À l’occasion d’une assignation en opposition à des sommations du bailleur qui réclamait l’exécution de divers travaux, un locataire a habilement demandé au bailleur le remboursement de l’intégralité de la TVA payée sur les loyers sur la période non prescrite, en estimant cette TVA indue en l’absence d’option TVA sur les loyers valable du bailleur.
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Une absence d’option TVA du bailleur sanctionnée fiscalement… et civilement
Pour rappel, la location de locaux à usage professionnel est en principe exonérée de TVA, mais peut faire, sous certaines conditions, l’objet d’une option pour un assujettissement volontaire à la TVA. Une telle option prend effet le premier jour du mois au cours duquel elle est formulée et doit notamment être formalisée par « une lettre simple adressée au service des impôts territorialement compétent ».
Formalité souvent négligée, l’option TVA sur les loyers a des effets fiscaux pour le bailleur et les conséquences fiscales d’une option non valable ou inexistante sont significatives : le rejet de la TVA déductible du bailleur, la potentielle application au bailleur de la contribution sur les revenus locatifs et le refus d’application du régime de l’article 257 bis du Code général d’impôt à l’occasion de la cession de l’immeuble loué, pouvant entraîner l’application de la TVA de plein droit ou des régularisations de TVA du chef du bailleur.
Cet arrêt met en lumière une autre conséquence significative, mais non fiscale cette fois, du non-respect de cette formalité. En l’absence d’option TVA valable, le locataire peut agir civilement contre le bailleur sur le fondement du paiement de l’indu afin d’obtenir le remboursement de la TVA facturée.
Il est important de noter que la Cour de cassation ne conditionne pas la restitution de la TVA au locataire à l’existence d’un redressement TVA de ce dernier. En effet, au cas particulier, alors que le locataire avait fait l’objet d’un redressement fiscal visant à rejeter la déduction de la TVA payée sur les loyers pour la période courant entre le 1er janvier 2014 et le 31 mars 2017, le bailleur est condamné à restituer au locataire la totalité de la somme indûment perçue au titre de la TVA entre le 1er août 2012 et le 30 juin 2017.
Autrement dit, un locataire est en droit de demander la restitution de la TVA indûment payée sur cinq ans (i.e. la prescription applicable en matière civile). Il est à noter ici que la prescription quinquennale dépasse le délai de réclamation applicable en matière fiscale qui est limité à seulement deux ans. Par conséquent, le bailleur ne pourra en tout état de cause, et sous réserve d’émettre de bonne foi et dans les délais impartis des factures rectificatives, récupérer auprès du Trésor que les deux cinquièmes (2/5) de la TVA rendue au locataire. La sanction pour le bailleur peut ainsi être très importante.
Un arrêt à large portée invitant à la prudence
La portée de cet arrêt ne doit par ailleurs pas être limitée aux situations impliquant une option à la TVA sur les loyers du bailleur. En effet, un locataire pourrait ainsi agir en paiement de l’indu contre un bailleur ayant appliqué la TVA « de plein droit » sur des loyers s’il estime qu’un tel assujettissement est injustifié. Cela pourrait par exemple s’appliquer à un bailleur louant des locaux d’habitation meublés en appliquant la TVA de plein droit sans respecter strictement les critères de la para-hôtellerie (fourniture d’au moins trois des quatre prestations de services suivantes : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle). Les situations impliquant des locations « indirectes » (location à un exploitant qui lui-même sous-loue à des utilisateurs finaux) pourraient également être concernées.
Cette jurisprudence invite ainsi les bailleurs à la prudence dans la gestion des options TVA sur les loyers. Plus généralement, la preuve de l’assujettissement à la TVA des loyers du bailleur doit non seulement être rapportée à l’administration fiscale, mais aussi à ses locataires.
Il est donc fortement recommandé aux bailleurs de veiller à la rédaction des clauses fiscales des baux et, le cas échéant, de joindre à ces derniers la preuve de l’assujettissement des loyers à la TVA (notamment la copie de l’option TVA sur les loyers envoyée à l’administration fiscale accompagnée de la preuve de sa réception par l’administration fiscale). S’agissant des baux en cours d’exécution, une revue des options TVA pourrait s’avérer judicieuse notamment vis-à-vis de locataires ne récupérant pas intégralement la TVA…
Cass. Civ. 3e, 12 septembre 2024, RG, n° 23-11.66