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Ces start-up au chevet des océans

À l’heure de la transition, les start-up sont de plus en plus nombreuses à œuvrer en faveur de la préservation des océans. La Cité des Ducs fait figure de vaisseau amiral en la matière, comme le prouvent Bysco, Finsulate France ou Malàkio… Tour d’horizon de ces entreprises aux petits soins de la mer.

océans, start-up

© Shutterstock

Qui aurait pu imaginer que les moules marinières puissent contribuer à la transition énergétique ? Personne… Sauf Robin Maquet ! Originaire de Cancale, cet étudiant ingénieur au Cesi de Saint-Nazaire se donne dès 2019 pour mission de trouver une alternative aux matériaux polluants (fibre de verre, polyester…) pour les coques de bateaux de course. « Travaillant chaque été comme saisonnier sur les parcs à huîtres et moules de Cancale, je connaissais déjà le byssus, ces petits filaments fabriqués par les mollusques pour s’accrocher aux rochers, se souvient le mordu de voile. Alors, quand j’ai travaillé sur les alternatives aux matériaux pour les bateaux de course, le lien s’est fait naturellement… »

Il entame alors des recherches sur ce matériau utilisé dans l’Antiquité pour fabriquer des vêtements, mais tombé dans l’oubli. « Les tests ont montré que le byssus était trop souple pour faire des coques de bateaux, mais c’est un très bon absorbant acoustique et isolant thermique. Il est aussi très léger, résistant et ne prend pas feu. »

« 1 M€ par an pour se débarrasser du byssus »

Robin Maquet, fondateur de Bysco. ©Bysco

Robin Maquet, fondateur de Bysco. ©Bysco

 Flairant le potentiel de ce matériau, le Cancalois poursuit ses recherches. « J’ai découvert que les mytiliculteurs déboursaient près d’1 M€ par an pour se débarrasser de 4 500 tonnes de byssus. » Il saute sur l’occasion et fonde Bysco, à Nantes, en 2021. « La première start-up française à développer une filière de la valorisation du byssus de moule, détaille l’entrepreneur. Nous collectons la biomasse directement chez les producteurs, avant de la transformer en textile technique dans notre usine à Cancale. »

En effet, après une implantation réussie à Nantes, Bysco a inauguré début décembre sa première unité de production en Ille-et-Vilaine. « Ce bâtiment de 300 m2 nous a non seulement permis d’internaliser la préparation de notre fibre textile, mais aussi de développer notre propre technologie (machines et outils) au sein de l’usine. Le tout pour un investissement de 500 k€. »

Le textile technique de Bysco est "un très bon absorbant acoustique et isolant thermique" selon Robin Maquet.

Le textile technique de Bysco est « un très bon absorbant acoustique et isolant thermique » selon Robin Maquet © Bysco

Une levée de fonds début 2024

Côté utilisation, le matériau technique produit par la start-up revendique de nombreuses applications : « En plus du textile, il peut servir à fabriquer des protections contre le feu, de l’isolant pour le secteur du bâtiment ou l’aménagement intérieur de bus, trains, avions, camping-car… »

Actuellement, Bysco prépare une levée de fonds : « L’objectif est d’aller chercher 2 M€ début 2024, dont 500 k€ en dilutif (1), pour accélérer la commercialisation, recruter quatre personnes et créer un bureau d’études qui aura pour mission d’accompagner les entreprises dans leur transition environnementale des matériaux. À terme, ce dernier devrait devenir le cœur de la boîte, Bysco incarnant l’exemple d’une solution de transition des matériaux. »

Malàkio : quand la coquille devient décoration

Malàkio a également pris le parti d’offrir une deuxième vie aux produits de la mer. Après des études en commerce international et management pour Hugo Kermarrec et de design à Nantes pour Morgan Guyader, les deux amis d’enfance cofondent l’entreprise en septembre 2020 à Dirinon dans le Finistère, d’où ils sont originaires. Objectif ? Récupérer les coquilles d’huîtres, moules et coquilles Saint-Jacques pour les transformer en objets d’art de la table, décorations ou mobilier. « Ayant travaillé avec mon beau-frère ostréiculteur à Noirmoutier, j’avais remarqué que les coquilles finissaient en grande partie à la poubelle tout venant car leur incinération coûte cher. En creusant, on a découvert qu’il y avait 200 000 tonnes de coquilles jetées chaque année en France et on a décidé d’agir car il y avait un énorme potentiel d’impact. »

Après avoir broyé ses premières coquilles en Bretagne, Malàkio atterrit au campus artisanal de Bouguenais en septembre 2021. « On s’y est installés car j’avais déjà sur place un solide réseau d’architectes et de designers, détaille Morgan Guyader. De plus, l’écosystème nantais est très dynamique sur l’innovation, le design et les industries créatives. »

Morgan Guyader et Hugo Kermarrec, cofondateurs de Malàkio. ©Malàkio

Morgan Guyader et Hugo Kermarrec, cofondateurs de Malàkio © Malàkio

25 tonnes de coquilles recyclées en 2023

Une stratégie qui s’est avérée payante : « Nous avons aujourd’hui plusieurs clients sur la métropole et il y a un réel attrait local pour notre projet. Cela nous a permis de recycler 25 tonnes de coquilles cette année et une soixantaine de boutiques distribuent désormais nos produits. Côté effectif, nous sommes huit. »

Pour en arriver là, les cofondateurs ont mis au point deux process : « Le premier consiste à récupérer gratuitement en Bretagne les coquilles chez les producteurs et restaurateurs, avant de les broyer nous-mêmes et les amener dans notre atelier nantais, où elles seront séchées et mélangées avec un liant naturel pour devenir des objets. La deuxième solution, qui est en plein développement, c’est de faire appel à une société basée en Charente-Maritime et spécialisée dans le broyage de coquillages. Elle collecte directement les coquilles avant de les broyer à l’aide de machines industrielles. Cela nous permet de nous concentrer sur notre vraie valeur ajoutée : le design, l’innovation et la création. Tout en nous approvisionnant à prix fixe, ce qui nous donne également une meilleure visibilité. »

Malàkio transforme les coquilles en objets d'art de la table, décorations ou mobilier. ©Malàkio

Malàkio transforme les coquilles en objets d’art de la table, décorations ou mobilier. ©Malàkio

« Passer d’une production artisanale à semi-industrielle »

Une évolution également synonyme de nouvelle raison d’être pour Malàkio : « Nous avons effectué une redirection stratégique pour créer une filière de design plus durable à l’échelle de l’Europe. » Pour atteindre cette nouvelle ambition, la start-up, qui a réalisé 235 k€ de chiffre d’affaires en 2023, compte aller chercher des fonds début 2024 auprès de business angels : « Nous avons besoin de 200 k€ pour passer d’une production artisanale à semi-industrielle. Cela nous permettra d’acheter des outils et machines pour produire en quantité, sachant qu’un nouveau chef d’atelier arrive mi-janvier pour faire grimper notre niveau de savoir-faire. »

Un antifouling qui s’inspire du piquant de l’oursin

Marion Padioleau, CEO de Finsulate France. ©DR

Marion Padioleau, CEO de Finsulate France. © Finsulate

Née en 2008 aux Pays-Bas, la start-up Finsulate s’est donné pour mission de révolutionner l’antifouling, procédé qui consiste à appliquer une peinture sur la coque des navires pour empêcher les organismes de s’y fixer. Un traitement à renouveler régulièrement mais dont les océans se passeraient volontiers puisqu’il est fortement concentré en produits chimiques toxiques. Partant de ce constat, la start-up fait appel au chercheur hollandais Rik Breur, spécialiste des mécanismes d’établissement d’espèces marines, pour qu’il recherche une alternative moins impactante. « Il s’est inspiré du piquant de l’oursin, qui constitue une surface répulsive pour les organismes marins afin de développer une alternative qui agit de façon mécanique et non chimique, rembobine Marion Padioleau, fondatrice de Finsulate France, à Nantes il y a cinq ans. Un moyen de protéger durablement les coques de bateaux tout en préservant l’océan au moyen d’un film auto-adhésif biosourcé posé sur la coque. »

70 bateaux déjà équipés en France

Lorsque Marion Padioleau rencontre le chercheur, « le courant est si bien passé qu’on a décidé d’ouvrir le marché français. » Cinq ans après son arrivée à Nantes, Finsulate France a équipé près de 70 bateaux dans l’Hexagone. « Nous avons désormais une bonne visibilité de ce qui se passe sur nos côtes et on connaît les limites et avantages de notre produit… Notre solution ne répond pas à 100 % des besoins, comme les bateaux qui naviguent à 50 nœuds par exemple. En revanche, on équipe tous ceux à voile, les navires de travail et, de manière plus large, tout ce qui est gros et lourd. Un marché au large potentiel. »

L'antifouling non toxique de Finsulate qui s'inspire du piquant de l'oursin a déjà équipé 70 navires en France.

L’antifouling non toxique de Finsulate qui s’inspire du piquant de l’oursin a déjà équipé 70 navires en France. © Finsulate France

« Une petite pièce du grand puzzle de la décarbonation »

Un potentiel d’autant plus prometteur que le monde du transport maritime s’intéresse désormais à l’innovation de Finsulate : « De plus en plus de compagnies nous questionnent car elles ont pris conscience que notre solution constitue une petite pièce du grand puzzle de la décarbonation maritime. Notre objectif est désormais de travailler avec les chantiers navals, constructeurs et revendeurs, en allant les former à la pose de notre antifouling afin qu’ils soient autonomes avec leurs clients. À terme, notre ambition est ainsi de devenir la référence française en la matière. Nous y croyons car nous avons constaté une vraie bascule depuis la crise Covid : les plaisanciers semblent enfin prêts à naviguer autrement et les professionnels sont devenus partie prenante de la protection des écosystèmes. »

On comprend donc mieux pourquoi la start-up s’apprête à lever de 300 à 400 k€ au premier trimestre 2024. « Un moyen d’aller chercher le marché BtoB, de créer notre réseau de revendeurs et de recruter par la suite », conclut celle qui est également à la tête de Nina, association qui œuvre pour le respect des océans.

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(1) Le financement dilutif correspond à l’entrée au capital d’investisseurs dans le cadre d’une levée de fonds.