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ENTRETIEN – Benjamin Patissier, chef du restaurant La Chabotterie : « Rigueur et satisfaction au menu »

Benjamin Patissier est le chef du restaurant nouvellement étoilé La Chabotterie, à Montréverd, en Vendée. Cette récompense du guide Michelin vient couronner un parcours à travers les plus belles maisons de la gastronomie française, mais aussi le travail de toute une équipe. Dirigeant d’entreprise et cuisinier d’excellence, la réussite de Benjamin Patissier se résume par ces mots : amour du produit, rigueur dans l’exécution, et satisfaction des clients comme de ses collaborateurs.

Benjamin Patissier, chef, restaurant, La Chabotterie, Vendée

Benjamin Patissier, Chef du restaurant La Chabotterie, En Vendée. ©IJ

Quel est votre parcours ?

Je suis né en Loire-Atlantique en 1983. J’ai toujours aimé cuisiner, inspiré sans doute par ma mère et mes grand-mères qui passaient beaucoup de temps à concocter de bons plats à partir des fruits et légumes du jardin. Après le bac, j’ai donc naturellement passé un BTS « hôtellerie -restauration » à Nicolas-Appert, à Orvault. Comme j’en avais toujours rêvé, j’ai ensuite eu la chance de travailler aux côtés des plus grands chefs étoilés. Pierre Gagnaire à Paris m’a appris la pâtisserie. Puis je suis retourné en cuisine avec Anne-Sophie Pic à Valence avant de poursuivre mon voyage gastronomique à Genève au Parc des eaux vives avec Olivier Samson. En 2009, j’ai rejoint la Pyramide à Vienne comme sous-chef exécutif. C’est ici, qu’en 2015, j’ai obtenu le titre de Meilleur ouvrier de France, catégorie « cuisine gastronomie ».

Audrey Patissier, restaurant, La Chabotterie, Vendée

Audrey Patissier dressant une table du restaurant La Chabotterie. © Anne-Emmanuelle THION

J’avais de plus en plus envie de faire ma propre cuisine. En 2019, j’ai eu l’opportunité de devenir chef exécutif dans un grand domaine viticole du Luberon tenus par des financiers. Nous avions une vision très différente de la cuisine. Le confinement est arrivé et je n’arrivais pas à me projeter dans cette aventure. Avec ma femme, Audrey, rencontrée à l’école hôtelière, nous avions envie de nous rapprocher de nos familles. Alors quand nous avons appris le départ de l’ancien chef de La Chabotterie, nous avons contacté le Département de la Vendée, propriétaire de ce site historique. Nous avons immédiatement eu un coup de cœur pour ce lieu en pleine nature. C’est typiquement ce que nous recherchions. En mars 2021, nous avons remporté l’appel d’offres, sous la forme d’une concession de 12 ans. Nous sommes une équipe de 14 à 15 personnes. Moi, je suis en cuisine où je dirige une brigade de neuf personnes. Ma femme, Audrey, elle, gère la salle avec trois à quatre collaborateurs. Elle s’occupe aussi de l’administratif, de la comptabilité et des ressources humaines.

Dans ce contexte sanitaire particulier, comment avez-vous réussi à convaincre les banques de vous faire confiance ?

Nous avons eu la chance d’être bien entourés par l’agence Cellefi qui nous a aidés à monter un dossier cohérent et viable. Ce cabinet d’expertise comptable est spécialisé dans le suivi de projet d’acquisition ou de cession d’entreprise. Ils nous ont accompagnés pour monter le business plan, déterminer les investissements nécessaires (250 000 € pour l’achat du matériel, la décoration, la rénovation de la cuisine… NDLR) ou encore le ticket moyen pour être rentable. Nous nous sommes lancés dans cette aventure début 2021, en plein confinement, alors que les restaurants étaient fermés. Cela nous a laissé le temps de ficeler notre dossier dans les moindres détails. Les banques comme le Département de la Vendée ont cru en nous. La Chabotterie avait un passé gastronomique qui fonctionnait. Notre parcours d’excellence les a sans doute aussi rassurés. Malgré le contexte, la prise de risque était donc mesurée. Nous avons ouvert au bon moment, en juillet, juste après la levée des restrictions sanitaires pour les restaurants. Depuis cette date, nous sommes toujours restés ouverts.

La crise sanitaire a-t-elle eu des effets sur votre activité ?

Nous avons régulièrement des annulations de dernière minute, voire de clients qui ne viennent pas sans même avoir prévenu. Est-ce lié à la crise sanitaire, à l’époque ? Je ne sais pas. Certaines personnes renoncent clairement pour cause de Covid mais j’ai aussi le sentiment qu’aujourd’hui, les gens prennent et jettent assez facilement, surtout lorsque la réservation n’inclut pas le paiement, ce qui est le cas au restaurant où vous réglez la note à la fin du repas. Cette situation ne concerne heureusement qu’une infime partie de la clientèle mais cela a des conséquences sur notre organisation. Quand sur une salle de 25 couverts, une table de quatre personnes annule à 19h15, nous n’avons aucun moyen de nous retourner. Alors, oui, nous nous interrogeons pour faire payer une sorte d’arrhes afin que les clients se sentent engagés. Nous ne le ferions pas de gaité de cœur.

Benoit Chamoux, restaurant, La Chabotterie, Vendée

Benoît Chamoux, second de cuisine au restaurant La Chabotterie (à gauche) et le chef Benjamin Patissier. © Anne-Emmanuelle THION

Depuis le Covid, nous rencontrons aussi des difficultés de recrutement. Nous avons la capacité technique de faire 50 couverts mais notre ambition est d’en faire maximum 30 à 35 pour assurer un service de qualité, tout en étant rentable. Depuis l’ouverture, en fonction des équipes disponibles, il nous arrive d’ajuster à 25 couverts.

Comment faites-vous face à cette problématique de recrutement et de fidélisation de vos salariés ?

Déjà, une certitude, être un restaurant étoilé n’est pas un avantage pour recruter. Tout le secteur CHR est concerné par cette problématique, quel que soit le niveau de restauration. La filière souffre d’un manque d’attractivité, notamment auprès des jeunes. Les annonces publiées avec Pôle emploi, dans la presse spécialisée, et même sur les réseaux sociaux, ne trouvent pas d’échos. Le bouche-à-oreille qui fonctionnait est désormais insuffisant. Tout le monde peine à recruter, et donc hésite à laisser partir un membre de son équipe chez un confrère. Cette problématique concerne surtout la salle, un métier perçu, à tort, comme moins valorisant que la cuisine. Pour changer cette image, nous prenons régulièrement des stagiaires en salle pour leur donner envie de faire ce métier et de s’y épanouir.

Cette étoile Michelin est d’abord une belle reconnaissance du travail des équipes.

Nos autres actions s’inscrivent davantage dans une perspective de fidélisation que de recrutement. Les salariés qui viennent chez nous le font parce qu’ils adhèrent à nos valeurs et pour faire grandir la Maison. L’idée est de leur donner envie de rester. L’un de nos atouts, c’est notre emplacement géographique, entre Nantes et La Roche-sur-Yon, en pleine nature et à 40 minutes seulement de la mer. Nous disposons aussi d’un petit jardin aromatique, une façon ludique pour parfaire son apprentissage de la cuisine. Tous nos salariés disposent de plusieurs avantages : deux jours de repos consécutifs – le mardi et le mercredi – ainsi que le dimanche soir ; six semaines de vacances par an, réparties tout au long de l’année, dont trois semaines d’affilée après la Saint-Valentin, ainsi que le 24 décembre au soir et le 25 toute la journée pour que les équipes puissent passer Noël en famille. Par ailleurs, nous cherchons à valoriser le travail dominical de nos salariés. Le dimanche n’est pas un jour comme les autres. Si vous faites intervenir un plombier à domicile ce jour-là, vous le paierez plus cher. Pourquoi en serait-il autrement pour les employés d’un restaurant ? Proposer un menu plus cher le week-end pourrait donc s’entendre. Mais satisfaire nos équipes tout en ménageant nos clients est une équation difficile à mettre en place.

Vous avez obtenu votre première étoile en mars 2022, moins d’un an après l’ouverture de La Chabotterie. Quelles sont les retombées ?

Cette étoile est d’abord une belle reconnaissance du travail des équipes. Ancien établissement étoilé, La Chabotterie a eu la chance de bien fonctionner dès sa réouverture à l’été 2021. Le guide Michelin est une référence. Cette distinction nous a évidemment apporté plus de visibilité et nos clients doivent désormais réserver plus longtemps en avance. La hausse de notre chiffre d’affaires est dû à un lissage de l’activité lié en partie à l’étoile Michelin, mais aussi à l’inflation et à l’augmentation de la masse salariale.

Justement, comment l’inflation s’invite-t-elle à votre table ?

Elle se traduit par une hausse des matières premières et varie sensiblement selon le prix des produits. On a parfois des frais de livraison qui n’existaient pas avant. Mais grâce à des partenariats avec des producteurs locaux, et en travaillant des produits de saison, nous arrivons à contenir tant bien que mal ces augmentations. Mais le prix de la main d’œuvre et les charges induites ont aussi augmenté. Ainsi, depuis l’ouverture du restaurant, le taux horaire brut est en hausse de 3 €. A la fin du mois, l’addition est conséquente. Résultat ? Après l’été, nous avons été contraints d’augmenter nos menus de 5 €. Nous risquons de devoir le refaire prochainement.

Avez-vous pensé à réduire vos horaires d’ouverture ?

Non, jamais. Fermer pour cause de manque de main d’œuvre est pour moi un faux débat. Notre métier consiste à travailler pendant que les autres s’amusent. Si l’on ferme le weekend, je ne vois pas d’issue favorable à notre profession. Est-ce que les gens viendront dans un restaurant gastronomique sur leur temps de travail ? J’en doute.

Quels parallèles peut-on faire entre chef cuisinier et chef d’entreprise ?

Le premier point commun entre ces deux activités, c’est la rigueur, que ce soit dans la gestion des produits ou le management d’une équipe. Dans la gestion d’une entreprise comme dans la conception d’une assiette, il faut prendre en compte tout ce qu’il y a autour, savoir pourquoi on met quelque chose en place, vérifier sa faisabilité et se demander comment on fait pour le rentabiliser. Enfin, dans les deux cas, la satisfaction, celle des équipes et celle des clients, est un point essentiel.

Comment choisissez-vous vos fournisseurs et vos produits locaux ?  

Nous travaillons avec une vingtaine de producteurs locaux, en Vendée et Loire-Atlantique, avec qui nous partageons la même vision du produit. C’est une histoire de rencontre, de personne et de confiance. Je fonctionne beaucoup sur le bouche-à-oreille. Cette proximité avec les producteurs locaux a plusieurs avantages : la réactivité et le fait de pouvoir raconter l’histoire du produit de A à Z. Cela donne du sens à notre travail.

BENJAMIN ET AUDREY PATISSIER AVEC LEUR EQUIPE DEVANT LE RESTO LA CHABOTTERIR © Anne-Emmanuelle THION

Benjamin et Audrey Patissier avec leur équipe devant le restaurant La Chabotterie. © Anne-Emmanuelle THION

Les restaurants gastronomiques sont-ils toujours réservés à une élite ?

Pas du tout. Les restaurants gastronomiques se sont largement démocratisés ces dernières années. On est bien loin de l’image guindée d’antan avec un service omniprésent. Tout en demeurant attentifs aux besoins de nos clients, nous veillons à être dans un juste équilibre entre élégance et proximité. Après, venir dans un restaurant gastronomique reste un moment exceptionnel. Nous apprécions quand les clients portent une tenue élégante pour manger à La Chabotterie. Cela crée une osmose dans la salle.

Les restaurants gastronomiques se sont largement démocratisés ces dernières années. On est bien loin de l’image guindée d’antan avec un service omniprésent.

Pour moi, le prix n’est pas forcément un frein. Tout dépend de la fréquence et du type de restaurant où l’on va : on peut décider d’aller dix fois par an au fast-food pour 10 € ou préférer manger une seule fois dans un établissement gastronomique pour 100 € et y retrouver une cuisine lisible et le goût du produit. C’est un choix de vie, d’autant plus qu’en semaine, notre menu découverte est accessible pour 52 €. Et puis, c’est Noël ! Offrir un bon cadeau, c’est tendance !

Comment s’organise le Réveillon du nouvel an ?

Dès septembre, nous commençons à imaginer le menu du Réveillon du nouvel an. Début novembre, on affine avec les produits de saison et nous nous assurons de leurs disponibilités. Quinze jours avant le jour J, nous essayons les recettes pour vérifier la faisabilité technique et le goût. Du côté des équipes, nous ne prévoyons pas de renfort pour l’occasion car nous avons le même nombre de couverts que le reste de l’année. Début décembre, nous étions déjà complets mais nous prenons tout de même des réservations en liste d’attente en cas d’annulations éventuelles.

Y aura-t-il du foie gras ?

Avec la grippe aviaire, les prix du foie gras étaient devenus complètement fous et nous n’arrivions plus à nous fournir en local à un tarif cohérent. Depuis mars 2022, il n’y avait donc plus de canard et de foie gras à La Chabotterie. En septembre, nous avons recommencé à travailler le canard avec la maison Burgaud, un producteur vendéen, et nous rattaquons le foie gras que depuis décembre, pas dans le menu du Réveillon mais à la carte et dans les amuse-bouche. Le foie gras est un produit d’exception. Nous voulons lui redonner ses lettres de noblesse. Mais je crains pour le début de l’année 2023.

Lotte dorée, restaurant, La Chabotterie, Vendée

Lotte dorée au beurre demi-sel, variation de radis et huile de curry Madras.

A quoi ressemble votre menu de Réveillon ?

On commence par une araignée de casier avec sa fondue d’endives aux zestes de clémentine et à la pulpe de carottes acidulée et caviar osciètre. On poursuit avec des Saint-Jacques des côtes normandes, accompagnées de truffes, de champignons bruns et de panais rôtis. Il y a ensuite du bar de la criée des Sables d’Olonne, avec son risotto de céleri et coquillages et sa crème de Champagne. Nous proposons aussi un dos de chevreuil rôti au genièvre, avec des gnocchis de châtaignes et corolle de potimarrons. En dessert, place à une poire pochée aux épices douces, accompagnée d’une sauce chocolat truffée et d’une mousse légère à la vanille fumée. Ce ne sont que des produits français et de qualité.

Une recette de fête à partager ?

Tout simplement une belle pintade chaponnée avec des châtaignes autour, et une poêlée de cèpes. Plus c’est simple, meilleur c’est.

 

En chiffres

  • Nombre de salariés : 14 à 15
  • Nombre de couverts : entre 25 et 30
  • Ticket moyen : 130 €

 

 

 

Légendes photos © Anne-Emmanuelle THION

 

Le chef Benjamin Patissier et sa femme Audrey qui gère la salle.

Audrey Patissier dressant une table.

Benjamin Patissier.

Benjamin et Audrey Patissier avec leur équipe devant le restaurant La Chabotterie.

Le restaurant La Chabotterie.

Vue sur la terrasse du restaurant, un site historique en pleine nature.

Benoît Chamoux, second de cuisine, et le chef Benjamin Patissier.

Apéritif étoilé : tartelette fromage frais glacée à la carotte sur un coussin d’encre de seiche et rillette de sardine au citron noir.

Tarte d’écrevisse, main de bouddha et asperge verte de printemps.

Lotte dorée au beurre demi-sel, variation de radis et huile de curry Madras.

Pierre Leleu, chef sommelier de La Chabotterie.