Mis à jour le 14/02/25. Un mois après le triomphe de Charlie Dalin, le skipper Antoine Cornic vient de franchir la ligne d’arrivée, ce vendredi 14 février, en 28e position. Il boucle son premier tour du monde en 96 jours, 1 heure et 59 secondes. À quelques jours du grand départ, au village des Sables-d’Olonne, il avait évoqué à IJ ses dernières années de l’achat de son bateau, à la quête de sponsors pour atteindre le rêve de sa vie : participer au Vendée Globe. Nous vous proposons de redécouvrir cette rencontre.
« J’adore faire rêver les gens, mais peut-être que je ne faisais pas assez rêver les chefs d’entreprise. » Ces quelques mots révèlent la difficulté de prendre part à la plus exigeante des courses au large. À l’avant de son Imoca aux Sables-d’Olonne, Antoine Cornic se remémore ses années à batailler pour prendre le départ du Vendée Globe 2004. Échec de la tentative de record de l’Atlantique nord et perte de ses sponsors : le projet n’ira pas à son terme et met fin aux espoirs du Rochelais de faire le tour du monde.
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Vingt ans plus tard, en cette fin octobre, le skipper savoure chaque instant au village départ de cette dixième édition. Un clin d’œil à des partenaires venus visiter le bateau, un geste à des enfants le saluant depuis la file d’attente pour accéder au ponton, un brief avec ses équipes pour régler d’ultimes points techniques. Antoine Cornic est sur tous les fronts. Une effervescence qui ne lui déplaît pas, lui qui a tellement bûché pour figurer sur la liste des participants, tout en avouant à demi-mot « qu’il a hâte de passer en mode solitaire ».
Une rencontre décisive pour mettre vie au projet
Pendant une dizaine d’années, il avait entamé une autre vie loin de la course au large. Une reconversion en chef d’entreprise à la tête de deux restaurants sur l’île de Ré, une vie de famille et une montée en puissance dans le rugby, pilier droit au Stade Niortais. Mais il approche de nouveau le monde de la compétition en 2017 avec la Mini-Transat, une course transatlantique en solitaire. Tout bascule. « Je ne pensais plus au Vendée Globe. Il faut être capable de faire le deuil et d’avancer. Mais en pleine course, j’ai vite compris qu’il me manquait ce challenge, boucler la boucle de ce projet avorté et continuer ma vie. »
Les questions se posent, les doutes subsistent, les souvenirs du budget à boucler reviennent… Mais Antoine Cornic y croit et entame sa campagne de quatre ans, avec en ligne de mire, son objectif : le Vendée Globe 2024. Une rencontre décisive avec Pascal Barreau, dirigeant de l’entreprise niortaise Ebac, fabricant français spécialisé dans la literie, scelle son ambition. Le dirigeant devient armateur du bateau : le Spirit of Canada de l’Australien Jack Bouttell. Ils le savent déjà, de lourds travaux sont à mener dans cet Imoca datant de 2005, long de 18,28 mètres et pesant 8,8 tonnes, le plus ancien de la flotte de cette édition. Une course pour planifier les travaux s’engage, une course pour participer aux échéances de qualification et une course pour attirer des sponsors.
Le skipper ne veut pas voir resurgir les ombres du passé alors il joue la carte de la franchise. « Je n’ai jamais dit à mes partenaires que j’allais gagner le Vendée Globe. Ne jamais mentir. Nous sommes là pour raconter une aventure humaine. Sur un premier tour du monde, on ne peut pas parler de victoire. Il faut finir le tour. On a envoyé six cents personnes dans l’espace, il y a seulement cent vingt skippers qui ont participé à la course », rappelle-t-il.
« Le budget n’est jamais bouclé, on va être en déficit »
Ebac accompagne Antoine Cornic pour se lancer dans le circuit Imoca mais un sponsor principal est nécessaire. Le bouche-à-oreille opère. « Avant de me lancer dans la Vendée Arctique – Les Sables-d’Olonne en 2022, je rencontre le dirigeant de Human Immobilier, Benjamin Salah, à la tête d’un réseau d’agences immobilières. Nos valeurs sont communes. Les avocats vérifient le contrat, finalement vite signé, le projet marche sur l’humain. Human est le sponsor-titre jusqu’à l’arrivée du Vendée Globe. »
Pour chaque skipper, la mission est de convaincre les partenaires, d’injecter des apports financiers, pour une période de trois à quatre ans, « une campagne Vendée Globe ». Antoine Cornic mesure le chemin parcouru avec un financement autour de 3 M€ sur quatre ans et demi. L’un des plus petits budgets de cette édition. « Un énorme investissement, il a fallu les convaincre d’adhérer à notre discours et de rejoindre la campagne malgré les travaux, car il y avait un mât cassé, la quille à refaire. Une vraie aventure », sourit le skipper. Des transformations allant de l’achat de voiles d’occasion à une casquette de cockpit plus sécurisée ou de nouveaux safrans.

MATHIEU MARIN – IJ
Au-delà des sponsors majeurs, une trentaine ont aussi embarqué dans l’épopée : Pochon, Smala connection, Home Box, Mat de Misaine ou encore Timezero. Au village, certains noms viennent s’ajouter en dernière minute aux autres sur le mât, comme une station des Alpes ces derniers jours. Toutefois, le skipper préfère désormais se concentrer sur sa course : « Le budget n’est jamais bouclé, on va être en déficit de 50 k€. Mais je ne vais pas courir les bureaux pour essayer de les trouver avant le départ. » Avant de se raviser : « Je pourrai rembourser cette somme et équilibrer les comptes lorsque nous aurons revendu le bateau. »
Le marché des bateaux d’occasion, porte d’entrée pour 2028
Si le village respire et vibre au rythme de l’édition 2024, les skippers pensent déjà à la prochaine échéance. Différentes générations de bateaux seront sur la ligne de départ. Les plus récents de la flotte pourront être rachetés par d’autres skippers, certains finiront dans les mains de particuliers, d’autres auront des visées pédagogiques ou termineront leur vie dans les ports de plaisance. Des projets lourds à monter et de moins en moins amateurs dans un circuit Imoca qui se professionnalise, en particulier depuis la révolution technologique des foils. Un point de bascule avec « le monde d’avant ».
L’ancien champion de France de judo en 1997 est catégorique : « Le marché d’occasion va très vite. Avec mon équipe, nous ne construirons pas de bateau donc on travaille à différentes options. Un business plan pour 2028 a été établi pour un projet plus sportif qu’aventurier. » Un directeur financier étudie déjà toutes les possibilités.
Et forcément, le budget sera bien au-dessus des 3 M€. Équité sportive, sécurité des marins : la jauge Imoca a défini de nombreux critères qui entraînent de multiples travaux sur les plus anciens bateaux. « On ne sera plus dans les mêmes montants avec une structuration d’équipe complètement différente. Notre port d’attache ne sera d’ailleurs peut-être plus à La Rochelle », s’interroge-t-il.
Les idées fusent, les projets de deux éditions se mêlent. Mais le Rochelais recentre ses propos sur sa priorité : le départ du 10 novembre. « Les différentes étapes de construction du projet ont été franchies. Je montre que l’on peut y arriver, faire rêver les gens et garder l’âme du Vendée Globe, même avec l’un des plus petits budgets. Mais le défi reste de taille, comme pour tous les autres, je pars faire un tour du monde et affronter les mers du sud à quarante-quatre ans. L’âge pour faire un point sur ma vie et réfléchir », philosophe Antoine Cornic, en détournant son regard vers la façade du village ornée des vainqueurs de la course, juste en face de son bateau. « Je me suis battu pour être au départ. Finir le Vendée, ce serait déjà gagner. »

MATHIEU MARIN – IJ