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Temps partagé : une solution durable contre la crise du travail ?

Initié en France dans les années 1980, le temps partagé repose sur la mise à disposition à temps partiel ou complet de professionnels expérimentés entre entreprises d’un même bassin d’emploi. Qu’il s’agisse de groupements d’employeurs ou de cabinets privés mettant en relation des freelances et des dirigeants, on évalue à 500 000 le nombre de professionnels en temps partagé. Si le modèle offre un renouvellement des relations de travail, est-il pour autant le maillon manquant entre perte de sens et difficulté à recruter ? Éléments de réponse en Vendée.

L’équipe support de Partageo avec à droite David Collet. ©Partageo

Créé à l’initiative de trois chefs d’entreprise vendéens, André Barreteau (le fondateur de La Mie Câline), Christophe Traineau (Etik Ouest à Soullans) et Philippe Gaudin (propriétaire du Super U Saint-Jean de-Monts), Partageo est un groupement d’employeurs pratiquant le temps partagé depuis 1999. « L’idée est née des besoins observés sur leur territoire d’origine, la commune du Perrier, à proximité de Saint-Jean-de-Monts, contextualise David Collet, l’actuel directeur de Partageo. Difficulté à faire venir des salariés en nombre, problématique d’accessibilité, d’accès au logement… Partager des compétences entre entreprises prenait alors tout son sens ! 25 ans après, nous avons une soixantaine d’entreprises adhérentes et clientes, tous secteurs d’activités confondus (industrie, agroalimentaire, activité tertiaire, transport, bâtiment, logistique …) et une cinquantaine de salariés sous contrat de travail avec nous, des CDI à 80 %. »

Un contrat, plusieurs employeurs

« Contrairement à l’intérim, nous ne faisons pas de missions courtes. On pilote véritablement des parcours professionnels comme n’importe quelle entreprise le ferait avec ses collaborateurs. L’objectif est de fidéliser nos salariés, les former, les amener à progresser. Nous ne gérons pas de la ressource ponctuelle », insiste-t-il.

Particulièrement adapté aux fonctions supports (communication, comptabilité, ressources humaines…), le temps partagé offre une forme de “flexisécurité“ appréciée des jeunes générations tout en offrant aux TPE/PME un certain confort dans la gestion de leurs ressources humaines. « Nos salariés apprécient le cadre normé du salaire à la fin du mois, tout en ayant une forme d’autonomie dans l’exercice du métier à travers différents lieux de travail. Une façon de construire sa vie professionnelle dans une multi-dimensionnalité, de nourrir sa curiosité en variant les expériences sans nécessairement créer son entreprise, analyse le directeur. Et côté entreprise, une PME peut très bien ne pas avoir les moyens ni le besoin d’un temps plein sur certaines compétences. Un jour ou deux par semaine peuvent lui suffire. Avec le temps partagé, elle a néanmoins la certitude de s’adjoindre les services d’une personne dont c’est le métier. Et puis elle est allégée de la charge liée à la gestion des ressources humaines puisque l’on recrute et pilote l’administratif pour elle (déclaration à l’embauche, visite médicale du travail, etc.). »

Rendre accessibles des compétences pointues

Julien Voisin, co dirigeant de Voisin Construction ©Voisin Construction

C’est le cas pour Julien Voisin, co-dirigeant de Voisin Construction, une PME de maçonnerie spécialisée dans le gros œuvre. En 2017, l’entrepreneur rencontre par hasard un groupement d’employeurs qui lui présente son modèle. « À cette époque, je cherchais à recruter un gestionnaire de paie à temps partiel, se souvient-il. Un poste difficile à pourvoir en tant que tel. Le temps partagé a été la solution pour capter cette compétence tout en limitant les coûts pour l’entreprise. En tant qu’entreprise du bâtiment, nous embauchons des maçons, prévient-il. Cela n’aurait pas de sens de partager notre cœur de métier. En revanche, cela en a pour les fonctions supports. » Depuis six ans, Voisin Construction emploie un chargé de communication à temps partagé. « Avoir quelqu’un qui s’occupe de notre visibilité de façon régulière et non pas par à-coup comme on en avait l’habitude a été bénéfique. On a commencé par une journée toutes les deux semaines et aujourd’hui nous sommes passés à une journée par semaine, qui correspond davantage à nos besoins, explique-t-il. Valérian (l’expert communication partagé, NDLR) a son bureau, son poste de travail et un accès aux ressources de l’entreprise comme n’importe quel collaborateur. » Il ajoute : « Il fait partie de l’équipe quand il arrive le lundi matin et on le quitte à la fin de la journée comme on quitte un collègue le vendredi soir. Je suis convaincu que le système mériterait d’être mieux connu. » Et de conclure : « Avant de rejoindre l’entreprise de mon père en 2015, j’étais contrôleur de gestion. À un moment de ma carrière, j’ai eu envie de plus de liberté. Si j’avais su que le temps partagé existait, je me serais épanoui à jouer ce rôle au sein de plusieurs structures. Aujourd’hui, vu ma taille d’entreprise (moins de 50 salariés), je ressens le besoin d’intégrer une compétence QSE (qualité sécurité environnement) mais ce serait une charge trop importante à plein temps. J’étudie sérieusement la mise en place d’une telle fonction en temps partagé.»

Une pratique encore peu connue

« 60 adhérents en 25 ans d’existence, c’est beaucoup et peu à la fois, reconnaît David Collet. On découvre chaque semaine des entreprises qui ne connaissent pas notre mode de fonctionnement. En revanche, nous sommes visibles des acteurs du service public qui nous associent à leur réflexion sur l’emploi et le logement des salariés. Nous faisons partie de l’Économie sociale et solidaire et sommes considérés comme des quasi-institutionnels même si nous sommes sous statut de droit privé associatif, précise-t-il. Notre action réside avant tout dans l’économie locale, avec pour objectif principal le développement des entreprises, le maintien de l’emploi et des savoir-faire sur le territoire. Nous n’avons pas vocation à faire des bénéfices. Quand on a du résultat excédentaire, on l’utilise en formation pour nos salariés ou pour des projets de développement du groupe. Notre modèle vise uniquement à équilibrer nos coûts d’exploitation. »

Interrogé sur l’avenir de la structure, le directeur vise 80 adhérents et 70 salariés d’ici trois à cinq ans et souhaite développer ses deux bassins d’emplois historiques, les communautés de communes de Saint-Jean-de-Monts et de Challans Gois, jusqu’à La Roche-sur-Yon.