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Valérie Desveaux, présidente de la Fédération du Bâtiment 44 : « Il faut agir pour le logement »

Présidente d’Atlantic Sols Confort depuis 2012, entreprise nazairienne spécialisée dans la pose de revêtements de sols (30 salariés pour 4,5 M€ de CA), Valérie Desveaux vient d’être réélue à la tête de la Fédération du Bâtiment de Loire-Atlantique. L’occasion de dresser un état des lieux de la filière et de ses enjeux, à l’heure où le logement neuf est en pleine crise.

Présidente d'Atlantic Sols Confort, Valérie Desveaux vient d'être réélue à la tête de la Fédération du Bâtiment 44 pour trois ans. © Benjamin Lachenal.

Présidente d'Atlantic Sols Confort, Valérie Desveaux vient d'être réélue à la tête de la Fédération du Bâtiment 44 pour trois ans. © Benjamin Lachenal

Pouvez-vous me parler de votre parcours avant Atlantic Sols Confort ?

J’ai choisi très tôt de m’orienter vers la construction et le bâtiment. J’ai commencé par un DUT en génie civil à Saint-Nazaire puis j’ai poursuivi sur un master en travaux publics et maritimes à Nantes. Je suis entrée dans la vie professionnelle dans la maîtrise d’œuvre et d’ouvrage sur de gros projets autoroutiers dans le Var. Puis, pour des raisons familiales, je suis revenue en Loire-Atlantique en 2005. C’est à cette occasion que j’ai rejoint l’entreprise Atlantic Sols Confort.

 

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette entreprise ?

Avant tout la rencontre avec les deux dirigeants de l’époque, André Roul, le directeur général, et Patrice Puypéroux, le président. Nous nous sommes retrouvés sur les mêmes valeurs de sérieux, de rigueur et d’engagement. On s’est très rapidement fait confiance et on a apprécié de travailler ensemble. J’ai repris la direction de l’entreprise en 2008 et suis devenue associée en 2012. C’est cette même année que j’en suis également devenue présidente.

 

Pouvez-vous présenter l’entreprise et son histoire ?

Elle est née en 1958 à Saint-Nazaire avec pour activité initiale et exclusive la pose de moquette sur les navires des chantiers de l’Atlantique. Ce sont les fondateurs qui ont par exemple posé celles du France, (célèbre paquebot parti de Saint-Nazaire en 1962, NDLR). L’entreprise a par la suite élargi son activité à la pose de tous types de revêtements de sol puis elle a changé de main en 1999 à cause de problèmes économiques. Elle s’est ensuite tournée vers le bâtiment, le travail à bord des bateaux est aujourd’hui très minoritaire.

 

Où en est l’entreprise aujourd’hui ?

Elle compte une trentaine de salariés autour de trois grandes activités : la pose de sols carrelés, de sols souples, ainsi qu’une activité complémentaire de sols résine. Ce produit nous permet de nous démarquer de la concurrence sur la pose de sols traditionnels.

Nous réalisons environ 4,5 M€ de chiffre d’affaires par an et nous assurons des chantiers de toutes tailles. Aujourd’hui, 50 % de notre chiffre est réalisé sur des marchés publics : établissements scolaires, hospitaliers ou bâtiments administratifs. L’autre moitié, ce sont des clients industriels, bâtiments tertiaires, commerces, restaurants et des particuliers.

 

Comment s’est passée la sortie du Covid ?

Nous avons connu un redémarrage très violent de l’activité. Pour réussir à le gérer, nous avons appris à être plus agiles dans la manière de diriger l’entreprise et l’organiser.

 

« Nous sommes confrontés à une nouvelle problématique : la crise du logement neuf qui dérègle tout le marché. »

 

Le recrutement a-t-il été problématique pour répondre à la forte demande ?

Vous m’auriez posé la question il y a six mois ou un an, je vous aurais dit “notre urgence, c’est de trouver des ressources humaines“. Aujourd’hui, la réalité est différente : nous essayons d’assurer une activité suffisante pour l’entreprise à moyen terme. Il n’y a pas d’inquiétude à court terme, mais on sent que la situation risque de se tendre dans les mois qui viennent. Donc l’embauche n’est plus notre premier sujet de préoccupation.

 

Atlantic Sols Confort compte une trentaine de salariés autour de trois grandes activités : la pose de sols carrelés, de sols souples, ainsi qu’une activité complémentaire de sols résine (en photo). © DR

Atlantic Sols Confort compte une trentaine de salariés autour de trois grandes activités : la pose de sols carrelés, de sols souples, ainsi qu’une activité complémentaire de sols résine (en photo). © DR

 

Mais alors quels sont vos enjeux à l’heure actuelle ?

Ils sont liés à l’adaptation de l’entreprise aux exigences de la société. Notamment tous les sujets RSE : le transport, la logistique, la décarbonation de nos activités… Il faut aussi travailler sur notre performance économique car nous avons un problème de rentabilité, comme la plupart des entreprises du bâtiment.

Depuis peu, nous sommes également confrontés à une nouvelle problématique : la crise du logement neuf qui dérègle tout le marché. Ce n’est pas le principal marché de l’entreprise… Mais la construction de maisons individuelles et de logements collectifs sont tellement à la peine que cela génère de fortes inquiétudes, qui se répercutent sur l’ensemble de la filière.

Nous avons enfin connu de fortes augmentations des tarifs des matériaux et des taux au cours de l’année dernière. Il faut que les équilibres se rétablissent pour que le marché puisse redémarrer. Car il y a actuellement de nombreux projets publics/privés qui ont du mal à sortir de terre, notamment pour des raisons de financement. Notre enjeu numéro un est donc commercial : il est de soutenir notre niveau d’activité.

 

Quelles sont vos ambitions de développement pour Atlantic Sols Confort ?

Elles sont assez fortes sur l’activité résine, qu’on est en train de développer notamment dans les Dom-Tom. Ensuite, dans un contexte de difficultés sur le logement neuf, notre objectif est de recentrer notre activité sur l’entretien et la rénovation des bâtiments. La France a devant elle a un énorme chantier de rénovation énergétique de ses bâtiments et notre priorité est d’arriver à accompagner cette transformation.

 

Vous venez d’être réélue à la tête de la Fédération du bâtiment de Loire-Atlantique. Quel bilan tirez-vous de votre premier mandat ?

Il a été passionnant mais chargé… Le redémarrage très intense de l’activité à partir de l’été 2000 s’est poursuivi en 2021 à un niveau très soutenu. La Fédération a alors dû répondre à la croissance de la demande en main-d’œuvre et chercher des solutions avec les acteurs de l’emploi. Nous avons monté des formations et lancé en parallèle de nombreuses démarches pour essayer de rendre nos métiers plus attractifs et accueillir des salariés en reconversion.

L’année 2022 partait sur la même lancée, mais la hausse des matériaux et le renchérissement du coût de l’énergie nous ont un peu coupé les ailes. Comme nous travaillons sur des cycles longs, entre le moment où l’on signe une affaire et celui où on la facture, nous n’avons pas forcément eu les moyens contractuels de répercuter les hausses de prix, contrairement aux industriels. Ça a donc été un mandat au cours duquel il a fallu accompagner nos adhérents pour gérer cette crise de l’énergie et des matériaux.

 

Comment la fédération a-t-elle épaulé les dirigeants face à la crise des matériaux ?

Lors de cette dernière, des industriels ont clairement profité de la situation au niveau des prix. Nous avons travaillé à les identifier et essayer d’agir contre ces comportements. Nous avons mobilisé des mécanismes et informé nos adhérents sur l’existence de ces dispositifs qui leur permettaient de défendre leurs intérêts et préserver leurs trésoreries. Nous avons également organisé des réunions baptisées “comment piloter son entreprise face à la crise“.

Comme les entrepreneurs en activité n’avaient jamais connu une période aussi chahutée en termes d’inflation, nous avons cherché à leur faire traverser cet épisode en limitant la casse et en faisant de la prévention pour la suite : modifications des conditions générales de vente, négociation systématique avec les clients des conditions et délais de paiement, négociation d’une avance, évolution de la durée de validité des devis… Bref, nous les avons incités à travailler sur la trésorerie et tous les risques économiques.

 

Quels sont les objectifs de ce second mandat ?

Il y a eu peu de solidarité dans la filière lors de la crise des matériaux. Nous avons durement réalisé que les entrepreneurs du bâtiment ont une place assez fragile dans cette filière de la construction alors que nous sommes le maillon productif. Ce n’est pas admissible. Nous devons au contraire être respectés. Pour cela, nous devons travailler sur notre position et notre environnement contractuel qui nous contraignent beaucoup trop aujourd’hui.

Ce second mandat sera également placé sous le signe de l’innovation. Nous avons mis en place une commission dédiée qui travaille depuis plus d’un an à identifier des opportunités pour nos adhérents. Sa première mission a été d’élaborer des propositions pour nos adhérents avec comme objectif de mieux valoriser nos services et faire grimper nos marges. Cette commission va également faire des propositions de formation, sourcing, nouveaux services, outils numériques et digitaux… Des moyens d’aider nos entreprises à gagner en productivité et d’avoir des effets sur la sinistralité, notamment dans la prévention des accidents de travail.

 

« La machine est complètement grippée et il est sans doute trop tard pour sauver certains constructeurs de maisons individuelles et promoteurs. »

 

Comment vont les entreprises du bâtiment en Loire-Atlantique aujourd’hui ?

Concernant les remboursements des PGE, il n’y a pas de casse ou vraiment très peu. Les défaillances constatées au tribunal de commerce de Nantes concernent certains secteurs d’activité bien identifiés, notamment les TPE du bâtiment. C’est presque sans surprise car on a vécu un gel de la situation depuis trois ans. Là, on est sur un retour à la normale, avec des chiffres qui restent très inférieurs à ceux de 2019.

Pour ce qui est des bilans 2022 de nos entreprises, ils sont plutôt bons alors qu’ils auraient dû être très bons. 2021 et 2022 ont été deux années où nous avons réussi à reconstituer des fonds propres. On espérait que ça continue comme ça en 2023. S’il n’y avait pas eu cette crise du logement neuf, nous aurions très clairement pu être sereins. Mais en réalité, nous sommes inquiets pour toutes nos entreprises du pôle habitat, qui inclue les constructeurs de maisons individuelles et les promoteurs, dont les ventes sont en très nette diminution en ce début d’année et pour les entreprises qui travaillent sur ce marché.

 

 

 

Justement, vous avez des chiffres ?

D’après l’Observatoire Oloma (1), les ventes dans la région au premier trimestre 2023 sont en baisse de 61 % sur les investisseurs et 47 % sur les acquéreurs occupants par rapport au premier trimestre 2022. La promotion immobilière sur Nantes Métropole a chuté de 61 % sur la même période en nombre de ventes. En valeur absolue, le nombre de ventes n’a jamais été aussi bas sur un trimestre depuis que l’observatoire existe. C’est vraiment une crise sans précédent. Aujourd’hui, la machine est complètement grippée et il est sans doute trop tard pour sauver certains constructeurs de maisons individuelles et promoteurs.

Dans ce contexte, nos adhérents anticipent non seulement une baisse de leurs carnets de commandes mais aussi de leurs marges. À tel point qu’on voit très clairement arriver une très forte chute de l’activité en 2025.

 

Anticipez-vous également une baisse des effectifs ?

Tout à fait, la Fédération anticipe, sur le plan national, une baisse des effectifs de 100 000 salariés dans le bâtiment en 2025. À l’échelle de la Loire-Atlantique, cela pourrait représenter 10 à 15 000 emplois supprimés. Il y aura sûrement un léger amortisseur lié à l’activité induite par la construction du CHU mais il faut s’attendre à une décrue sensible des effectifs. Ce qui serait vraiment dommage vu la peine qu’on a eu à former et recruter ces salariés. C’est d’autant plus frustrant que ces logements neufs, les Nantais en ont besoin et la demande n’a pas chuté.

 

Comment s’explique cette crise ?

C’est une conjonction de plusieurs facteurs : le coût de construction qui a augmenté avec le renchérissement des matériaux, les taux des crédits qui augmentent, les taux d’usure qui bloquent pas mal d’opérations, la raréfaction du foncier. Ces différents paramètres qui convergent simultanément entraînent tout le marché à la baisse.  Car toutes les ventes que ne font pas nos constructeurs et promoteurs immobiliers, ce sont des chantiers qu’on n’aura pas à livrer en 2025.

 

Que faire pour dégripper la machine ?

Il faut agir pour le logement. Pour cela, il faut d’abord libérer du foncier. Mais aussi alléger la réglementation. C’est à dire que, par exemple, sur notre métropole, il y a des zones d’aménagement concerté avec des règlements qui sont non pas ceux du PLU, mais ceux du PLU augmenté d’exigences. Il faut arrêter tout ça : l’environnement réglementaire est déjà suffisamment cadré et contraignant.

Il faut aussi que l’État réfléchisse à assouplir les règles du crédit limitées à 25 ans et à un taux d’endettement de 34 %. Toutes ces règles contraignent beaucoup trop les Français et les banques. Aujourd’hui, certains dossiers avec un niveau très confortable de revenus ne passent pas parce que le cadre est devenu beaucoup trop rigide.

« Nos entreprises sont prêtes à former, recruter et s’approprier de nouvelles techniques pour accompagner le boom du marché de la rénovation énergétique. »

 

Le recrutement reste malgré tout un enjeu pour le secteur. Quelles actions allez-vous déployer pour susciter des vocations ?

La Fédération va organiser à l’automne les “Coulisses du bâtiment“, une opération nationale annuelle consistant à ouvrir aux collégiens et à leurs enseignants des chantiers et centres de formation. Un moyen de lever les a priori sur les carrières dans le bâtiment.

Nous participerons également à de nombreuses actions dirigées vers les demandeurs d’emploi pour les informer sur nos métiers et déployer des formations. Il y a enfin Bati Mix, une association dont la Fédération est membre fondateur. Elle a été créée en 2022 à l’initiative d’une de nos adhérentes pour promouvoir la mixité dans le bâtiment et en particulier la place des femmes. Bâti Mix a énormément d’actions prévues sur l’année 2023. On vient notamment d’inaugurer dans les locaux de la Fédération une exposition photos qui présente 23 portraits de femmes travaillant dans le bâtiment. Chacun photo est accompagnée d’une légende qui retrace le parcours de chaque femme. Un moyen de rappeler que le bâtiment n’est pas un secteur réservé aux hommes. C’est un monde fait de mixité dans lequel les femmes constituent une véritable richesse et ont toute leur place.

 

La Fédération organise à l'automne les “Coulisses du bâtiment“, une opération consistant à ouvrir aux collégiens et à leurs enseignants des chantiers et centres de formation.

La Fédération organise à l’automne les “Coulisses du bâtiment“, une opération consistant à ouvrir aux collégiens et à leurs enseignants des chantiers et centres de formation.© DR

 

La rénovation semble prometteuse pour les décennies à venir. Comment aidez-vous les entreprises à aller vers ce marché ?

Suite aux engagements pris par la France pour le climat, on veut tous faire notre part du chemin. Mais au rythme actuel de la croissance du marché de l’entretien rénovation, il nous faudrait 350 ans pour réussir à les tenir. Il faut donc accélérer, c’est indispensable. Pour cela, nous devons industrialiser nos process de rénovation et déporter certaines tâches en atelier et en usine. Il faut clairement qu’on se donne les moyens de produire beaucoup plus, plus vite et changer notre façon d’appréhender la pose sur les chantiers. On peut par exemple imaginer que demain des façades entières seront préfabriquées en atelier avant d’être assemblées sur le chantier. C’est la tendance qui va très probablement révolutionner le marché de l’entretien rénovation. Il va falloir mobiliser beaucoup de ressources pour industrialiser le processus et tenir nos engagements. Mais nos entreprises sont prêtes. Prêtes à former, recruter et s’approprier de nouvelles techniques pour accompagner le boom du marché de la rénovation énergétique.

 

Quel sont les plus gros challenges d’avenir pour le secteur ?

C’est absolument anormal que l’activité ne soit pas plus rémunératrice dans le bâtiment. Il est impératif d’améliorer notre niveau de marge car il n’y a pas d’autres activités industrielles, ni de service, où son niveau est si faible. Le second sujet, c’est d’arriver à travailler notre image pour convaincre le grand public de ce qu’on est capable de faire. Aujourd’hui, la plupart de nos entreprises sont reprises par des gens qualifiés, voire très qualifiés. Or, on a encore bien souvent l’image de l’entrepreneur du bâtiment un peu archaïque qu’il faut faire évoluer. Les jeunes qui se cherchent un avenir ou les gens qui envisagent de se reconvertir ne doivent pas hésiter pas à venir voir ce qui se fait chez nous. Car nos entreprises sont en pleine transformation et on y fait plein de belles choses.

L'assemblée générale 2021 de la Fédération du Bâtiment sur le thème de l'Oktoberfest.

L’assemblée générale 2021 de la Fédération du Bâtiment sur le thème de l’Oktoberfest.

(1) Oloma est l’Observatoire du logement neuf des Pays de la Loire. Il existe depuis 2007 et son président est Bertrand Mours.