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Patrick Darricarrère, entrepreneur et rugbyman, nouveau président du tribunal de commerce

Élu président du sixième tribunal de commerce de France, pour quatre ans, Patrick Darricarrère a été installé lors de l’audience solennelle du 22 janvier. Cet entrepreneur dans le domaine des assurances, passionné de rugby, place la prévention au cœur de ses préoccupations.

Patrick Darricarrère a été installé président du tribunal de commerce de Nantes le 22 janvier 2024.

Avec pour père un basco-béarnais, débarqué avec la 2e DB, qui rencontre en Normandie sa mère, avant de participer à toutes les batailles de la division du maréchal Leclerc, jusqu’à la prise du nid d’aigle d’Adolf Hitler, Patrick Darricarrère ne renie pas les origines de la famille basées à Pau. Mais ses premières armes, il les fait à Caen, où, marié et père de famille à 22 ans, après des études de droit, il se lance seul comme intermédiaire auprès de la compagnie espagnole “La Union et y el Fenix”. À 24 ans, il devient le plus jeune agent général du réseau français. Après trois ans, il revend son portefeuille, et à Nantes rencontre l’assureur Gilles Allain Des Beauvais à la recherche d’un fondé de pouvoir.

« L’application des règles »

« J’ai beaucoup appris à ses côtés. J’ai racheté son entreprise en 1990 avec son fils Marc, qui jouait au rugby avec les étudiants en médecine et moi avec le Snuc. Nous avons développé la société, devenue Colbert Assurances en 2006, après le rachat de plusieurs cabinets, dont Colbert Patrimoine Finance, avec, à terme, cinq associés, puis quatre quand Marc Allain Des Beauvais est parti avec la branche Plaisance. J’ai cédé mes parts du groupe Colbert Assurances en 2015, même si je travaille toujours en tant que consultant extérieur », reconnaît-il.

La même année, il fait son entrée au tribunal de commerce de Nantes. « J’ai commencé au bas de l’échelle, avec des formations régulières à l’École nationale de la magistrature. C’est passionnant, faire du droit dans ces conditions correspond à mon caractère. J’ai encore arbitré un match de rugby dimanche matin, car j’aime ce sport et j’aime l’application des règles, cela permet d’évoluer. L’arbitre imprime considérablement sa philosophie du jeu. Dans les affaires ou dans le rugby, c’est le respect des règles qui permet de trouver son plaisir. C’est mon moteur. » Après deux ans de probation, le président du tribunal d’alors, Guy Lézier, lui confie des responsabilités lui permettant, au fil du temps, d’occuper pratiquement tous les postes, de la chambre contentieuse à celle des procédures collectives, ou de juge enquêteur.

« J’ai fait mon dernier match avec plaquages à 61 ans, les adversaires étaient de plus en plus jeunes… », sourit-il. Il joue au Snuc dont il a été président pendant 25 ans. « C’est une expérience de vie », reconnaît cet homme de management qui reste modeste : « Je ne cours après rien, je suis dans des domaines où j’ai de la passion et où je m’investis. »

« Juger, c’est douter »

Et c’est le cas de son investissement au sein du tribunal de commerce : « On est au carrefour de l’économie. Je dis souvent à mes copains : “Quand on part en retraite, on fait café du commerce ou tribunal de commerce”. J’ai choisi le tribunal de commerce. Café du commerce c’est “il n’y a qu’à, faut qu’on”. Ce qui m’intéresse, c’est aujourd’hui. On a de sérieux problèmes d’économie. La question est de savoir comment transmettre une expérience personnelle dans les affaires, mais aussi de la vie. Car derrière les chiffres et les dossiers, il y a de l’humain. Je pense toujours au chef d’entreprise et à ses collaborateurs qui viennent m’annoncer qu’ils ont la corde au cou car ils ne peuvent survivre. Cela me fend le cœur à chaque fois. Comment peut-on faire pour les aider, à notre niveau, dans le respect des règles de droit ? Je dis toujours aux nouveaux juges : “être juge, ce n’est pas être justicier, et juger c’est douter. Avant de prendre une décision, ayez la main qui tremble, prenez le dossier, regardez-le, analysez-le, prenez le temps.” Il faut aborder tout cela avec beaucoup de sérénité. On est juge parce qu’on aime le droit et la justice. Nous avons un outil remarquable au plan économique qu’est le tribunal de commerce, qui existe à Nantes depuis 1563, qui a connu la monarchie, toutes les révolutions, les empires et les républiques. Nous sommes toujours là car nous correspondons à un vrai besoin. À chaque fois qu’il y a eu des velléités de revoir ce concept de juge consulaire on est revenu au point de départ. Car cela fonctionne très bien. On a des gens volontaires, qui s’investissent gratuitement. C’est plus que du bénévolat, c’est du mécénat car on paie une cotisation, une assurance pour être juge. Quand on a fini sa carrière, c’est important de renvoyer l’ascenseur, de défendre le tissu économique de sa région dans le respect des règles de droit, avec toutes les femmes et les hommes qui constituent ce territoire économique. »

« Prévention, prévention, prévention »

Pour définir sa principale préoccupation à la tête du tribunal de commerce de Nantes, Patrick Darricarrère martèle : « Prévention, prévention, prévention. » « C’est lié à ma culture professionnelle, explique-t-il, avant de regretter : Il y a des dossiers qui arrivent malheureusement trop tard. Or, plus tôt on intervient en amont, plus tôt on peut sauver les situations. Dans la poursuite du bon travail fait par mes prédécesseurs, je souhaite mettre l’accent sur la prévention et convaincre les partenaires, de près ou de loin en contact avec l’économie, de dire : “attention, quand il y a des turbulences, prenez un ris* très vite. N’ayez pas peur, allez voir le tribunal”. De nombreuses structures, comme le Centre d’information et de prévention des difficultés des entreprises, le Groupement de prévention agréé, Entreprises 44, la Compagnie des experts-comptables, doivent être des sources de détection des entreprises en difficulté. Mon téléphone est connu, doit sonner sans arrêt pour des rendez-vous. Le mot tribunal fait peur. Mais dans le cadre de la prévention, pour recevoir les gens et donner des conseils, on est en tenue de ville, pas en robe. » Et d’ajouter à l’intention des entreprises : « Si, déjà, cela fait du bien d’exposer ses problèmes, de les conceptualiser et les cerner, peut-être aussi que l’on va trouver des solutions ! On ne fera pas de miracles, mais l’expérience montre que, quand il y a des mandats ad hoc, des conciliations, bien menés, on arrive à sortir 80 % des dossiers par le haut. »

*Terme marin qui signifie réduire la voilure.