Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

« Nous sommes tous mobilisés »

PME installée à Rezé depuis plus de 35 ans, avec des filiales à Singapour, en Espagne et au Mexique, JVD Group fait beaucoup parler d’elle sur le plan national ces dernières semaines. Et pour cause : avec l’épidémie, le dernier fabricant français en équipement d’hygiène se trouve en première ligne. Entretien avec son directeur général, Thierry Launois.

À quoi ont ressemblé les dernières semaines pour JVD Group ?

Nous vivons une situation compliquée qui requiert par mal d’énergie, avec des semaines d’intense activité, presque déraisonnable, et une explosion des ventes de distributeurs de savon et de gel en prévision du décloisonnement. Pour ceux qui commandent aujourd’hui par exemple, on annonce des délais de livraison à début juillet. Notre production industrielle s’est concentrée sur cette activité, le reste était quasi à l’arrêt. 

Étiez-vous préparé à cette situation ? 

On avait l’expérience de 2009, avec le H1N1. On n’avait pas rédigé de document des événements, mais on en a le souvenir. Disons que cela nous a préparés au changement de rythme. En revanche, on ne l’était pas du tout dans les bonnes proportions !

On avait sécurisé la fabrication de composants plastiques, moteur, visserie, etc., en passant pas mal de commandes. Là où l’on a été surpris c’est sur la réalité du volume et le fait que la plupart des entreprises se sont arrêtées du jour au lendemain, dont nos sous-traitants. Il a fallu les convaincre de rouvrir, certains ont eu des malades… Ça a été assez chaotique. Heureusement, du côté des transporteurs, ils ont globalement assuré leur mission.

Et en interne, quelle organisation avez-vous mis en place ?

Nous sommes tous mobilisés pour fabriquer les produits et servir nos clients. On travaille de 5h à 22h, en deux huit. On vit un moment extrêmement fédérateur et les collaborateurs se sont engagés dès les premiers instants. Ils n’ont eu aucun souci à s’adapter aux horaires de travail. Il y a de la fierté même.

Comme la plupart des entreprises, nous n’avions pas du tout des pratiques strictes en matière sanitaire, mais on s’est adapté très rapidement : dans les espaces communs on a mis en place un marquage au sol et des distributeurs de gels partout. Nous fonctionnons à la production avec trois équipes différentes et chaque personne qui prend son poste, doit commencer par le désinfecter.

Nous avons aussi eu un fort recours à l’intérim : nous sommes passés de 3 à 5 intérimaires en temps normal à 25. Dans le même temps, sur les 48 personnes qui travaillent sur le site de Rezé, près d’une trentaine a été mise en télétravail. Pour moi, le télétravail c’est sans doute ce qu’il y a de moins évident. On l’a mis en place tout de suite car on avait investi l’année d’avant dans des outils collaboratifs. Mais on constate qu’il est difficile de réguler les horaires de travail. On a la chance d’avoir des collaborateurs très motivés et on leur fait confiance s’ils ont des contraintes de vie privée, mais au final le travail a pris une place importante dans leur quotidien.

On va être dans le pic d’activité au moins jusqu’à fin juillet. Après, la question qui se pose, c’est celle de la taille du marché et du juste positionnement du curseur. On ne peut pas travailler avec des horaires étendus indéfiniment et avec autant d’intérimaires.

Quels sont vos produits phare habituellement ? Et actuellement ?

D’habitude, on réalise 70% de notre chiffre d’affaires (30 M€) avec 20% de notre gamme. Nos principales ventes sont les sèche-mains électriques, les accessoires de distribution de papier hygiénique et de savon réalisant les 30% restant. 
Les distributeurs de savon et de gel ne représentent pas une activité majeure pour nous, de l’ordre de 4 000 à 5 000 ventes par mois. Là nous en sommes à 80 000 ! 

Le deuxième élément marquant, c’est l’intérêt pour notre nouvelle gamme de produits d’hygiène connectée qui permet de faire remonter à nos clients, en temps réel, le niveau des consommables dans les distributeurs. Ce sont des solutions qu’on avait assez peu médiatisées et là, on note un vrai phénomène d’accélération. On en a installé dans les tramways de Nantes et dans pas mal d’endroits. Un certain nombre d’acteurs ont vraiment la phobie de manquer de gel, ils ne veulent pas que leur responsabilité soit mise en cause. Or, avec cette gamme, on peut connaître au pourcentage près le niveau disponible et être alerté quand on atteint le seuil de 30%, ce qui laisse le temps de réagir.

Pensez-vous que cet intérêt va durer ?

Je pense qu’on va s’inscrire dans le long terme. En France, beaucoup de lieux publics sont sous-équipés en matière d’hygiène, voire défaillants. Dans les écoles, les collèges, les lycées, les distributeurs n’existent pas par exemple, ont été retirés ou vandalisés. De même dans de nombreux lieux de passage, comme les gares. Il y a de nombreux endroits qu’on n’ose pas fréquenter à cause de leur hygiène moyenne. Or, je pense que les gens vont être extrêmement vigilants désormais. 

À l’heure actuelle, on réalise plus de la moitié de notre activité en-dehors de la France, dans plus de 100 pays. Ce que l’on constate, c’est que, globalement, les pays d’Europe
du Sud sont plus négligents que ceux d’Europe du Nord et tous le sont plus que le Japon… Il suffit de se comparer avec certains pays où l’on ne rentre pas dans les espaces avec ses chaussures. On a d’énormes progrès à faire en matière d’hygiène.

Comment préparez-vous l’après ?

On est en train d’internaliser un certain nombre de nos intérimaires, on se prépare à augmenter notre capacité de production sans savoir jusqu’où aller, sauf sur la partie 
connectée, où l’on voit que cela décolle. Actuellement, nous avons deux types de recrutements : structurels pour renforcer notre capacité et des investissements d’avenir, tout cela dans un contexte où l’on n’a pu voir personne à cause du confinement !

Vous mettez beaucoup en avant votre innovation. Diriez-vous qu’elle fait partie de l’ADN du groupe ?

Je dirais oui et non. Nous avons toujours été créatifs et à l’écoute du marché, apportant des solutions nouvelles dans des domaines exprimés par nos clients. Il y a quatre ans, l’entreprise a changé d’actionnaires, je suis arrivé et nous avons alors élaboré un plan stratégique en ayant à cœur d’engager des axes de diversification. Il ne s’agit plus d’écouter le marché, mais de travailler sur les enjeux de demain et savoir quelle position prendre sur les enjeux sociétaux et écologiques. Nous avons alors amorcé un plan d’innovation plus soutenu avec 500 k€ d’investissements annuels en R&D, ce qui fait beaucoup pour une PME de notre taille. Nous avons un bureau d’études avec quatre personnes et développons de nombreuses collaborations avec l’écosystème innovant, tant régional que national, avec nos sous-traitants et avec des start-up. Cette stratégie porte ses fruits : nous avons engagé un développement
dans le smart cleaning1 et un autre projet devrait bientôt voir le jour.

Vous vous revendiquez comme la seule entreprise de votre secteur à encore fabriquer en France. Faites-vous partie de la French Fab ?

Je suis toujours prudent avec ces mouvements qui finissent souvent par devenir un concept marketing… On trouve aujourd’hui des logos bleu-blanc-rouge sur n’importe quoi avec des gens qui n’ont pas conscience de ce que ça veut dire. 

La réalité, c’est que nous sommes sur des marchés assez traditionnels desquels la fabrication européenne s’est retirée depuis longtemps. Des concurrents, il en reste seulement en Espagne, en Italie et en Angleterre, mais, même là-bas, Dyson a délocalisé l’essentiel de sa production en Malaisie… C’est tout ce qu’il reste en Europe. Les industriels ont continué à vendre des produits d’hygiène, mais quand vous regardez les catalogues, ils ont tous le même produit, qui vient de Chine. Nous, depuis longtemps, nous avons une position de leader. C’est ce qui nous a permis de bien vivre de notre activité. Mais on n’est pas non plus sur un gros marché. En hygiène, la partie équipement est un marché historiquement tenu par les papetiers ou les chimistes : pour s’assurer de la fidélité de leurs clients, ils donnaient des distributeurs. Nous avons pu exister parce que nous proposons un système universel : nos clients mettent dans nos distributeurs n’importe quel papier ou savon, ce qui leur donne une marge de manœuvre pour faire des économies sur les produits.  

Avec la polémique autour de notre dépendance à la Chine, avez-vous envie de faire passer un message ?

Le made in France, on le pratique de manière tellement naturelle, qu’on n’est pas monté au front, on n’a pas marketé notre offre, on n’a même pas cherché à obtenir de label… Nos commerciaux nous le reprochent d’ailleurs parfois. Pour moi, le made in France se vit et on n’a pas besoin d’en faire un outil commercial. Mais on est fier aussi, notamment parce que derrière on sait que l’on contribue à la diminution de l’impact carbone. 

Si je devais revendiquer quelque chose, ce serait plus d’honnêteté des marchés. Il n’y a rien de plus pénible que d’entendre les revendeurs revendiquer sur le made in France et derrière mener une politique d’achat où seuls ceux qui achètent loin et pas cher peuvent s’en sortir. On a un décalage énorme ! Ce qui m’énerve, c’est l’hypocrisie : comme pour le greenwashing, il y a un « made in France washing ».

1. digitalisation des équipements d’hygiène