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Relance du nucléaire : la filière industrielle dans les starting-blocks

Réseau business industriel créé il y a près de 25 ans par des chefs d’entreprise en recherche de nouveaux marchés, Neopolia regroupe aujourd’hui 240 membres, TPE, PME et ETI essentiellement basées dans les Pays de la Loire. Mikaël Buhé, vice-président Énergies¹ du réseau, met en avant les opportunités et enjeux du nucléaire pour les entreprises sur un secteur en pleine relance.

Mikaël Buhé, nucléaire

Mikaël Buhé © Neopolia

Quel est le rôle de Neopolia ?

On peut dire que c’est une fusée à quatre étages. Le premier étage, assez classique, est de permettre aux entreprises membres de l’association de savoir qui est dans son environnement. L’étage 2, lui aussi assez classique, c’est celui où l’on se connaît suffisamment pour faire des affaires ensemble. La véritable différenciation commence avec l’étage 3 : on organise des événements pour apporter aux entreprises locales une visibilité sur les marchés. On est dans ce niveau-là lorsque l’on organise un “Focus on business”² sur les SMR : là où aucune des PME du réseau, seule, n’est capable de faire venir les grands donneurs d’ordre, Neopolia arrive à mobiliser. Enfin, l’étage 4, c’est la capacité de prendre en charge des projets au nom de Neopolia SAS, qui porte la responsabilité technique, financière et commerciale du projet et coordonne l’ensemble des lots attribués à des entreprises membres de Neopolia.

Parmi les sept marchés³ sur lesquels intervient Neopolia, que représente le nucléaire ?

Le nucléaire est un marché clé pour Neopolia, intégré dans la stratégie nationale de transition énergétique décarbonée à horizon 2050.

La région compte près de 600 entreprises actives sur ce marché, représentant plus de 10 000 emplois. Parmi ces entreprises, certaines réalisent jusqu’à 30 % de leur chiffre d’affaires sur ce marché.

La difficulté dans ce secteur, c’est la maîtrise des normes. Mais on a des PME qui sont habituées à ces environnements très réglementés. Les plus grands objets – paquebots, éoliennes, avions – sont fabriqués sur le territoire et par ailleurs, il y a un vrai savoir-faire local sur la fabrication d’objets complexes qui répondent aux exigences du nucléaire, avec aussi une structure industrielle qui leur permettent de se caler sur le calendrier du nucléaire. Un calendrier qui peut être à la fois très long dans la phase de discussion, mais qui demande aussi une très grande réactivité une fois la décision prise.

Et c’est aussi possible parce qu’on a les infrastructures, cet hinterland du bassin de la Loire avec des connexions entre les industriels qui produisent, les entreprises qui assemblent et grâce également à une capacité logistique permettant d’expédier les gros objets produits sur le territoire.

Quid des compétences sur notre territoire ?

Dans les années 1980, on mettait en service un réacteur nucléaire tous les deux mois. Le dernier l’a été en 1993, puis il y a eu une interruption. Et les entreprises ici se sont organisées sur d’autres marchés. C’est d’ailleurs le cœur de la raison d’être du réseau Neopolia que de permettre aux entreprises de son réseau de se diversifier. Résultat : le nucléaire représente aujourd’hui une fraction du chiffre d’affaires de ces entreprises – 20 à 25 % en moyenne -, mais les compétences sont là.

centrale à charbon de Cordemais

La présidente de Région, Christelle Morançais, souhaite que le site de la centrale à charbon de Cordemais, vouée à disparaître, accueille un SMR. © Shutterstock

Elles sont pourtant méconnues, non ?

C’est le sens de l’événement qui a été organisé en octobre dernier pour organiser la montée en connaissance avec une journée “Perspectives de l’industrie nucléaire en Pays de la Loire”, organisée en partenariat avec le Conseil régional et axée sur les opportunités d’affaires. L’événement avait réuni plus de 200 acteurs. L’objectif étant de donner accès à nos entreprises membres aux informations essentielles sur les marchés et les accompagner dans le développement de leurs compétences afin qu’elles puissent accéder aux marchés potentiels. Il y a deux ans, on avait fait un autre Focus on business sur le nucléaire, mais il était alors axé sur le démantèlement. Depuis, il y a eu le discours de Belfort du président de la République en 2022, le WNE en 2023 (salon mondial du nucléaire civil, NDLR) : le nucléaire a retrouvé de la visibilité, il n’est plus honteux et on ressent une nouvelle dynamique.

Christelle Morançais souhaite l’implantation d’un petit réacteur nucléaire (SMR) sur le site de Cordemais. Quel est votre positionnement ?

Au-delà de la localisation d’un futur SMR, notre sujet, c’est de faire savoir aux grands industriels du nucléaire qu’en Pays de la Loire il y a un savoir-faire dont ils vont avoir besoin. Prenons l’exemple de la Normandie qui va concentrer les prochains investissements dans le nucléaire : avec leur bassin industriel actuel, même s’ils attribuaient 100 % des marchés aux entreprises de leur bassin, de toute façon ils ne rempliraient leurs besoins qu’à hauteur de 50 %. Ils nous invitent donc nous Pays de la Loire à nous structurer pour être au rendez-vous et participer au renouveau du nucléaire en France.

Il y a aussi de la maintenance à faire, notamment sur la centrale de Chinon, ils ont aussi installé Graphitech (filiale d’EDF et de Veolia, NDLR) pour répondre aux enjeux du démantèlement. Avec notamment pour objectif d’en faire une base pour industrialiser les démantèlements programmés qui concernent une cinquantaine de réacteurs. Il ne faut pas oublier que pour démanteler il va falloir commencer par construire des installations pour accueillir les éléments. On peut imaginer des solutions à base de robots, faire du diagnostic préalable non destructif… Il y a là des sujets de recherche, comme il y en a sur la partie optimisation du parc en service, sur les SMR… Mais si vous ne donnez pas de la visibilité à tout cela, les étudiants ne viendront pas ! Nous avons besoin que le nucléaire ne soit pas honteux pour qu’il y ait des gens qui travaillent sur le sujet et nous avons besoin de le revendiquer pour aller faire la promotion de notre savoir-faire dans les autres régions. Enfin, nous avons besoin de structurer la filière industrielle pour lui donner à la fois une efficacité dans sa réponse aux grands donneurs d’ordre et une lisibilité à destination de ses clients et des jeunes, futures recrues.

Que reste-t-il à faire sur ce sujet de la structuration ?

Il y a différents volets. Sur la formation, la présidente de Région met beaucoup en avant, et avec raison, le Campus des métiers de l’énergie. L’idée étant de donner une cohérence aux différentes formations dans le domaine de l’énergie. Dans ce campus, il faudra oser mettre des formations dans le nucléaire ! Ça peut être par exemple une acculturation à la sûreté nucléaire pour que les gens n’aient pas peur de postuler déjà. Et là, je pense que Neopolia peut participer en mettant en avant les besoins des PME.

Après, sur le volet industriel, si on récupère un marché mondial potentiel de 300 SMR accessibles pour l’export français (l’équivalent de 300 centrales à charbon actuellement en place, NDLR), il va falloir mettre en place des capacités industrielles : des ponts de levage, peut-être des quais adaptés… Le mot le plus important dans SMR c’est “modulaire” : l’objectif est de standardiser le plus possible avec, en ligne de mire, une ligne de production de modules de SMR. Mais pour cela, il va falloir des espaces dédiés, des terrains adaptés. Et c’est maintenant qu’il faut se positionner car s’il y a du foncier à mobiliser, ça prend du temps ! Si vous voulez encourager les entreprises à faire des investissements, il faut dégager l’horizon le plus possible.

Justement, est-ce que les entreprises présentes aujourd’hui sur le SMR prévoient déjà d’investir ?

Pour la plupart, on a passé le stade du « est-ce que c’est faisable ? », la réponse est : oui, ça l’est. La question désormais c’est « est-ce que c’est industrialisable facilement et à quel coût (au coût objectif) ? » Et là, il y a encore des recherches en cours. Là, le savoir-faire industriel va être important. Il y a peut-être des axes de recherche à lancer sur l’industrialisation et ça c’est l’objet de l’IRT Jules Verne et du pôle EMC2 qui sont orientés sur l’innovation de fabrication et d’innovation du processus de production. Après, il y a aussi le dimensionnement des outils industriels à prévoir. Ça commence par trouver un terrain, définir les modalités de gestion… il y a des solutions à inventer. On peut se dire que là où aujourd’hui on produit des éoliennes, qui sont aussi des objets XXL, peut-être qu’il n’y a pas grand-chose à faire pour construire des morceaux de cuves…

Il y a aussi la dimension logistique à envisager avec ces 300 SMR qui peuvent être construits. Ce qui implique des infrastructures portuaires. Et puis il y a un collectif à mobiliser autour de la soixantaine de PME actives sur ce marché et qui peut constituer un bon noyau. Nous serons d’ailleurs présents sur le WNE 2025, avec le soutien de la Région.

 

1- Il est par ailleurs directeur Ouest chez ABMI (70 M€ de CA en 2023) qui regroupe 900 personnes dont 270 sur la partie Ouest et intervient sur trois types d’activité : conception de produits, d’infrastructures pour le génie civil et mise en place de centres de services pour les grands comptes. Le nucléaire représente aujourd’hui 25 % de son chiffre d’affaires.

2- En octobre 2023, Neopolia, en partenariat avec le Conseil régional, a organisé un événement axé sur les opportunités d’affaires et le savoir-faire nucléaire sur le territoire. Intitulé “Perspectives de l’industrie nucléaire en Pays de la Loire”, il a réuni plus de 200 acteurs (industriels, start-up, experts, écoles, organismes de recherche…).

3- Aérospatial, Mobilité terrestre, Marine, Énergies, Éolien offshore et EMR, Hydrogène, Défense.

4- SMR = Small modular reductor (petit réacteur modulaire).

5- Graphitech est une société d’ingénierie en charge des développements technologiques et des études d’ingénierie nécessaires à la préparation du démantèlement des réacteurs nucléaires.

Quelques entreprises intervenant sur le nucléaire :

Armitec (groupe JTI), Axima Nucléaire (Equans France), EN Moteurs, Fonderie Lemer, Framatome, Naval group, OP-S (groupe Wal-3IS), REEL.