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Contrefaçon de marque : comment évaluer le préjudice financier ?

La contrefaçon de marque constitue une pratique anticoncurrentielle. En France, selon l’Unifab , une entreprise sur deux est victime d’actes de contrefaçon.

Anne Fragné

Anne Fragné. © Benjamin Lachenal

En matière d’indemnisation du préjudice de contrefaçon de marque, l’article L615-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit deux approches d’évaluation du préjudice financier subi : soit une estimation des conséquences financières, pour la victime, des actes de contrefaçon (“l’évaluation analytique“), soit une somme forfaitaire déterminée sur la base de l’application d’une redevance de marque fictive (“l’évaluation forfaitaire“).

L’évaluation analytique

Dans ce cas, pour fixer les dommages et intérêts, le Tribunal prend en considération les conséquences économiques négatives liées à la contrefaçon, dont les gains manqués et la perte de marge subis par la victime, les bénéfices réalisés par l’auteur de la contrefaçon (le “contrefacteur“) et le préjudice moral causé à la victime.

  • Évaluation des gains manqués et de la perte de marge :

Pour estimer le gain qu’aurait réalisé la victime en l’absence de contrefaçon, il convient :

  1. d’estimer la durée de l’acte de contrefaçon afin de fixer la période au cours de laquelle la victime est en droit d’être indemnisée, dans la limite du délai de prescription de cinq ans ;
  2. de déterminer le volume des produits contrefaits (la “masse contrefaisante“), obtenu par application du prix de vente unitaire des produits sous marque aux quantités de produits contrefaits. La victime pourra être indemnisée sous réserve de justifier qu’elle aurait été en capacité de réaliser les ventes relatives à la masse contrefaisante. Il conviendra ainsi de préciser le marché sur lequel la victime était en concurrence avec le contrefacteur, d’estimer la part de marché détournée par ce dernier et d’évaluer le chiffre d’affaires qui aurait été réalisé par la victime en l’absence de contrefaçon ;
  3. de calculer la marge perdue qui correspond à la Marge sur coûts variables (MSCV) qu’aurait réalisée la victime en l’absence de contrefaçon. En pratique, celle-ci est calculée par la différence entre (+) les ventes relatives à la masse contrefaisante et (-) les charges variables d’exploitation hors coûts fixes qui auraient été supportés par l’entreprise victime, même en l’absence de préjudice ;
  • Évaluation des autres pertes

Les autres postes de préjudices suivants peuvent également être indemnisés :

  • l’avilissement de la marque, dont l’évaluation correspond généralement au coût de reconstitution de l’image de la marque (surcoûts de communication, publicité…) ;
  • les dépenses engagées pour faire cesser la contrefaçon (frais d’huissier…) ;
  • les perturbations commerciales subies en raison de la contrefaçon, dont notamment la diminution forcée des prix de vente, la perte pour la victime de la possibilité de vendre ou de concéder la licence de la marque contrefaite, etc. ;
  • les bénéfices réalisés par le contrefacteur : ce poste de préjudice correspond au chiffre d’affaires réalisé par l’auteur de la contrefaçon grâce à l’utilisation illicite de la marque. Il comprend également les économies d’investissements que le contrefacteur a retirées de la contrefaçon. Il est évalué sur la base des investissements réalisés par la victime pour développer la marque contrefaite (dépenses de marketing pour le lancement de la marque…).

 L’évaluation forfaitaire

À la demande de la victime, le Tribunal peut allouer à cette dernière, à titre d’indemnisation, une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances de marque qui auraient été dues si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser la marque contrefaite.

La redevance correspond à celle qu’aurait payée le contrefacteur et est donc basée sur la masse contrefaisante. La redevance se détermine ainsi en tenant compte du prix de vente appliqué par le contrefacteur, même si ce prix est inférieur à celui des produits authentiques.

En l’absence de contrats de licence de la marque contrefaite conclus par la victime, la redevance appliquée pour estimer le préjudice pourra correspondre à une redevance sectorielle ou pratiquée pour des produits comparables. Pour les marques, il est usuel de retenir un taux de redevance compris entre 1 % et 5 %.

Conformément à l’article L615-7 du CPI, le Tribunal retiendra un taux de redevance supérieur au taux usuel afin d’accorder à la victime une somme supérieure à celle qui aurait été payée par le contrefacteur s’il avait demandé l’autorisation d’utiliser la marque.

Dans le cadre de cette approche, il revient à la victime de justifier et de documenter le taux de redevance de marque “théorique“ qui aurait été appliqué au contrefacteur en l’absence de dommage.

En matière de contrefaçon de marque, l’expert financier apporte ses compétences professionnelles et met en œuvre une méthodologie adaptée comprenant :

  • une analyse économique du marché sur lequel la contrefaçon a été commise ;
  • un examen des conditions d’exploitation de la marque par la victime et le contrefacteur ;
  • l’identification des postes de préjudices financiers subis par la victime ;
  • un diagnostic financier et économique fondé sur l’analyse du marché et de la comptabilité analytique des parties ;
  • un audit des données comptables et de gestion pour valider leur caractère pertinent et probant ;
  • une méthodologie d’évaluation des différents postes de préjudices subis par la victime.

 

Anne FRAGNÉ, expert-comptable et commissaire aux comptes, intervient au sein du cabinet Capeval Finance sur des missions d’évaluation d’entreprises, d’actifs incorporels (marques, brevets…) et d’évaluation de préjudices économiques (litiges entre associés, actes de concurrence déloyale, contrefaçon, ruptures abusives de contrats commerciaux…).

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[1] Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle.

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