Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Profession Intrapreneur

On pense (à tort ?) que l’innovation est extérieure. Qu’elle est l’apanage d’esprits libres et indépendants capables de tout risquer pour vivre leur rêve. Pourtant, une voie plus sécurisée mais tout aussi intense est possible : l’intrapreneuriat. Un néologisme pour désigner le fait d’entreprendre au sein de l’entreprise. Le modèle séduit les jeunes générations en quête de sens et permet d’apporter de la valeur en détectant les talents internes. Rencontre avec des entreprises et des salariés ayant choisi d’innover en terrain connu. Premier volet sur deux.

Intrapreneur, intrapreneuriat

©Shutterstock

Quel est le point commun entre le post-it, la PlayStation ou le bouton “J’aime” de Facebook ? Toutes ces idées sont issues de collaborateurs créatifs, cherchant à répondre à un besoin client non résolu ou à moderniser leur entreprise. On les appelle des intrapreneurs, pour “salariés entrepreneurs”. Des programmes leur sont même dédiés au sein des organisations. C’est le cas notamment du Crédit Agricole Atlantique Vendée (CAAV) qui a intégré la démarche au cœur de son projet d’entreprise, visant à développer la mise en avant d’initiatives internes.

Nathalie Massé, manager de l’innovation au CAAV

Nathalie Massé, manager de l’innovation au CAAV

« L’un des piliers tourne autour des collaborateurs. Il vient illustrer deux leviers d’action importants chez nous : l’agilité et l’audace », explique Nathalie Massé, manager de l’innovation au CAAV. En clair, on demande aux collaborateurs d’agir comme si c’était leur propre entreprise en menant des actions. Un salarié peut travailler sur une problématique de la direction en collectif ou bien en individuel. Depuis la fin d’année dernière, nous expérimentons des projets plus longs, sur 12 à 18 mois. Nous faisons partie des premières caisses régionales à tester ce mode intrapreneur », annonce-t-elle. Concrètement, une offre de mission est parue en décembre 2022 visant à créer un tiers-lieu aux Herbiers à horizon fin 2024. L’étude des candidatures s’est faite sur la capacité à porter le projet, l’envie et l’enthousiasme manifestés par le collaborateur. « Nous avons recruté Lucie Hermouet (lire aussi l’encadré), conseillère Crédit Agricole sur la commune des Herbiers en février 2023, précise Nathalie Massé. Elle a un peu plus d’un an pour montrer la preuve de l’utilité du modèle qu’elle est en train de construire. » Salariée détachée du groupe, l’intrapreneure est autonome dans la réalisation de son projet mais doit néanmoins rendre des comptes chaque mois à son directeur de ressources.

Un modèle au service des transitions de demain

Dans cet exercice, tout le monde y gagne, assure la manager. « On est en train de réinventer le rôle de l’agence bancaire en accompagnant les projets du territoire autrement que par le financement. C’est aussi une façon de répondre à une question soulevée par la jeune génération :  peut-on réellement jouer sa carte et développer des initiatives dans une grande entreprise du CAC 40 hyper “processée” ? » Et d’ajouter : « Pour le collaborateur, c’est une occasion unique d’acquérir de nouvelles compétences en gestion de projet, de budget mais aussi dans des domaines comme la communication et les relations institutionnelles avec l’ensemble des parties prenantes. » Loin d’être seule, l’heureuse élue peut compter sur le soutien d’un coach, une sorte de facilitateur dont le rôle est de l’accompagner à chaque étape clé d’avancement du projet. « L’avantage, c’est qu’elle a à sa disposition toutes les fonctions support de la caisse régionale pour l’aider, indique Nathalie Massé. Par ailleurs, si elle a l’obligation d’incarner le projet jusqu’à son terme, elle pourra au final décider de continuer, de dupliquer le modèle ou bien d’arrêter là. Il y aura toujours la garantie d’un travail salarié à son retour de mission. »

On est en train de réinventer le rôle de l’agence bancaire en accompagnant les projets du territoire autrement que par le financement.

Tous innovateurs

C’est aussi une expérience salariée qui a permis à Maxime Bernard, fondateur de Collaborative Lab, de découvrir l’intrapreneuriat. Un sujet qui l’anime au point d’avoir créé il y a deux ans et demi sa propre activité de conseil en innovation collaborative. « Aujourd’hui, je sensibilise des managers et des dirigeants à l’innovation ouverte. Nous les aidons à monter des parcours, sur plusieurs niveaux de maturité, à destination de leurs salariés mais aussi de leurs clients afin d’encourager la cocréation. »

Maxime Bernard, fondateur de Collaborative Lab

Maxime Bernard, fondateur de Collaborative Lab

Auparavant, cet ex-salarié d’Atlantic occupait des fonctions de management de l’innovation au sein du groupe spécialisé dans le confort thermique. « À l’époque, la direction souhaitait mettre en place des actions pour partager l’innovation, les ressources et impliquer les collaborateurs dont ce n’était pas la fonction première, raconte-t-il. On m’a laissé construire le cadre, les moyens et la méthode pour y parvenir. Ainsi, j’ai participé à un programme d’innovation partagé et ouvert sur le site de la Roche-sur-Yon baptisé “Tous Innovateurs”. Donner la possibilité aux collaborateurs d’exploiter leurs idées qui font sens par rapport à l’activité de l’organisation à laquelle ils appartiennent est générateur de valeur, affirme-t-il.  Je crois tellement au concept que je m’y suis formé auprès des Activateurs, une association parisienne disparue aujourd’hui. J’ai pu y rencontrer des spécialistes et notamment le responsable des parcours d’intrapreneuriat de Safran. C’est ce qui m’a permis de donner corps à “Tous Innovateurs”. Si on fait le bilan, je dirais qu’une cinquantaine d’idées sont passées dans le programme. » Il conclut : « J’ai quitté Atlantic en 2020 pour aller porter ce sujet ailleurs. » Depuis, Collaborative Lab accompagne une quinzaine de clients en Vendée et en Loire-Atlantique, en faisant participer leurs salariés et clients aux processus d’innovation produit, service ou organisationnel.

Un entrepreneur moins libre ?

Ainsi l’intrapreneur disposerait des avantages sans les inconvénients de la création d’entreprise ? « Il est certain qu’il bénéficie de plus de sécurité qu’un entrepreneur lambda, reconnaît Nathalie Massé. Étant donné que Lucie est la première intrapreneure de la caisse régionale, il lui arrive régulièrement d’être mise à l’honneur dans des podcasts, des communications internes, mais aussi auprès des instances politiques. Son histoire est suivie lors des réunions des présidents, avec le conseil d’administration, etc. En contrepartie, elle doit faire attention à la marque, aux projets du groupe autour des tiers-lieux… Disons qu’elle doit naviguer avec attention sur plein de petites choses institutionnelles. » Elle poursuit : « Et puis il y a l’enjeu de la gouvernance auquel elle va devoir répondre prochainement. Pour le moment, notre intrapreneure est sous la coupe du Crédit Agricole, mais quel modèle juridique va-t-elle proposer au terme de sa mission ? Est-ce un service de la caisse régionale ? Une association ? Une SAS ? Quelle typologie de structure faut-il pour que ce projet se développe correctement et obtienne une utilité sur le territoire ? Car c’est bien là que réside l’enjeu : donner du sens au territoire ! Enfin, il y a une certaine forme de pression à réussir car si cela fonctionne, pourquoi ne pas modéliser l’expérience et la répéter ailleurs sur d’autres sujets ? À cet égard, nous avons déjà trois à quatre offres en gestation. »