Début septembre, votre Imoca a été heurté par un bateau de pêche. Comment va aujourd’hui La Mie Câline ?
Le bateau va bien. L’équipe a travaillé d’arrache-pied pour réparer la partie de la coque endommagée et mon Imoca est reparti en navigation le 30 septembre. Ce chantier titanesque a été réalisé en un temps record et je serai bien au départ de mon cinquième Vendée Globe.
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Arnaud Boissières, vous êtes le seul skipper à avoir bouclé quatre Vendée Globe consécutifs. Prêt à battre votre propre record pour l’édition 2024 ?
Oui, je suis prêt même si, techniquement, il reste encore des choses à faire sur le bateau avant le départ. Bien que je sois fier de ce record, je le prends aussi avec beaucoup de recul et d’amusement. Par superstition sans doute, par humilité sûrement. J’aime dire qu’on est tous notre propre légende, que l’on fait tous des choses extraordinaires. Le Vendée Globe est une aventure fabuleuse qui pousse chaque skipper à se dépasser. Battre mon propre record serait juste la cerise sur le gâteau.
Le Vendée Globe est une aventure fabuleuse qui pousse chaque skipper à se dépasser.
Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle aventure ?
Avec le même enthousiasme et la même insouciance que lors de mon premier Vendée Globe en 2008. J’ai toujours la même envie d’y aller. C’est une éternelle découverte. Cela dit, avec l’expérience, j’ai gagné en sérénité, du moins jusqu’au départ. J’ai par exemple appris à gérer les nombreuses sollicitations médias et partenaires d’avant course.
Vous êtes originaire du bassin d’Arcachon. Pourtant, à l’issue de votre premier Vendée Globe en 2008, vous avez choisi Les Sables-d’Olonne comme port d’attache. Pourquoi ?
La première fois que je suis venu aux Sables-d’Olonne, c’était en 1989, à l’occasion du départ du tout premier Vendée Globe, remporté par Titouan Lamazou, mon héros. J’avais dix-sept ans et une leucémie menaçait mes rêves d’aventure. Les exploits de ces marins d’exception m’ont donné la force de vaincre la maladie. Cette première édition fut en quelque sorte mon premier Vendée Globe. Ici est née ma passion pour cette course. En 2008, j’ai eu la chance de la faire en vrai. Et c’est à la demande de mon partenaire de l’époque, le Vendéen Akena Vérandas, que je me suis installé ici. Il estimait que cela contribuerait à la notoriété de l’entreprise et susciterait davantage l’engagement des salariés. Et il a eu raison. Les Vendéens venaient me voir pour me soutenir. J’ai apprécié cette notoriété locale naissante.
Trois ans plus tard, pour mon deuxième Vendée Globe, Akena m’a donné la possibilité d’aller vivre ailleurs. Mais j’ai préféré rester. Pour le cadre de vie, l’ambiance, la convivialité. Je me sentais bien aux Sables-d’Olonne. J’avais des amis. Ce que j’aime ici, c’est que je ne suis pas pris pour une star parce que j’ai fait plusieurs Vendée Globe mais juste pour un voileux.
J’ai aussi découvert l’incroyable solidarité et humilité du tissu économique vendéen. Nous partageons les mêmes valeurs, le même discours. D’ailleurs, la grande majorité de mes quarante partenaires actuels sont vendéens. Pourquoi ? Parce qu’en vivant ici, c’est plus facile de nouer des partenariats locaux. D’autre part, parce que les chefs d’entreprises vendéens sont plus réceptifs à un projet voile comme celui du Vendée Globe que dans d’autres régions françaises.

CHRISTOPHE FAVREAU – LA MIE CÂLINE
Après Akena Vérandas, c’est au tour de La Mie Câline de vous faire confiance depuis 2015. Comment se sont noués ces partenariats ?
Dans les deux cas, c’est d’abord une histoire de rencontres. Je ne suis pas du tout commercial. Je n’ai pas d’agent, je ne fais pas de gros dossiers marketing. D’ailleurs, je préfère parler de partenaire plutôt que de sponsor. Un sponsor envoie un chèque et s’en va. Un partenaire, c’est à la fois un soutien financier et moral. Pour moi, la différence est énorme.
J’ai rencontré Christophe Chabot, le PDG d’Akena Vérandas, lors du salon nautique de Paris, en vue du Vendée Globe 2008. Je lui ai dit que je n’avais ni l’expérience ni le bateau pour le gagner. Ce discours vrai et authentique lui a plu et l’a convaincu de me suivre. Pour mon second projet Akena Vendée Globe, je cherchais des partenaires pour finaliser mon budget. Grâce à mon réseau amical, j’ai pu entrer en contact avec André Barreteau, le fondateur de La Mie Câline. Nous avons eu un bon feeling mais ce n’était pas le bon moment pour eux. Mon partenariat avec Akena Vérandas a pris fin en 2013, après mon second Vendée Globe. Le bateau a été vendu dans la foulée. Je voulais monter un nouveau projet, rebondir avec de nouveaux partenaires pour participer à l’édition 2016. Pour cela, je devais continuer à naviguer, coûte que coûte.
J’ai commencé par faire la transat Jacques-Vabre avec Bertrand de Broc. Puis, en 2014, j’ai créé ma société Au Grand Large. J’ai non seulement réussi à convaincre la banque de m’accorder un prêt pour acheter un nouveau bateau, mais aussi de devenir un de mes sponsors officiels. C’est ainsi que j’ai pu faire l’acquisition du Virbac-Paprec2, l’ancien Imoca de Jean-Pierre Dick, et participer à la transat Jacques-Vabre 2015. Malheureusement, une casse de la grand-voile m’a contraint à l’abandon.
Il vous manquait toujours un partenaire majeur pour le Vendée Globe 2016…
Oui, mais le fait d’avoir le Crédit Agricole à mes côtés a rendu ma démarche plus crédible et j’ai pu enfin décrocher un rendez-vous avec David Giraudeau, le directeur général de La Mie Câline. Je l’ai reçu dans mon atelier, aux Sables-d’Olonne. Lui était dans l’optique de faire des concours pour ses clients et salariés sous forme de journées en mer. Avant de parler finances, je lui ai proposé de visiter le bateau. Sur la coque, il restait une grande partie blanche pour le logo du partenaire principal. Je ne lui ai pas sorti de dossier sponsoring mais un visuel du bateau avec le logo de La Mie Câline en grand.
Pour le convaincre, je lui ai fait l’offre suivante : contre un financement de 40 % de mon budget Vendée Globe, La Mie Câline bénéficiait de 80 % de l’espace d’affichage. Il est reparti enthousiaste mais sans me donner de réponse. Deux jours après, il m’appelait pour m’annoncer qu’il finançait mon projet à hauteur de 250 k€. J’étais tellement surpris que je ne lui ai pas posé davantage de questions sur les conditions du partenariat. Résultat, j’ai passé un mauvais week-end, car je n’étais pas sûr d’avoir bien compris.
Qu’est-ce qui a convaincu David Giraudeau de s’engager avec vous ?
Ce qui lui a plu, c’est le collectif budgétaire que j’avais réuni et le côté proximité de ce partenariat. Son objectif était de développer la notoriété de La Mie Câline.
Comment ce qui devait être un « one-shot » s’est-il transformé en un partenariat durable ?
C’est toujours bon pour l’image d’une entreprise d’être fidèle à son skipper. Et pour le skipper, sur une compétition majeure comme le Vendée Globe, c’est important de fidéliser ses partenaires pour pérenniser son équipe. Cela permet aussi de rassurer la banque et les « petits » partenaires. Avec La Mie Câline, c’est une histoire qui dure parce que l’on s’entend bien et que l’on partage les mêmes valeurs. La signature de La Mie Câline, c’est « Le bonheur est là ». C’est une vision que je partage totalement. Naviguer sur l’océan est en effet un privilège incroyable.
Quelle est la nature de votre partenariat aujourd’hui ?
En 2021, La Mie Câline a renouvelé son partenariat pour quatre ans, jusqu’en décembre 2025 à raison de 350 k€ par an, ce qui en fait mon partenaire majeur. Cela représente environ 30 % de mon budget annuel qui est en moyenne de 1,1 M€ les années classiques et monte à 1,4 M€ l’année du Vendée Globe.

BENJAMIN LACHENAL
Quelle stratégie mettez-vous en place pour trouver des sponsors ?
Je n’ai pas de stratégie. Je suis un artisan des mers. Je discute avec un chef d’entreprise de la même manière qu’avec une personne croisée dans la rue. Mes partenaires me ressemblent, nous partageons les mêmes valeurs d’humilité et de convivialité. L’année du Vendée Globe, je fais pas mal de choses pour boucler mon projet. J’anime des conférences, je vends des produits dérivés (du vin, des livres). Je propose aussi régulièrement des journées en mer à des entreprises.
Chaque année, j’embarque ainsi trois cents invités sur mon bateau. Depuis 2008, cela représente environ cinq mille personnes, uniquement via le bouche-à-oreille. Parmi eux, il y a des chefs d’entreprise mais je ne sais pas forcément qui est à bord, car ce sont des clients de clients. Parmi ces invités, certains deviennent à leur tour partenaires. Ces promenades en mer sont ma meilleure carte de visite, tout comme la découverte du bateau à l’atelier.
Quelle part de votre temps consacrez-vous au sponsoring ?
Ça dépend si je suis en compétition ou pas et où l’on en est dans le calendrier Vendée Globe. Je ne suis pas toujours en recherche active mais je reste à l’affût d’opportunités. J’essaie d’avoir un coup d’avance. Par exemple, même si je suis focus sur le Vendée Globe 2024, j’ai déjà provoqué des rencontres pour l’édition suivante. C’est essentiel d’expliquer à mes partenaires ce que je veux faire après. Si je tarde trop, ils risquent de s’orienter vers un autre projet. C’est aussi pour cette raison que j’ai réussi à convaincre La Mie Câline de poursuivre le partenariat jusqu’à fin 2025, plusieurs mois après la fin de la compétition. Cela permet au partenaire de dresser le bilan de son engagement et d’apprécier pleinement les retombées médiatiques.
En 2022, vous avez acquis l’ancien Initiatives-Cœur de Samantha Davies. Pourquoi ce choix d’un Imoca d’occasion ?
Cet Imoca est d’abord un bateau de légende. Michel Desjoyeaux est le premier à avoir navigué dessus en 2010 et Armel Le Cléac’h est arrivé deuxième du Vendée Globe en 2013. Son acquisition est une belle histoire, car lorsque j’ai commencé à me pencher sur le Vendée Globe 2024, il n’était pas encore à vendre. Et, puis un jour, j’ai reçu un appel de Franck Vallée, sponsor et propriétaire du bateau Initiatives-Cœur pour m’annoncer qu’il allait s’en séparer. Nous nous connaissons bien et il me faisait la primeur de la nouvelle. J’ai eu à peine deux semaines pour me décider. C’est un bateau génial, polyvalent, dont les foils avaient déjà été modifiés. Des bateaux de cette génération, il y en a très peu sur le marché. Avant de finaliser cet achat, j’ai pu naviguer avec Samantha Davies, amie de longue date. C’est essentiel d’avoir un bon premier ressenti avec son futur bateau. Je suis très fier d’avoir dans les mains un bateau qui a appartenu à de grandes équipes. Près de quinze ans après ses débuts sur l’eau, cela montre qu’il a été bien entretenu et qu’il reste encore très performant.
La raison n’est-elle pas aussi économique ?
Si, effectivement. J’ai investi 1,9 M€ sur ce projet. Pour un Imoca neuf, il faut compter entre 5 et 6 M€. J’ai pu financer cet achat à hauteur de 300 k€ avec la vente de mon ancien bateau. Grâce à cet investissement raisonnable, j’ai pu, pour la première fois, consacrer un budget développement de plus de 100 k€ et ainsi faire évoluer techniquement mon Imoca.
Avec des Imoca neufs à plusieurs millions d’euros, le risque n’est-il pas d’avoir une course au large à deux vitesses ?
Je ne pense pas. La voile, c’est comme dans la vraie vie : ce n’est pas forcément le plus riche qui est le plus heureux et qui gagne. Plusieurs Imoca d’occasion ont d’ailleurs fait le podium du Vendée Globe. Si je fais un podium, ce sera clairement un hold-up (rires). Mon objectif : faire mieux que la dernière fois, où j’ai fini quinzième. Techniquement, c’est tout à fait possible. À moi d’être à la hauteur.
La voile, c’est comme dans la vraie vie : ce n’est pas forcément le plus riche qui est le plus heureux et qui gagne.
Vous êtes à la fois marin et chef d’entreprise. Quels sont les points communs entre les deux ?
La prise de risque, je dirais. Quand j’ai acheté ce bateau, je n’avais pas tout le budget : il me manquait mon partenaire principal. En mer, la prise de risque porte sur le choix des stratégies. Autre point commun : la gestion et le rôle des équipes. Derrière chaque skipper qui donne le cap et trouve des solutions, il y a des collaborateurs. Sans eux, nous ne sommes rien. Enfin, dernière similitude, l’un comme l’autre doit gérer ses échecs pour mieux rebondir. Je dis souvent qu’un échec en mer, c’est une opportunité à terre. Ainsi, en 2015, lorsque j’ai dû abandonner la Transat Jacques-Vabre, j’ai eu plus de temps pour expliquer mon projet et trouver mon partenaire.
Quel manager êtes-vous ?
Je pense être un manager généreux, ambitieux, exigeant et, je dois l’avouer, un peu râleur. Mon surnom, c’est Cali, en référence au personnage de dessin animé Calimero qui trouve que tout est trop injuste. Malgré tout, j’ai de la joie de vivre et j’aime la partager avec mon équipe.

CHRISTOPHE FAVREAU – LA MIE CÂLINE
Les organisateurs ont annoncé une course zéro énergie fossile à horizon 2028. Vous prenez les devants en expérimentant avec le Sydev, le Syndicat départemental d’énergie et d’équipement en Vendée, un mix d’énergies renouvelables. De quoi s’agit-il ?
Pour la première fois dans l’histoire de la course, un Imoca va faire le tour du monde équipé d’un mix d’énergies renouvelables incluant de l’hydrogène vert. Cet hydrogène est produit en Vendée, à Bouin, par le Nantais Lhyfe. Cette nouvelle source d’énergie jouera le rôle de réserve de secours et pourra offrir jusqu’à deux cents heures d’autonomie électrique. Panneaux solaires, hydrogénérateurs, éolienne et hydrogène vert vont donc se relayer pour fabriquer de l’électricité zéro émission à bord. En cas de black-out électrique, l’hydrogène vert pourra relancer en moins d’une minute les équipements de sécurité comme les feux de navigation et de radar. J’aurai ainsi davantage de temps pour identifier la panne et redémarrer les différents systèmes de production d’énergie. L’objectif est d’allumer le moins possible, voire pas du tout, le moteur thermique diesel. Nous voulons montrer qu’il est possible de naviguer sans laisser de traces sur l’océan ni menacer sa biodiversité. Tout au long de la course, une petite boîte noire calculera la part d’énergie produite par chaque type de source. Ces statistiques seront ensuite exploitées pour accélérer le développement d’une mobilité maritime durable.
Skipper et protecteur de l’océan, c’est pour vous une alliance naturelle ?
Je n’ai pas attendu que le sujet soit dans l’air du temps pour agir. Protéger les océans, c’est un devoir vis-à-vis des générations futures. Dès 1999, lors de la Mini Transat (ex-Boulangère Mini Transat), comme les autres participants, je m’étais engagé à ne rien jeter en mer. Aujourd’hui, quand je vais dans les écoles parler de mon métier de skipper et du Vendée Globe, j’explique simplement aux élèves ce qu’ils peuvent faire quand ils vont à la plage, comme ramasser les déchets avec leur seau et leur pelle pour les mettre dans la première poubelle qu’ils trouvent. Cet engagement est aussi visible sur mon bateau. La réglementation du Vendée Globe nous oblige à avoir au moins une voile verte, c’est-à-dire fabriquée en circuit court ou recyclable. Nous, on ne se contente pas d’une seule voile verte : toutes sont recyclées, recyclables et fabriquées en circuit-court. La membrane est fabriquée dans le sud-est de la France et les voiles sont assemblées en Bretagne. Dans mes précédents projets, le tissu venait des États-Unis par avion. Pour moi, cela va bien plus loin que le simple respect d’une réglementation ou d’un partenariat. C’est d’abord un engagement envers moi-même. Quand je me lève le matin, je me dis que chacune des actions contribue à ce que l’océan soit plus vert qu’il ne l’est aujourd’hui.

CHRISTOPHE FAVREAU – LA MIE CÂLINE
En chiffres
- 7 collaborateurs
- Un budget annuel entre 1,1 M€ et 1,4 M€
- Plus de 40 partenaires
- Finaliste de 4 Vendée Globe
Son palmarès
- 2001 : 3e de la Mini Transat
- 2005 : Vainqueur de la Route de l’Équateur
- 2008/2009 : 7e du Vendée Globe
- 2010 : 7e de la Route du Rhum
- 2012 : 8e du Vendée Globe
- 2013 : 6e de la Transat Jacques-Vabre
- 2016/2017 : 10e du Vendée Globe
- 2018 : 9e de la Route du Rhum
- 2020/2021 : 15e du Vendée Globe