Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Comment régénérer le territoire ?

Le 17 novembre, le cluster des acteurs de la construction en Pays de la Loire Novabuild organisait le webinaire “adaptation et résilience des territoires : vers des projets régénératifs”. L’occasion de découvrir les principes de l'économie régénérative, les objectifs du projet Regenerate[1] porté par Open Lande, et de bénéficier du retour d’expérience de l’architecte et urbaniste Marika Frenette.

Eclosia parc

L’Eclosia parc, un projet de reconversion d’un lycée technique en quartier d’habitation qui devrait se concrétiser d’ici 2028 à La Roche-sur-Yon selon les principes régénératifs. © Duret

« Créé dans la mouvance du Grenelle de l’environnement autour de l’énergie et la transition, Novabuild est en pleine mutation puisque le cluster intègre désormais les enjeux des questions climatiques, de biodiversité et de circularité, a posé d’emblée Pierre-Yves Legrand, animateur du webinaire et directeur. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est que la démarche climatique devrait permettre de rapprocher l’humain de l’urbain en accompagnant au changement les mentalités et pratiques des professionnels de la construction. On n’est donc plus dans la transition mais déjà bien dans la régénération, un modèle bien plus positif ! »

Cofondateur d’Open Lande, entreprise qui accompagne les sociétés, organisations et territoires dans leur transformation écologique, Walter Bouvais embraye en dévoilant les principes régénératifs et les grandes lignes du projet Regenerate : « Notre raison d’être, c’est de réparer la terre. Avec l’idée derrière de développer des entreprises et des territoires régénératifs qui vont avoir une approche systémique des trois grandes crises (climatique, biodiversité et celle des ressources, NDLR) tout en essayant de transformer nos modèles économiques vers l’humain et l’emploi. »

Pour produire 1 $ de valeur ajoutée, il faut 1,5 $ de nature

Le point de départ de Regenerate, « c’est le constat que nos écosystèmes écologiques sont très fatigués alors que l’humanité en dépend pourtant totalement, poursuit Walter Bouvais. Une étude de l’économiste Robert Costanza démontre que pour produire 1 $ de valeur ajoutée, un État ou une entreprise a besoin d’1,5 $ de nature. Si on ne considère pas que la santé des écosystèmes, c’est celle qui précède la santé des sociétés, et donc des économies, on prend les choses à l’envers. » Ainsi selon le spécialiste, l’humain serait en dette écologique depuis les années 1970. « Une dette financière, il est toujours possible de la négocier avec vos créditeurs, nuance le cofondateur d’Open Lande, ce qui est clairement impossible avec une tempête, une submersion ou la chute de la biodiversité ! L’enjeu est donc d’essayer de passer d’un modèle dont on a hérité du développement durable pour arriver à une phase plus équilibrée, entre la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la contribution aux puits de carbone. »

Walter Bouvais

Walter Bouvais, cofondateur d’Open Lande. © Open Lande

« Rendre davantage à la Terre qu’on ne lui emprunte »

Enfin, la régénération c’est « être capable en tant qu’entreprise ou territoire de produire un impact net positif, complète Walter Bouvais. Concrètement, cela signifie rendre davantage à la Terre qu’on ne lui emprunte. »

S’appuyant sur le travail réalisé par Open Lande sur l’entreprise et les territoires régénératifs, Walter Bouvais et ses équipes ont voulu aller plus loin en posant l’idée « d’un studio de projets, un peu à l’image du start-up studio Imagination machine, tourné non pas vers le marché mais vers la résilience ».

« Pour pouvoir travailler sans greenwasher, nous avons commencé par réaliser un diagnostic de territoire à partir de travaux existants, notamment ceux du Giec Pays de Loire, détaille le spécialiste. Nous en avons tiré une synthèse vulgarisée que nous présentons à des dirigeants d’entreprises et collectivités. Ce livre blanc[2] nous offre l’opportunité d’alerter les acteurs économiques en leur disant : “Regardez ce qui se passe sur la santé des écosystèmes dont nous dépendons au quotidien, dans nos chaînes de valeurs et nos activités économiques.“ Leur dégradation fragilise nos systèmes et nous n’en n’avons pas toujours conscience. D’où l’intérêt d’identifier les dépendances et pressions que nous exerçons en tant qu’entreprise sur les écosystèmes pour augmenter notre maturité écologique. »

S’inspirer des acteurs innovants du territoire

Publication à la croisée de l’écologie et de l’économie, ce livre blanc contient 11 projets régénératifs pour les entreprises et 14 propositions à destination des collectivités. « Il nous a aussi permis de créer des ateliers impliquant des dirigeants et leurs équipes pour mieux comprendre leur territoire, poursuit le cofondateur d’Open Lande. Ils ont ainsi découvert que seules 11 % des masses d’eau sont en bon état sur le territoire, que les sols sont artificialisés à 11,2 % (9 % en France, NDLR) et que 35 % des espèces de mammifères sont menacées… Des chiffres alarmants pour les nombreuses filières qui dépendent directement des écosystèmes : le tourisme, l’agriculture et même certaines filières industrielles. »

Parmi les pistes évoquées pour concrétiser plus de projets régénératifs, Walter Bouvais propose de « s’inspirer des acteurs innovants du territoire, comme Zéphyr & Borée dans le transport maritime. On va ainsi pouvoir trouver des points d’accroche pour lancer collectivement des projets de territoire avec une énergie entrepreneuriale ».

La création d’un bâtiment démonstrateur dans les tuyaux

L’étape suivante pour Open Lande sera de structurer son studio « avec des partenaires et des financements car cela reste le nerf de la guerre, ajoute Walter Bouvais. Aujourd’hui, la coalition reste ouverte aux bonnes volontés et les projets que nous portons sont prioritairement de deux sortes : un premier autour de la régénération des zones d’activité et des zones commerciales. Et un second autour de la création d’un bâtiment démonstrateur pour montrer comment un édifice peut avoir un impact net positif. »

D’autres projets emblématiques, comme la régénération de cours d’eau, sont également prévus. « Ainsi à Nantes, l’objectif est de permettre aux habitants de pouvoir se baigner dans l’Erdre d’ici 2035 », conclut Walter Bouvais, dont l’ambition est de concrétiser une douzaine de projets via son studio régénératif à l’horizon 2026.

 

« Le plus important, c’est la mise en mouvement »

Fondatrice du bureau d’études Wigwam (présent à Nantes et au Québec), l’architecte et urbaniste Marika Frenette déploie depuis 16 ans ces principes sur le terrain : « Lancer un projet dans une approche régénérative, c’est comme faire tomber une goutte d’eau dans un verre. Lors de sa chute, elle va initier un mouvement autour d’elle. Et finalement, ce qui était le prétexte pour démarrer un sujet n’aura plus d’entité propre, puisque la goutte va être absorbée dans le liquide. Le plus important, c’est donc la mise en mouvement que cette goutte aura générée. »

La création d’un nouveau pôle enfance à Bouvron (Loire-Atlantique) en 2016, construit avec des matériaux écologiques et un coût maîtrisé, et sur lequel Wigwam a travaillé durant dix ans, illustre parfaitement ce phénomène : « Au départ, la goutte était la volonté de construire une nouvelle école. Mais la coque physique du bâtiment n’était finalement pas le sujet. En réalité, c’était comment redonner l’envie aux enseignants de transmettre et d’apprendre aux enfants ? Ça nous a également amenés à nous requestionner sur la place des enfants dans un groupe et à dépasser les questions uniquement liées aux consommations d’énergie du bâtiment. En réalité, cette goutte d’eau est comme une boule de papier. Un point de départ qu’il faut déplier avec une approche systémique pour cerner l’ensemble de la problématique. En la dépliant ainsi, on cerne mieux le potentiel qu’il peut y avoir derrière chaque projet. »

La spécialiste a ensuite évoqué les forces en action : « Pour chaque projet, il y a des individus moteurs et des détracteurs. Dans le monde régéneratif, on a aussi des réconciliateurs qui mettent les différentes parties dans une écoute profonde. »

« Embarquer les entreprises du territoire »

Pour illustrer le poids de ces forces de réconciliation, l’architecte a cité l’exemple de l’Eclosia parc, un projet de reconversion d’un lycée technique en quartier d’habitation qui devrait se concrétiser d’ici 2028 à La Roche-sur-Yon : « La question de départ, c’était de savoir si on détruisait l’ensemble ou si on en conservait une partie. Avec beaucoup d’inquiétudes à la clé pour les habitants du quartier. Finalement, grâce aux réconciliateurs, la stratégie a été de créer un écosystème autour de cette question de la déconstruction sélective et d’y embarquer les entreprises du territoire. Mais aussi des étudiants architectes, des écoles d’ingénieurs prêts à apprendre de nouveaux métiers liés à la déconstruction. Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus du tout le périmètre du projet en termes d’opération foncière, mais bien son potentiel de mise en mouvement de manière beaucoup plus large. »

 

 

[1] Régénérer le territoire tout en créant des emplois, c’est l’objectif de Regenerate. Ce programme, imaginé par Open Lande, est lauréat de l’Appel à projets de la Région Pays de la Loire 2022 sur l’économie circulaire. Il a une double ambition. D’abord, mieux cerner les besoins de résilience du territoire. Ensuite, inciter et accompagner les acteurs économiques à lancer des projets de régénération.

[2] Le livre blanc des enseignements du projet Regenerate est téléchargeable en open source sur le site d’Open Lande (Openlande.co).