Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Comment intégrer la transition dans sa stratégie internationale ?

Afin d’identifier les leviers d'actions qui permettent aux entreprises d’intégrer les enjeux de transition écologique et énergétique dans leur stratégie internationale, une table-ronde était proposée, le 28 septembre dernier à la CCI Nantes St-Nazaire, dans le cadre de l’International Week. L’occasion de bénéficier du retour d’expériences d’entreprises ayant déjà passé le cap du bilan carbone.

La table-ronde s’articulait autour des retours d’expérience de Jean-Pascal Chupin (à gauche), PDG du groupe Florentaise, et d’Isabelle Desfontaines (au centre), directrice du développement durable du groupe Eram. ©IJ

La table-ronde s’articulait autour des retours d’expérience de Jean-Pascal Chupin (à gauche), PDG du groupe Florentaise, et d’Isabelle Desfontaines (au centre), directrice du développement durable du groupe Eram. ©IJ

« La transition énergétique et écologique n’est pas un enjeu de demain mais bien d’aujourd’hui, a posé d’emblée Laure Michaud, animatrice de la table-ronde et chef de projets internationaux à la Région. C’est pourquoi l’objectif de cet échange est de voir comment l’international et la transition doivent coexister tout en vous aidant à adapter votre stratégie de développement. »

Roland Marion, conseiller régional délégué à la transition écologique et énergétique a confirmé que « la transition fait partie des trois priorités du mandat de la Région », avant de s’adresser directement aux dirigeants présents : « Peu importe votre niveau d’avancement à l’international, la question de la transition énergétique et écologique offre un certain nombre d’opportunités de développement à vos entreprises. »

« Les sujets RSE doivent être au cœur de la stratégie »

Pour mieux leur faire prendre conscience de l’intérêt d’effectuer un bilan carbone Scope 1, 2 et 3[1], deux entreprises ayant déjà intégré ces enjeux à la fois en local et à l’international ont livré leur témoignage. Directrice du développement durable du groupe Eram[2] basé à Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire), Isabelle Desfontaines a confirmé : « Le bilan carbone est un sujet essentiel pour notre entreprise car textile et chaussures sont souvent montrés du doigt pour leurs émissions carbone. Mais avant de parler de transition, il faut être clair sur les objectifs et les ambitions. Premier impératif : il faut que les sujets RSE soient au cœur de la stratégie d’entreprise et qu’ils soient portés par la direction. »

C’est ce qu’Eram a fait depuis 2020 avec son projet d’entreprise appelé “Change for good“. « Il fixe un objectif de réduction de 30 % de notre empreinte carbone d’ici 2030, avec la mise en place d’indicateurs intermédiaires, notamment d’avoir 30 % de produits écoconçus d’ici 2025, précise la spécialiste. Réaliser un bilan carbone Scope 1 et 2 nous a également permis d’établir que 77 % de notre empreinte est liée à nos magasins. Avec la mise en place d’écogestes dans nos boutiques, comme la réduction des températures d’été et d’hiver ou le fait de couper les lumières la nuit, on a ainsi pu réduire de 13 % nos consommations énergétiques. Des économies qui nous permis de relamper l’ensemble de nos magasins pour des équipements moins énergivores. »

« Diviser par deux nos émissions liées au transport »

« C’est un petit peu la même histoire pour Florentaise (57,5 M€ de CA en 2002 pour 245 collaborateurs) », embraye Jean-Pascal Chupin, PDG du groupe familial basé à Saint-Mars-du-Désert (Loire-Atlantique) et spécialisé dans les terreaux bas carbone et supports de culture hors sol. »  Le groupe a réalisé son bilan carbone Scope 1, 2 et 3 en 2009, année où Sarkozy et Obama n’avaient pas réussi à convaincre la Chine et l’Inde de réduire de 3 % par an leurs émissions carbone. « Devant cet échec, nous avons décidé d’atteindre cet objectif en interne, poursuit le dirigeant. À l’époque, 85 % de nos émissions relevaient du Scope 3 et au global, 42 % étaient liées au transport. Il y avait à l’époque trois site en France alors que nous en avons neuf aujourd’hui. Nous avons entretemps divisé par deux nos émissions liées au transport. Ce n’est plus notre plus gros poste d’émissions, qui est désormais devenu l’exploitation des tourbières. C’est pourquoi nous avons inventé dès 2000 un matériau renouvelable issu de déchets de scierie pour remplacer la tourbe dans nos terreaux. Nous en avons ainsi diminué de 98 % les émissions. Il est donc possible de réduire drastiquement ses émissions, à condition d’en avoir conscience. »

Une démarche d’accompagnement des fournisseurs

Une fois son empreinte réduite sur le plan local, Eram s’est ensuite attaqué au Scope 3, « qui permet de réaliser le bilan carbone de nos émissions indirectes, détaille Isabelle Desfontaines. Cela signifie qu’on y intègre les données de nos 600 fournisseurs dans le monde, ce qui demande de collecter énormément d’indicateurs. Mais il y a plein d’étudiants disponibles pour vous aider à le réaliser lors d’un stage d’étude », rassure-t-elle.

Le Scope 3 a ainsi permis à Eram d’établir qu’aujourd’hui, 50 % de son bilan carbone vient des matières (cuir, coton, polyester) et 22 % de ses sites de fabrication. « Notre priorité est donc de travailler avec nos fournisseurs pour qu’ils réduisent leurs émissions. Nous sommes avec eux dans une démarche d’accompagnement, où l’on réalise des audits environnementaux pour les aider à basculer sur l’utilisation d’énergies renouvelables. C’est une profonde transformation des métiers dans l’entreprise et une mutation de nos activités qui nécessite de nous réorganiser, de mieux structurer nos data, d’être transparent, d’amener les preuves de ce que l’on dit… Bref, une démarche qui se fait sur un temps long et qu’il vaut mieux anticiper que subir ! »

« Notre stratégie bas carbone est gagnante à l’international »

Côté bénéfices, Jean-Pascal Chupin voit avant tout un élément différenciant à cette démarche : « Grâce à elle, on réalise désormais 35 % de notre chiffre d’affaires à l’export. Et tout ça en moins de dix ans ! Notre stratégie bas carbone est incontestablement gagnante à l’international et elle nous offre des opportunités de développement incroyables, notamment sur le marché chinois. Une chose est sûre : cette stratégie est rentable sur le long terme. Et pour la marque employeur, elle permet aussi d’aller chercher les jeunes profils en quête de sens sur le marché du travail. »

« Il ne faut pas opposer fin du monde et fin du mois, conclut Isabelle Desfontaines. Aujourd’hui, pour un dirigeant, connaître son bilan carbone est devenu aussi important que connaître son chiffre d’affaires ! Il permet de déterminer la feuille de route de votre entreprise, mais c’est aussi un facteur différenciant auprès de vos clients. »

 

[1] Le scope 1 représente les émissions directes produites par l’entreprise, le scope 2 regroupe les émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations d’énergie nécessaires à la fabrication du produit, et le scope 3 est lié aux émissions indirectes (celles des fournisseurs).

[2] Eram est un groupe familial français qui réunit neuf marques dans les domaines de l’habillement, la chaussure et des accessoires : Eram, Bocage, Mello Yellow, TBS, Gémo, Dresco, Parade, Montlimart, Sessile. Il affiche près d’1 Md€ de CA en 2021 pour près de 5 500 salariés.