Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

« Restaurer le dialogue, c’est tout l’intérêt de la médiation »

Dissiper les malentendus avant qu’un conflit ne se cristallise ou accéder aux raisons de l’autre dans l’espoir de trouver une solution amiable : la médiation a mille et une vertus qui reposent sur une base commune, le dialogue. Faire que chacun s’écoute respectueusement, c’est justement le travail de Bertrand Delcourt, avocat-médiateur. Le 10 octobre, il intervenait sur l’intérêt de la médiation préventive lors d’une conférence organisée par la Chambre d’arbitrage, conciliation et médiation de Vendée dans le cadre de la Semaine internationale de la médiation.

médiation, Vendée Delcourt

Bertrand Delcourt. ©IJ

En préambule de sa conférence sur “La médiation dans sa dimension préventive et dans sa capacité à résoudre les conflits“, Bertrand Delcourt a tenu à revenir sur le sens même du mot. Dans l’amphithéâtre de l’Ices (Institut catholique de Vendée, La Roche-sur-Yon), l’avocat-médiateur a rappelé qu’il s’agissait « tout simplement d’un dialogue ». « Dans toute interaction humaine, il y a un problème de dialogue, des malentendus ou des non-dits qui peuvent dégénérer en mésentente, puis en conflit. Et c’est le rôle de la médiation de rétablir ce dialogue entre les personnes et ainsi créer de bonnes conditions pour qu’elles puissent trouver par elles-mêmes une solution, si elles le souhaitent. »

Dialoguer, une nécessité

Pour Bertrand Delcourt, le dialogue a de multiples vertus, à commencer par celle d’« aplanir les difficultés et de dissiper les malentendus avant que le conflit ne se cristallise. » Il précise : « Le conflit n’est pas l’irruption soudaine d’un désaccord. C’est l’ajout successif de petites déconvenues et déceptions. Il y a un effet d’accumulation de choses qui ne vont pas. On en vient alors à une situation enkystée parce que les parties prenantes n’ont pas ou mal dialogué. »

Dialoguer permet effectivement d’accéder aux raisons de l’autre. « Quand je suis dans une situation de dialogue, je structure ma pensée. J’affine mon propos pour essayer d’emporter la conviction de l’autre. Et par la contradiction qu’il m’apporte, je maîtrise mieux ma propre vision. Dans le même temps, celui avec qui je suis en conflit va faire de même et je vais accéder à mon tour aux raisons qui l’ont conduit à ce conflit. Ma perception de la situation évolue. »

Les avantages de la médiation et pourquoi ça fonctionne

« Bien souvent, la médiation est perçue comme une contrainte et non comme un mode amiable pour éviter ou résoudre un conflit, poursuit Bertrand Delcourt. Or, inscrire le dialogue dans le cadre d’une médiation a de nombreux atouts. Comme le fait de bénéficier de la présence d’un tiers neutre et indépendant qui va faciliter la discussion et aider à clarifier une situation. »

Le premier travail du médiateur va être d’instaurer un cadre respectueux et un climat de confiance pour faire en sorte, ensuite, que chacun s’écoute. L’une des grandes forces de la médiation, c’est de traiter chaque partie à égalité. Bertrand Delcourt complète : « Ce qui va faciliter le dialogue, c’est la capacité du médiateur à reformuler et interpréter les propos des deux parties, à rendre audible les propos de l’un pour les faire entendre par l’autre, et vice-versa. »

La médiation a par ailleurs le triple avantage d’être à la fois un processus structuré, tout en étant plus souple et adaptable que la voie judiciaire. « Son périmètre est plus extensible qu’un procès. Le juge ne peut statuer qu’en fonction des éléments qu’on lui soumet, ni au-delà, ni en deçà. En médiation, on s’affranchit complètement de ce périmètre. À tout moment, on peut aller traiter des sujets qui n’étaient pas nécessairement portés à la connaissance du juge. On peut s’affranchir du contradictoire et tenir des apartés en toute confidentialité, en indiquant au médiateur les lignes rouges que l’on ne veut pas franchir, les objectifs que l’on poursuit. Autant de choses que l’on ne dira pas au juge. Enfin, on peut à tout moment mettre un terme à la procédure, sans avoir à donner de raison, quitte à reprendre plus tard. Or, dès qu’on choisit l’arbitrage, on rentre dans un corridor dont on ne sortira pas avant la sentence, sentence dont on devra supporter toutes les conséquences. »

À quel moment s’engager dans la médiation ?

« Tout dépend dans quelle logique on s’inscrit, répond Bertrand Delcourt. Dans une dimension préventive, le plus tôt sera le mieux, dès les premiers signaux faibles de dysfonctionnement de la relation. Si on peut commencer la médiation avant que la confiance ne soit trop abîmée, on gagne du temps et on se donne plus de chances de parvenir à une solution. »

L’expert souligne toutes les vertus de la médiation préventive au sein de l’entreprise. « Il existe de multiples situations qui sont génératrices de conflits : une fusion, un déménagement, l’introduction d’une nouvelle technologie… Pourquoi ne pas s’engager dans un processus de médiation dès que ce type d’événement se profile au lieu d’attendre que le conflit ne commence à produire ses effets délétères ? »

Lorsque l’on bascule dans une logique de contentieux, l’intérêt pour la médiation varie en fonction de l’ancienneté du litige. « Au début, l’intérêt peut paraître pauvre, surtout si le justiciable pense que son dossier est solide et que la jurisprudence est en sa faveur. Mais plus le conflit dure, plus il perd confiance et se rend compte que le procès n’est pas gagné d’avance et qu’il vaudrait peut-être mieux se tourner vers la médiation. »

De la théorie à la pratique

Pour Bertrand Delcourt, il y a deux façons de faire de la médiation préventive en entreprise. La première approche, c’est de lister, dans le cadre d’un conflit interne à l’entreprise, les irritants qui encombrent le quotidien des salariés concernés (les horaires, le manque de souplesse dans l’utilisation du matériel, la dispersion géographique…) et de voir comment on peut les résoudre en effectuant un travail d’intelligence collective. « Il faut ensuite s’interroger ensemble sur la pertinence du recours à la médiation, au cas par cas, et réfléchir, le cas échéant aux modalités les plus appropriées. L’entreprise peut former des collaborateurs aux rudiments de la médiation. Elle peut aussi recourir à un médiateur externe ou instaurer un médiateur interne. »

La seconde approche consiste à établir une grille d’aide à la décision pour savoir si l’on a envie d’aller en médiation ou non. Chaque collaborateur concerné coche une série d’arguments pour et contre. Par exemple, éprouve-t-il le besoin de dire les choses à sa manière pour clarifier la situation ou de se donner une chance de parvenir à une solution qui convienne aux deux parties ? À l’inverse, préfère-t-il renoncer à une médiation parce que « c’est une question de principe qu’il est nécessaire de voir tranchée par un juge » ou parce que « le comportement dont l’autre a fait preuve ne permet pas d’envisager une solution amiable » ? À la fin, on dresse le bilan et un choix est fait.

« La médiation est un vecteur de communication, l’instrument d’une politique RSE, conclut Bertrand Delcourt. Elle peut contribuer à améliorer l’image de marque de l’entreprise. Quoi de mieux en effet que d’afficher zéro contentieux en matière sociale ou commerciale ? C’est la preuve que cette organisation est capable de régler par elle-même les conflits par le dialogue. »