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Nicolas Forget et Bertrand Gilbert, co-fondateurs de Kraken-Lighting : « Nous cherchons à marquer les esprits »

Née en pleine crise sanitaire, en 2020, l’entreprise vendéenne Kraken-Lighting est en train de se faire une place dans le marché concurrentiel de l'éclairage professionnel, avec son offre originale. Combinant savoir-faire techniques et artisanaux, la TPE implantée à Boufféré conçoit et fabrique des luminaires haut de gamme, en bois massif pour le tertiaire, en misant sur l’économie circulaire. Aujourd'hui, le duo complémentaire formé par Nicolas Forget et Bertrand Gilbert, cofondateurs de Kraken-Lighting, veut passer à la vitesse supérieure et rayonner un peu plus sur le territoire français, et même à l’international.

Nicolas Forget et Bertrand Gilbert, cofondateurs de Kraken-Lighting © Benjamin Lachenal

Pouvez-vous résumer le concept de Kraken-Lighting ?

Nicolas Forget : Nous proposons des luminaires en bois massif éco-conçus, destinés aux ERP (Établissements recevant du public) : commerces, écoles, bureaux, ou encore hôpitaux. Le bois est issu de forêts françaises éco-gérées ou de filières de réemploi et nos produits sont fabriqués dans notre atelier ainsi que par des partenaires locaux. Nous avons choisi d’équiper nos luminaires avec des Led, qui répondent à une série de normes en matière de consommation et d’efficacité, et nous avons tenu à ce que nos produits soient réparables, ou puissent être facilement recyclés.

Pourquoi “Kraken-Lighting” ?

NF : Le Kraken est un monstre marin imaginaire, évoquant la mythologie nordique, les vikings et les bûcherons, en lien direct avec l’univers du bois. C’est aussi un clin d’oeil à Jules Verne, natif de Nantes, à une trentaine de kilomètres de notre atelier, ou encore au Hellfest, étant fan de musique métal. Par la suite, nous avons d’ailleurs réalisé des catalogues produits sous forme d’albums vinyles. Enfin, le logo, noir et blanc avec des harpons, est une référence à l’ONG Sea Shepherd, qui protège les océans. Une façon pour nous de rappeler notre engagement en faveur de l’environnement. Nous avons tout de suite cherché à marquer les esprits avec une communication un peu décalée.

Quels sont vos parcours respectifs ?

NF : Après avoir décroché mon BTS en industries graphiques en 2000, j’ai commencé à travailler dans une agence de communication sur la région nantaise. J’ai découvert le secteur de l’éclairage en réalisant un catalogue de produits pour une entreprise sarthoise, spécialisée dans la distribution de produits d’éclairage pour les professionnels. J’ai ensuite rejoint cette société en 2008 en tant que directeur marketing. Puis en 2014, je suis revenu en Loire-Atlantique pour intégrer l’entreprise Easylum, évoluant dans le même secteur d’activité, mais qui est plus orientée vers le retail, équipant des chaînes de magasins de vêtements. Au sein de cette PME, j’ai pu monter en compétences en étant moins sur la partie marketing, mais plus sur le développement de produits et la fabrication. Lorsque la société a changé de mains en 2019, je suis parti pour me lancer en tant que designer indépendant, avant de cofonder Kraken-Lighting en novembre 2020.

Bertrand Gilbert : Titulaire d’un diplôme d’ingénieur en éclairage, acoustique et thermique du bâtiment, j’ai débuté ma carrière professionnelle en région parisienne. Pendant trois ans, j’ai travaillé en bureau d’études avant d’intégrer en 2011 la société Easylum, où j’ai rencontré Nicolas. On m’a confié un poste de responsable commercial, qui me permettait de concevoir mes projets de A à Z et d’aller à la rencontre des clients. Durant cette période, j’ai travaillé sur de gros projets pour des sièges sociaux bancaires, des établissements scolaires, salles de spectacles ou encore des hôpitaux, et j’ai pu me constituer un carnet d’adresses conséquent en Bretagne et en Pays de la Loire. En 2018, j’ai décidé de faire une pause en me lançant dans un tour du monde pendant six mois. Ensuite, je suis resté deux ans dans une autre société spécialisée dans la fabrication de luminaires pour le tertiaire, avant de cofonder Kraken-Lighting, et 20 sur 20 Éclairage basée dans le Morbihan où je réside. C’est un distributeur de marques européennes et françaises, qui fournit notamment Kraken-Lighting.

L’aventure Kraken-Lighting a démarré fin 2019, lors d’un dîner entre anciens collègues. Pouvez-vous nous en dire plus ?

NF : Lors d’un dîner organisé chez moi, j’ai parlé à Bertrand de mon projet du moment. Je venais de m’installer en tant que graphiste et designer freelance et j’accompagnais alors une entreprise d’ébénisterie dans la création de luminaires en bois pour un hôtel.

BG : Rapidement, je me suis dit qu’il y avait là une idée à creuser. J’ai alors fait remarquer à Nicolas que ce serait très intéressant de pouvoir réaliser des luminaires en bois massif pour les professionnels, parce qu’à ce moment-là, il n’y avait pas grand-chose sur ce marché en France. Aujourd’hui encore, on trouve surtout des fabricants de luminaires en bois pour la décoration, et donc plutôt pour les particuliers.

Ensuite, le confinement est arrivé, et a finalement été une aubaine pour vous.

BG : Au printemps 2020, je suis en effet suis revenu vers Nicolas, pour lui dire que j’étais prêt à me lancer dans un projet de luminaires “made in Vendée”. Moi qui suis souvent sur la route, le confinement m’a permis de prendre du temps pour ma famille – je venais de devenir papa – et a été l’occasion de réfléchir à la suite de ma carrière professionnelle. Au quotidien, j’essaie de faire attention à ce que je mange, à ma gestion des déchets. Dans le même temps, dans mon métier de distributeur d’éclairages, je vendais des produits fabriqués en Asie, pas toujours de très bonne qualité, en cherchant en permanence à tirer les prix vers le bas. Je ressentais alors un vrai besoin d’être plus en accord avec mes valeurs. Et d’ailleurs cette période a été pour tout le monde l’occasion d’une prise de conscience globale, débouchant par la suite sur la loi Agec, pour lutter contre le gaspillage ou encore sur la réglementation RE 2020 afin de réduire l’impact environnemental du secteur de la construction.

Comment avez-vous procédé pour trouver des financements ?

NF : Avant de créer Kraken-Lighting, nous nous sommes appuyés sur une structure existante, Niko Forget, mon entreprise. Ensuite, nous avons investi 100 k€, dont près de la moitié provenait de fonds personnels. Nous avons sollicité les banques et avons été accompagnés par le réseau Initiative Vendée Bocage[1] ainsi que par la Région Pays de la Loire et Bpifrance (à hauteur de 7 k€, NDLR) pour les tests produits. Dans un premier temps, je pensais pouvoir installer notre activité dans mon garage, mais nous nous serions vite retrouvés à l’étroit. En octobre 2020, nous avons trouvé un local de 300 m² en location, dans lequel nous sommes encore aujourd’hui, pour y installer notre atelier ainsi que notre showroom.

Sur quel type de produits avez-vous commencé à travailler ?

BG : Nous avons d’abord cherché à concevoir un produit assez simple : un cadre sur lequel vient s’appuyer une dalle Led standard. Dans un premier temps, on s’est concentrés moins sur l’éclairage que sur la partie bois, que nous ne maîtrisions pas. L’idée était de pouvoir présenter rapidement un produit à nos prescripteurs, les cabinets d’architectes.

NF : Nous avons contacté plusieurs artisans locaux, qui nous expliquaient ne pas être en mesure de fabriquer de grandes quantités. En choisissant de travailler avec le secteur du tertiaire, cela faisait en effet partie de nos conditions. Nous nous sommes ensuite tournés vers des agenceurs industriels dans le secteur de Montaigu ainsi que dans le Sud Vendée. Ils nous ont répondu : « attention, le bois massif, c’est compliqué. Ça bouge ! » Généralement, les agenceurs qui font du mobilier, utilisent plutôt du stratifié, et mettent seulement une fine couche de bois massif en surface. Après de nombreux appels, nous avons finalement réussi à trouver le partenaire idéal, l’entreprise Brut de Bois basée à La Jubaudière en Maine-et-Loire qui, grâce à son expertise, nous a permis d’aller vite sur la partie développement du bois. Disposant d’un important parc outils, la PME, habituée à sous-traiter, est en mesure de faire à la fois de la pièce unique pour des marques de luxe notamment, et de la très grande série. Sans compter qu’elle maîtrise parfaitement le négoce du bois massif. Aujourd’hui, Brut de Bois fabrique pour nous des produits à partir de chêne et de frêne, issus de forêts françaises éco-gérées.

Parallèlement, vous vous êtes engagés dans une démarche de réemploi de matériaux, en répondant à un appel à projets de l’Ademe Pays de la Loire sur l’économie circulaire.

NF : Oui, mon frère Damien Forget, fondateur de la Ressourcerie culturelle à Montaigu et président du Ressac, Réseau national des ressourceries artistiques et culturelles, nous a soufflé l’idée. Il venait de récupérer trois semi-remorques de matériaux issus d’un défilé de mode parisien, et nous a proposé d’en récupérer une partie. Mais la question du stockage s’est posée. Mon frère m’a alors conseillé de contacter Julien Duranceau, président et cofondateur de La Matière, près de La Rochelle, qui est un laboratoire d’innovation sur les thématiques de la ressource. Ce dernier nous a mis en relation avec la société 100 Détours (Deux-Sèvres) qui récupère, dans des déchetteries, d’anciennes fenêtres en bois exotique, habituellement incinérées, ou enfouies. L’entreprise qui emploie des personnes en réinsertion, a développé un savoir-faire particulier qui commence par un travail de démontage entièrement effectué à la main.

BG : Nous avons ensuite déposé notre dossier auprès de l’Ademe au cours de l’été 2020, et avons fait partie des 31 lauréats du concours. Nous avons obtenu 16 k€ pour financer notre projet, qui devait être finalisé au bout de deux ans.

Où en êtes-vous aujourd’hui dans cette démarche ?

NF : En avril 2023, nous avons lancé notre offre de produits en bois recyclé qui représentait 3 % de notre volume d’affaires l’an dernier. En ce mois de janvier, nous avons atteint les 50 %, un chiffre exceptionnel que l’on doit à une commande particulière. Nous venons en effet de livrer une dizaine de luminaires à Carbone 4, le cabinet de conseil de Jean-Marc Jancovici, inventeur du “bilan carbone”, connu pour son engagement en faveur du climat. Pour nous, c’est évidemment un sacré coup de projecteur.

Quand on parle de matériaux recyclés, on imagine souvent des produits moins chers. Or, vos luminaires en bois recyclé sont en moyenne une centaine d’euros plus cher. Les clients sont-ils prêts à mettre la main au portefeuille ?

NF : Oui, parce qu’il y a une réelle histoire derrière. Récemment, nous avons par exemple participé aux travaux de rénovation d’une crèche à Cerizay pour le compte de l’agglomération de Bressuire. Les luminaires ont été fabriqués à partir des anciennes fenêtres du bâtiment, qui ont été remplacées par des ouvertures en aluminium. Nous sommes ici sur un niveau d’économie circulaire très poussé.

BG : En parallèle, nous avons scellé récemment un partenariat, toujours par l’intermédiaire de La Matière, avec un fabricant de yachts à La Rochelle, qui nous fournit 12 m3 de plaques en contreplaqué toutes les deux semaines. Avec cette matière, nous fabriquons des produits standards, éco-conçus puisqu’ils proviennent de déchets industriels, mais qui sont moins chers que nos autres produits.

Pourquoi avez-vous choisi de faire appel à l’Esat de La Guyonnière pour assembler vos produits ?

NF : Cette collaboration nous permet de cocher toutes les cases. Pour nous, il était indispensable de nous inscrire dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Nous avons commencé par confier aux travailleurs de l’Esat la mise en carton des produits, puis leur assemblage avec des pièces faciles à clipser ou à visser, qui pourront par la suite être facilement démontées pour être recyclées. Aujourd’hui, nous les faisons monter en compétences en leur proposant de faire des câblages électriques. Humainement, c’est très riche de collaborer avec ces personnes qui manifestent une réelle envie de fabriquer nos produits. Je leur montre régulièrement des photos des chantiers réalisés pour qu’ils aient un aperçu du rendu final. Ce partenariat répond aussi à une problématique de main-d’œuvre sur un territoire où le taux de chômage est inférieur à 4 %. Il faut aussi reconnaître que pour nous, cela représente une réelle économie, puisque nous déboursons 1,50 € par produit assemblé, au lieu de 5 ou 6 € si le montage avait été effectué par un salarié classique. Aujourd’hui, l’Esat de La Guyonnière assemble 80 % de nos cinq produits phares.

Comment gérez-vous votre trésorerie tandis que votre modèle économique repose essentiellement sur des prescriptions via des obtentions d’appels d’offres publics ou privés ?

NF : Bertrand connaît parfaitement la typologie de ces marchés depuis plusieurs années. Son expertise nous a permis de nous positionner rapidement sur des projets importants avec, à la clé parfois, la livraison d’un millier de produits. Dès janvier 2021, nous avons décroché des contrats pour éclairer par exemple des hôpitaux, mais les éclairages ne seront pas installés avant l’année prochaine. Nous avions imaginé pouvoir aller plus vite sur ce type de projets. Toutefois, on se rend compte que ce temps était nécessaire pour nous faire connaître.

BG : Que ce soit dans le public ou le privé, le processus d’un appel d’offres est toujours très long. Il peut se passer entre un ou cinq ans avant la réalisation d’un projet. Toutefois, nous n’achetons pas la matière première en amont et ne débutons la production qu’au moment du lancement de la commande, effectuée généralement en fin de chantier. Aujourd’hui, nous sommes à l’équilibre, plusieurs projets ayant été finalisés en 2023. En parallèle, nous avons aussi traité des dossiers plus modestes qui nous ont permis de financer l’activité de notre entreprise.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

BG : Nous voulons structurer un peu plus l’entreprise afin d’accélérer notre développement au niveau national. Depuis 2023, nous faisons appel à des commerciaux freelance qui sillonnent la France pour étoffer notre réseau de distributeurs. Nous en comptons déjà une cinquantaine à ce jour : bureaux d’études ou encore architectes. D’ici deux ou trois ans, nous souhaitons investir dans une nouvelle machine afin d’augmenter notre capacité de production et tablons sur une enveloppe d’environ 250 k€. Nous allons également recruter deux salariés. L’un pour la partie administration des ventes et l’autre à la production.

NF : Dans le même temps, nous souhaitons nous diriger vers l’export et visons tout particulièrement l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et le Benelux. Nous connaissons déjà ces marchés, puisque nous travaillons avec un certain de nombres de marques européennes de l’éclairage. Nous espérons pouvoir livrer notre premier luminaire hors de France à l’horizon 2026.

[1] Kraken-Lighting a obtenu en 2023 le label « Initiative Remarquable » pour son engagement RSE et sa démarche environnementale.

En chiffres :

Création en novembre 2020

170 chantiers réalisés depuis le début

150 k€ de CA fin 2023

Objectif 250k€ fin 2024