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Samuel Guérin, gérant de Guérin Bâtiments : « Nous avons su rebondir »  

Fondée il y a plus de 65 ans dans le bocage vendéen, la menuiserie Guérin Bâtiments s’inscrit dans la tradition des entreprises familiales qui ont réussi à maintenir le cap malgré les difficultés internes ou conjoncturelles. Pour preuve, la PME est parvenue à se relever d’une terrible épreuve, un violent incendie qui a ravagé ses ateliers en mai 2020, en pleine crise sanitaire. Rencontre avec son dirigeant, Samuel Guérin, qui, entre résilience et pragmatisme, s’est immédiatement retroussé les manches pour continuer à avancer.

Samuel Guérin

Samuel Guérin, gérant de Guérin Bâtiments © Benjamin Lachenal

Pouvez-vous rappeler l’origine de l’entreprise ?

La société a été créée en 1957 par mon grand-père, Alexis Guérin, qui avait installé son atelier à côté de chez lui, dans le centre de Saint-André-Goule-d’Oie. Marcel Arrivé et son frère Joseph qui eux venaient de fonder leur usine d’alimentation pour volailles (qui ne s’appelait pas encore Maître Coq) ont été ses premiers gros clients. Seul au départ, mon grand-père a alors commencé à recruter et à se spécialiser dans la construction de bâtiments avicoles. Mon père, Daniel Guérin, a rejoint l’entreprise dans les années 1980, et l’a reprise une vingtaine d’années plus tard lorsque mon grand-père est parti à la retraite.  

La société a continué d’évoluer avec l’embauche de nouveaux salariés et l’agrandissement des locaux afin de bien délimiter les deux activités de la menuiserie. D’un côté, la construction de bâtiments en bois, de l’autre, la réalisation de charpentes métalliques. En 1998, pour accompagner la croissance de l’entreprise et épauler mon père qui éprouvait de plus en plus de difficultés à tout gérer seul, ma mère qui était enseignante à l’époque est venue le rejoindre pour prendre en charge la partie administrative.

Quel a été votre parcours avant de rejoindre l’entreprise à votre tour ?

Avant d’entrer à l’école de Design Pivaut à Nantes en 2000, j’ai décidé de faire une pause d’un an pour préparer le concours. Cette période m’a permis d’apprendre en parallèle le métier de soudeur aux côtés de mon père. À l’issue de mes quatre années d’études, j’ai décroché mon diplôme de designer. En 2004, je suis devenu salarié de la menuiserie, tout en créant ma propre société en tant que designer indépendant.

Un an plus tard, vous avez dû surmonter une douloureuse épreuve…

En avril 2005, nous avons en effet appris que ma mère était atteinte d’un cancer. Mon père m’a alors proposé de la remplacer sur la partie gestion, le temps qu’elle suive sa chimiothérapie. Son état de santé s’est dégradé au mois d’août et elle a dû être hospitalisée. Dans le même temps, mon père et moi devions continuer de faire fonctionner l’entreprise. Je n’y connaissais pas grand-chose en comptabilité et mon père ne savait pas ce qu’il y avait sur les comptes bancaires. Nous avons alors été accompagnés par un centre de gestion, ainsi que par la banque et les assurances. Ma mère est décédée quelques mois plus tard et j’ai choisi de rester auprès de mon père pour gérer la partie administrative.  

Progressivement, vous avez commencé à dessiner des projets pour les clients de la menuiserie ?

Oui, mon père m’a demandé de l’accompagner sur les chantiers afin que je propose mes idées. Je me suis alors pris au jeu et j’ai commencé à dessiner des plans. En 2009, un poste de secrétaire a été créé, me permettant de m’impliquer de plus en plus dans la conception de projets et le suivi de chantiers. À partir de 2012, alors que mon père envisageait de vendre l’entreprise, j’ai commencé à réfléchir à une éventuelle reprise. Mais ayant besoin d’étoffer mes connaissances en matière de management, j’ai suivi pendant deux ans une formation. En 2016, j’ai adhéré au CJD Vendée Bocage (Centre des jeunes dirigeants, NDLR), qui m’a permis d’échanger avec des dirigeants et d’avoir des retours d’expériences. J’ai repris officiellement la menuiserie le 1er janvier 2018 tandis que mon père est devenu consultant. C’est à cette époque que nous avons commencé à être sollicités par des industriels et artisans. Grâce au bouche-à-oreille, cette nouvelle activité s’est peu à peu développée.

Le 18 mai 2020 est une date qui restera gravée à jamais dans l’histoire de l’entreprise. Vos ateliers ont en effet été ravagés par un incendie. Que s’est-il passé précisément ?

Le feu a pris en plein après-midi, aux alentours de 15h, dans le système d’aspiration de peinture dont les filtres étaient encrassés. Une étincelle provoquée par un phénomène électrostatique dans les caillebotis métalliques a déclenché l’incendie qui s’est rapidement propagé. C’est un véritable concours de circonstances.

Où étiez-vous à ce moment-là ?

J’étais sur un chantier à Pouzauges, à une trentaine de kilomètres de l’entreprise. J’ai vu sur mon téléphone plusieurs appels en absence. Je suis sorti et j’ai aperçu une colonne de fumée. J’ai alors tout de suite compris ce qui était en train de se passer. Quand je suis arrivé sur place, seuls les bureaux ainsi qu’un bâtiment de 1 000 m² en cours de construction avaient été épargnés. Tout le reste, à savoir les ateliers ainsi que les machines, étaient partis en fumée.  

Comment avez-vous réagi ?

Dans un premier temps, j’étais soulagé de constater qu’il n’y avait aucun blessé, ni parmi mes salariés, ni du côté des pompiers. C’était bien sûr le principal. Ensuite, j’ai pensé à mes clients, au planning et à la façon dont nous allions pouvoir honorer les commandes. 

Avez-vous le sentiment d’avoir été bien entouré  ?

Oui, la solidarité s’est rapidement mise en place. Dès le lendemain, nous avons organisé une grande réunion à laquelle a participé le maire de la commune, Jacky Dallet, qui nous a immédiatement proposé des solutions temporaires pour nous permettre de poursuivre notre activité, ainsi qu’un terrain pour reconstruire par la suite. Quant aux assureurs, ils ont rapidement traité notre dossier et nous ont bien accompagnés.

 

Comment vous êtes-vous réorganisés au sein de l’entreprise à la suite de ce drame ?

Notre équipe sur les chantiers a pu continuer à travailler. Des confrères, installés à Saint-Fulgent et en Deux-Sèvres notamment, nous ont prêté ou vendu du matériel et des matériaux. Les salariés de la partie production sont eux restés au chômage technique durant plusieurs semaines, le temps de trouver une solution provisoire. Nous avons pu installer temporairement notre atelier de construction métallique dans un local à Sainte-Florence. Notre atelier construction bois a lui été déplacé dans le bâtiment qui n’avait pas été touché par l’incendie. La production a pu véritablement repartir après les vacances d’été, en septembre 2020, soit trois mois plus tard.

Après l’incendie, entre juin 2020 et juin 2021, vous avez même réussi à réaliser l’un des meilleurs chiffres d’affaires de l’entreprise. Comment l’expliquez-vous ?

Avec le recul, je pense que le fait d’avoir toujours eu une visibilité sur au moins huit mois nous a en grande partie sauvés. Malgré les conditions précaires, nous avons réussi à respecter le planning.

Nous avions des délais à tenir vis-à-vis de nos clients, et il fallait relancer la machine rapidement. 

Avez-vous eu des moments de doute ?

Sincèrement, non. Parfois on me dit que j’aurais pu choisir de partir avec le chèque de l’assurance, mais ça ne m’est jamais venu à l’esprit. Je suis resté dans une dynamique de travail, tandis que tout s’est enchaîné. Je n’ai pas le sentiment de m’être arrêté. Nous avions des délais à tenir vis-à-vis de nos clients et il fallait relancer la machine rapidement. Je reconnais que les nombreux messages de soutien et d’encouragement ont permis de remotiver les équipes. J’ai aussi été particulièrement soutenu par ma compagne, alors que je n’étais pas très présent pour ma famille à ce moment-là.

Puis est venu le temps de la reconstruction[1] sur un nouveau terrain à l’extérieur de Saint-André-Goule-d’Oie, sur la zone artisanale du Pont-Girouard.

Oui, et nous devions faire vite. Nous avions en effet un délai de 18 mois pour bénéficier de l’indemnisation au titre de la garantie des pertes d’exploitation. La première pierre a été posée le 1er janvier 2021. Mon père s’était chargé de la commande des nouvelles machines. De mon côté, j’ai dessiné les plans avec l’appui d’un architecte. Je voulais une façade rappelant l’activité de l’entreprise, entre bois et métal, et à l’intérieur, des espaces fonctionnels permettant de bien dissocier nos différentes activités : collage, bois/pvc, constructions métalliques. Avec les chefs d’ateliers, nous avons réfléchi au flux de travail et à la façon dont on allait intégrer les machines. Ensuite, nous avons aussi transféré le bâtiment qui avait été épargné par le sinistre. Nous sommes alors passés d’une superficie de 3 400 m² à 5 200 m², avec en prime une proximité avec la nationale 137, alors qu’auparavant les poids lourds devaient entrer dans le centre de Saint-André-Goule-d’Oie pour charger et décharger la marchandise. Nous avons également réfléchi au volet environnemental pour aller vers une autonomie d’énergie, en installant des panneaux photovoltaïques sur le toit du bâtiment, ainsi que des ombrières sur le parking. Nous avons déménagé en septembre 2021 et inauguré les locaux le 20 mai 2022, soit quasiment deux ans jour pour jour après l’incendie. C’était important pour nous de réunir ce jour-là nos proches, nos clients, nos fournisseurs, pour montrer qu’on était toujours là et que nous avons su rebondir. 

Finalement, peut-on dire que cet incendie vous a permis de repartir de zéro et de concevoir une entreprise à votre image ?

Exactement. Cette fois, c’est moi qui ai imaginé les bâtiments, et non mon grand-père ou mon père, parti à la retraite fin 2021. Depuis cette année-là, l’entreprise a changé de nom pour devenir Guérin Bâtiments. À la rentrée 2022, nous avons aussi changé de logo pour repartir, mes collaborateurs et moi, vers une nouvelle aventure. Je considère d’ailleurs que mes salariés sont mes collègues, parce que nous avons chacun des décisions à prendre pour aller dans la même direction. 

Samuel Guérin entouré de son équipe © Guérin Bâtiments

Comment avez-vous fait évoluer l’entreprise ? Tout particulièrementdans un contexte tendu pour le secteur du bâtiment : hausse des matières premières, de l’énergie ou des taux d’intérêt…  

 

Il faut ajouter à cela la crise de la grippe aviaire car 80 % de nos clients sont des agriculteurs, et en grande partie des éleveurs de volailles. Il y a un an, nous avons vu notre carnet de commandes se réduire, des annulations de contrats ainsi que des arrêts de chantiers. Cette fois, nous n’avions plus que trois à quatre mois de visibilité au lieu de 8 à 12 mois jusqu’à présent. Ce qui finalement, nous a permis de répercuter plus facilement l’augmentation des coûts des matériaux. Cela aurait été plus compliqué avec des devis signés avec un an d’avance.  

Si nous avons réussi à traverser cette période délicate, c’est aussi parce que nous avions noué depuis des années une relation de confiance avec nos clients. Et d’ailleurs, c’est très rare que nous démarchions. La plupart du temps, ce sont nos clients qui viennent ou reviennent nous voir. Parmi eux, Orvia[2], l’un de nos clients historiques, s’est engagé dans un programme de rénovation de ses bâtiments pour suivre la réglementation en matière de bien-être animal. Depuis un an et demi, nous avons entre quatre et six personnes mobilisées sur différents sites appartenant au groupe. 

Depuis plusieurs années, nous prenons des claques, mais nous parvenons toujours à nous en sortir. 

Comment votre modèle économique a-t-il évolué ces dernières années ?

Avant le Covid, la construction de bâtiments neufs représentait 75 % de notre CA. Elle représente aujourd’hui 25 %, tandis que la part de chantiers de rénovation a fortement augmenté. Notre CA global est resté à peu près stable parce que nous avons réussi à nous adapter au marché en changeant nos habitudes de travail. La rénovation nécessite en effet d’avoir plus de main-d’œuvre et de compétences, que de matériaux. Un autre élément à prendre en compte est le développement de l’énergie solaire chez les agriculteurs qui disposent de surfaces importantes. Ils font ainsi de plus en plus appel à nous pour construire des bâtiments ou pour changer les tôles sur les toits avant d’installer des panneaux photovoltaïques. Depuis plusieurs années, nous prenons des claques mais nous parvenons toujours à nous en sortir. 

Installés sur la zone artisanale du Pont-Girouard, à Saint-André-Goule-d’Oie, les nouveaux locaux s’étendent sur 5 200 m² au lieu de 3 400m² pour les anciens ateliers. © Guérin Bâtiments

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

Nous cherchons à proposer des produits toujours plus respectueux de l’environnement, tout particulièrement depuis que nous sommes installés dans nos nouveaux locaux. Depuis 40 ans, nous fabriquons nos propres panneaux sandwich, qui sont constitués d’une couche isolante entourée de deux plaques de matériau profilé, en bois ou métal. Cet isolant, c’est de la mousse polyuréthane qui est un matériau polluant et quasiment impossible à recycler. En 2018, nous avions fait des essais pour tenter de trouver un matériau alternatif, mais nous n’avions pas obtenu les résultats escomptés. En lien avec Solutions&Co, nous venons de relancer le projet et espérons pouvoir proposer ce produit à partir de mi-2024, à petite échelle, avant de passer le cap de l’industrialisation dans les prochaines années. Nous avons aujourd’hui la possibilité de nous agrandir encore pour développer cette activité. Le groupe Akena Vérandas (pour lequel nous sous-traitons depuis un an la fabrication de ces panneaux) nous a déjà passé quelques commandes pour équiper leurs pool-houses  

Vous représentez aujourd’hui la troisième génération à la tête de la menuiserie familiale. Souhaiteriez-vous transmettre à votre tour l’entreprise à vos enfants ?

Mes enfants sont encore jeunes : ils sont âgés de six et neuf ans. Ils feront ce qu’ils voudront. Je ne leur imposerai jamais quoi que ce soit. On peut toutefois imaginer que l’entreprise devienne un jour une holding familiale, avec plusieurs entités dirigées par d’autres personnes. Je reconnais que j’aimerais bien que ça se passe comme ça.  

En chiffres

Création en 1957 à Saint-André-Goule-d’Oie

22 salariés en CDI

Dernier chiffre d’affaires : 3,9 M€ (au 30 juin 2023)

80 % des clients sont issus du secteur agricole

20 % sont des entreprises artisanales ou industrielles du Grand Ouest

[1] Le coût global s’établit à 3 M€ HT (dont 170 k€ HT pour le terrain, 1,2 M€ HT pour le rachat des machines).

[2] Créé en 1976, le groupe Orvia (siège social à Nantes) est spécialisé dans la sélection génétique de palmipèdes et l’accouvage multi-espèces. Disposant d’une dizaine de sites en France, il est aussi implanté à l’international.