Gwenaëlle Jan et Cédric Malengreau. NICOLAS LE PORT – IJ
Bientôt des foils sur les semi-rigides des forces spéciales ?
Rebondissant sur ces propos, Romain Ménard citait en exemple l’intérêt des forces spéciales de la Marine nationale française basées à Lanester pour équiper leurs semi-rigides de foils : « Ils permettent aux bateaux de se déplacer quasiment sans aucun bruit, ce qui est très recherché dans le genre d’opérations qu’ils mènent. »
La propulsion vélique s’est ensuite invitée dans le débat par le biais de Rémi Harlé, directeur du développement de Beyond The Sea, entreprise girondine qui participe à décarboner le transport maritime avec ses ailes de kite : « Après une longue carrière dans la course au large, notre fondateur Yves Parlier a souhaité utiliser ses compétences en créant une solution permettant de tracter un bateau à l’aide d’un cerf-volant. Le premier produit de l’entreprise, le Libertykite, est une aile brevetée à deux lignes que l’on peut installer sur n’importe quel type de bateau pour le tracter grâce à l’énergie du vent. »
Déployé en 2018, ce produit a depuis fait des petits, notamment avec le SeaKite. « Il s’agit d’un kite à boudins, plus rigide, avec une structure gonflable totalement automatisée », précisait Rémi Harlé. « On effectue beaucoup de R&D en nous appuyant sur un bateau laboratoire, présent d’ailleurs sur le village du Vendée Globe, qui nous permet de tester, casser et de faire évoluer notre solution. L’objectif étant ensuite de la déployer à plus grande échelle pour tracter des bateaux jusqu’à 400 mètres. »

Les équipes de Pixel sur Mer développent et installent depuis 2008 des équipements de haute technologie à bord des navires de course. Y compris l’Imoca de Violette Dorange. PIXEL SUR MER
Un kite en guise de mât de secours
Sur le Vendée Globe 2024, vingt-deux des quarante Imocas qui viennent de prendre le départ ont d’ailleurs embarqué un kite de 20 m2 de l’entreprise girondine en guise de mât de secours. « Il leur servira d’élément de sécurité pour rejoindre la côte en cas de démâtage », confirmait Rémi Harlé, « et leur évitera de fabriquer un gréement de fortune, car notre solution se déploie en quinze minutes seulement. De plus, elle permettra au skipper d’être beaucoup plus visible s’il a besoin d’être secouru. »
« À travers ces exemples, nous constatons que les avancées technologiques dans la course au large ont des bénéfices pour l’ensemble du transport maritime, secteur qui devra être totalement décarboné d’ici 2050 », a réagi l’animateur. Dans ce contexte, la filière de propulsion à la voile constitue incontestablement un secteur d’avenir avec quatre mille cinq cents recrutements attendus à l’échelle nationale dans les prochaines années. « La France est leader, car elle dispose déjà d’une véritable filière industrielle avec différentes solutions dont la combinaison permettra d’atteindre le zéro carbone », s’est félicité Frédéric Renaudeau.
Pour illustrer cette longueur d’avance, l’animateur a alors laissé la parole à Gwenaëlle Jan, d’eOdyn, entreprise fondée en 2015 à Plouzané (Finistère). Celle-ci entend révolutionner la surveillance des dynamiques océaniques grâce à des solutions numériques avancées : « Eodyn se concentre sur la R&D, les applications et services autour des courants marins et des vagues. L’idée première, c’est d’utiliser les bateaux, leur positionnement et les signaux qu’ils émettent comme moyens de mesure in situ. De là, on développera des algorithmes s’appuyant sur l’IA pour calculer les courants de surface en tenant compte de l’environnement maritime : la marée, l’effet du vent, la géographie… En se basant sur le trafic maritime mondial, on accumule ainsi énormément d’observations qui nous permettront de prédire les paramètres de mouvement de l’océan autour d’un navire en fonction de sa trajectoire. »

Le bateau laboratoire de Beyond The Sea est présent sur le village du Vendée Gobe. BEYOND THE SEA
Gains de vitesse et économies de carburant à la clé
Autrement dit, les innovations d’eOdyn optimiseront les routes des navires, aussi bien de course que de transport. Avec des gains de vitesse ou des économies de carburant à la clé, tout en limitant les risques de collision avec les autres bateaux présents dans la zone en tenant compte de leur position, cap, vitesse. « Cela permettra également de rejouer des situations et les analyser pour les comprendre a posteriori », ajoutait Gwenaëlle Jan. Cerise sur le gâteau : elles peuvent aussi être bénéfiques à l’environnement : « Nous avons développé une petite bouée prototype maison qui fonctionne de mieux en mieux », confirmait Gwenaëlle Jan. Sur ce Vendée Globe, « seize d’entre elles seront lâchées en mer pour comprendre les trajectoires des déchets plastiques dans les trois océans. » Une nouvelle occasion de souligner que l’innovation dans la voile de compétition dépasse largement le cadre des Imocas !

Un exemple d’utilisation du Libertykite de l’entreprise Beyond The Sea. BEYOND THE SEA