Couverture du journal du 12/04/2024 Le nouveau magazine

«Connecter les talents»

Pour l'instant peu touchés par la crise liée au Covid-19, les cadres restent dans une situation incertaine. L'Apec (association pour l'emploi des cadres) reste très présente auprès des entreprises pour les aider à identifier leurs besoins en compétences et attirer des talents. Entretien avec Michèle Sallembien, déléguée régionale de l'Apec Pays de la Loire, à la tête d'une équipe surmotivée.

Comment l’Apec a-t-elle vécu le confinement?

En deux jours, 100% des équipes ont été placées en télétravail. Leur mobilisation a permis que tout se passe bien, avec seulement des problèmes de connexion réseau mais qui n’ont pas empêché de travailler. Nous étions en quelque sorte « aidés » car nous proposions déjà une partie de notre offre de service en ligne. Notamment pour les cadres en activité. La totalité de nos clients (cadres, jeunes diplômés et entreprises) ont pu bénéficier des mêmes modalités de conseils, de suivi et d’accompagnement, délivrées à distance via nos webateliers, en visioconférence ou par téléphone. Notre modèle « phygital » nous permet d’allier rendez-vous et ateliers dans nos centres et prestations à distance toute l’année. Nous switchons déjà sans arrêt de l’un à l’autre. Lors de cette période de confinement, même nos ateliers collectifs à destination des entreprises ont pu se dérouler en visioconférence. Nous avons simplement adapté leur format afin qu’ils durent une heure trente au lieu de quatre.

De quelle manière accompagnez-vous les entreprises ?

Nous faisons en sorte qu’elles trouvent les compétences cadres dont elles ont besoin. Nous les aidons, par exemple, à mieux rédiger leurs offres d’emploi, à optimiser leur sourcing de candidats… Nous sommes particulièrement attentifs aux TPE et PME, que nous accompagnons en priorité car elles n’ont pas toujours d’équipe dédiée au recrutement. Nous faisons en sorte de sécuriser leurs annonces, d’employer les mots-clés adaptés qui vont permettre à leur offre d’emploi de ressortir. Il arrive que les entreprises rencontrent des difficultés à recruter et ne reçoivent pas de candidatures, nous travaillons alors avec elles leur attractivité, par exemple en les aidant à booster leur marque employeur.

Pendant le confinement, nous avons aussi créé une communauté RH avec des webcafés sur l’animation d’équipe, le chômage partiel… Nous nous sommes adaptés aux nouveaux besoins qui ont émergé. Nous avons bien senti que les RH se sentaient un peu seuls. Cela a été important de rester proche des clients et de maintenir le lien. Nous avons beaucoup communiqué avec les entreprises sur la manière d’intégrer leurs nouvelles recrues à distance, expliquer les procédures et les règles sanitaires, et montré aussi les avantages du télétravail qui a permis de toucher de nouveaux candidats. Le mix travail à distance/sur site peut faire évoluer les cadres à condition que l’organisation du travail soit adaptée.

Êtes-vous inquiète pour l’emploi des cadres alors que la dynamique de ces dernières années était bonne ?

Nous avons déjà traversé plusieurs crises économiques et constaté que les cadres n’étaient pas les plus touchés. Pour autant, il est certain que les prévisions cadres publiées en début d’année ne sont plus d’actualité. Pour mémoire, nous étions sur un chiffre record de 297 000 recrutements pour l’année 2020, dont 13 000 embauches en Pays de La Loire. 

Certains ont été placés en chômage partiel avec le Covid-19. 

Il est encore trop tôt pour avoir des prévisions réactualisées. Cela varie selon les métiers et les secteurs d’activité. Les plus affectés sont les cadres indépendants (formateurs, consultants RH, tous les métiers support…) et ceux de l’hôtellerie et de la culture bien sûr. Mais ces secteurs ne comptent pas beaucoup de postes cadres. 

En revanche, on ne sait pas ce qu’il va se passer à la rentrée. C’est le plus difficile : l’incertitude. Est-ce qu’en ce moment les cadres font d’abord leurs démarches vers Pôle emploi avant de se tourner vers nous ? On verra… En moyenne, une entreprise compte 15 à 18% de cadres, ce qui n’est pas rien. D’autre part, le chômage partiel a permis aux entreprises de conserver les compétences qu’elles avaient parfois eu du mal à recruter. Elles auront encore des besoins, même en période de crise, notamment pour faire face aux mutations qui se sont accélérées durant la période de confinement. Gageons que la crise va nécessiter des adaptations. En tant que décrypteur de l’emploi cadre, nous sommes là pour les anticiper et aider nos clients à appréhender les évolutions sociétales, le rapport au travail, les nouveaux modes de recrutement, les nouveaux métiers qui vont émerger.  

D’un point de vue global, il est encore trop tôt pour identifier le nombre de cadres touchés par la crise. Il est certain que la rentrée sera plus difficile pour certains secteurs, comme celui de l’industrie aéronautique. Nous le voyons en Loire-Atlantique avec la situation d’Airbus et d’Air France. 

Cela va être plus compliqué pour les jeunes 
diplômés aspirant cadres…

C’est certain. Et c’est dommage car le marché était dynamique jusqu’à mars. Notre dernière étude concernant la promotion 2018 révèle que 85% des diplômés étaient en emploi douze mois après l’obtention de leur diplôme. Le niveau d’offres d’emploi actuellement ouvertes aux jeunes diplômés sur notre site 
Apec.fr, qui est le premier diffuseur d’offres d’emploi cadre, permet d’avoir une photographie à l’instant T de l’impact de la crise actuelle sur leur insertion. Au premier semestre 2020, les offres ont chuté de 38% par rapport à la même période l’année dernière, contre 34% pour l’ensemble des cadres. 

Avec la crise, les jeunes diplômés vont certainement voir leurs conditions d’emploi se dégrader, avec un temps d’accès à l’emploi plus long, et des conditions d’embauche davantage précaires. L’accès au statut cadre sera plus tardif, et ils devront effectuer plus de CDD ou d’intérim que leurs prédécesseurs. Rappelons qu’en général un jeune cadre en entreprise est embauché en CDI relativement vite. Nous avons également constaté des cas de rupture de contrat d’alternance pendant le confinement. Nous restons à l’écoute des mesures qui seront mises en place dans le cadre du plan annoncé par le gouvernement, qui a fait de l’emploi des jeunes une priorité pour les prochains mois. Nous sommes également très attentifs aux alternants. Par exemple, EDF compte 250 alternants en Pays de la Loire. Que vont-ils devenir ? Il est certain que ces apprenants, quel que soit leur niveau, auront plus de mal à trouver une entreprise d’accueil. C’est problématique car cela risque de remettre en cause leur formation. Nous sommes très sollicités sur ces sujets en ce moment.

Avant la crise, la moitié des recrutements opéraient sur des jeunes cadres de un à dix ans d’expérience. Nous restons mobi­lisés pour les accompagner.

Comment se traduit cette mobilisation accrue?

Nous réfléchissons à un accompagnement « plus plus plus ». Avec notamment des invitations accrues à nos événements de mise en relation. Nous allons organiser, en septembre, un forum digital en partenariat avec Pôle emploi et l’association NQT. Et nous « plaidons la cause » des jeunes diplômés auprès des entreprises avec qui nous travaillons. L’Apec continuera d’être en première ligne car, nous le savons, c’est une population, à l’instar des cadres seniors, qui est traditionnellement plus impactée par les crises.

Quelles sont les tendances dans le recrutement ?

Avant le confinement, les besoins en recrutement les plus forts se situaient dans l’informatique, l’ingénierie et les commerciaux de tous les secteurs d’activité. Les commerciaux vont être nécessaires pour les entreprises en difficulté de trésorerie et qui vont devoir trouver de nouveaux marchés.

Nous avons aussi constaté des recrutements pendant le confinement : dans le juridique, la sécurité, les finances, la qualité et les RH. D’une manière générale, plus on a un métier transverse plus on a d’opportunités. Aujourd’hui, on incite les cadres à identifier les compétences qu’ils peuvent transférer dans d’autres secteurs. Par exemple pour un ingénieur qualité.

Quid des entreprises ? Lesquelles ont continué de recruter ?

On peut les répartir en trois groupes. Les entreprises qui continuent de recruter : transport, logistique, agroalimentaire, recherche-développement. Celles qui ont arrêté avec le confinement et qui en ont profité pour se réinventer. Elles ont désormais besoin de nouvelles compétences et devraient recruter sur le digital, le webmarketing, le e-commerce… Enfin, il y a celles qui vont devoir licencier. Ce sont surtout les TPE/PME à cause de problèmes de trésorerie. Cette crise nécessite d’avoir les reins solides. Le confinement a permis à des entreprises, qui ne recrutaient plus, de continuer de parler avec ses candidats via les réseaux sociaux. Aujourd’hui, c’est le candidat qui choisit son entreprise et non l’inverse. Il était donc important d’informer de la suspension des processus de recrutement. Cette communication fait partie de la marque employeur qu’il faut soigner tout au long de l’année. Le « stop and go », ça ne fonctionne pas. Un candidat à qui on n’a pas répondu, c’est carton rouge. Il ne candidatera plus.

Est-ce que des cadres ont décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat durant la période de confinement, propice à la réflexion ?

Nous avons été très sollicités par des cadres qui se posent la question de leur projet professionnel. Ils ont profité du confinement pour faire le point sur leur gestion de carrière. Une réflexion qu’ils n’ont pas le temps d’entreprendre en temps normal. Il y a une quête de sens réelle. Avec des projections sur cinq à dix ans : qu’est-ce que j’ai envie de faire ? Comment est-ce que j’adapte mes compétences ? 

Qu’est-ce que la crise va changer au final ?

Tous nos repères ont été bousculés. Il peut y avoir un courant d’entreprises qui vont revoir leur organisation et leur projet. Cela va accentuer la transformation des compétences. Trois phases seront alors nécessaires : identifier les besoins en compétences, identifier les talents que l’entreprise possède déjà. Il est d’ailleurs très important de les reconnaître. Et enfin de l’agilité et de l’adaptation… Le terme « compétence » va revenir dans les prochains mois. Si l’entreprise se transforme, elle va devoir communiquer sur sa marque employeur. Si, elle ne sait pas en parler, elle ne va pas donner envie de l’intégrer ou d’y rester. Le sens et l’utilité sont des enjeux majeurs.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?

Nous voulons aider ceux qui en ont le plus besoin. Les entreprises, en particulier les TPE-PME, qui ont des besoins en recrutement pour soutenir le développement économique. Nous sommes également aux côtés des cadres et des jeunes diplômés pour accompagner leurs problématiques d’évolution ou d’insertion professionnelle. Nous agissons comme un facilitateur de rencontre entre ces entreprises et les compétences pour laisser le moins de monde sur le carreau.