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Comment financer sa start-up en temps de crise

Dans le cadre de la première édition de l’événement “Zero to one” organisé par H7* au Palace IciLundi à Nantes les 24 et 25 janvier, IJ a couvert une conférence dédiée au financement des start-up dans un contexte où les levées de fonds ont chuté de près 40 % en France entre 2022 et 2023. L’occasion de bénéficier du retour d’expérience et des conseils d’Antoine Cheul, cofondateur de Shopopop, mais également du point de vue d’une banque locale, CIC Ouest, et d’un fonds d’investissement à impact, Asterion Ventures.

Cofondateur de Shopopop, Antoine Cheul (à droite) est revenu sur les différentes étapes du financement de sa start-up, en compagnie de Sébastien Le Corfec (fondateur Xplore), Bérengère Lehembre (cofondatrice d’Asterion Ventures), et Éric Alves (directeur de l’agence CIC Ouest Nantes Loire Entreprise).

Cofondateur de Shopopop, Antoine Cheul (à droite) est revenu sur les différentes étapes du financement de sa start-up, en compagnie de Sébastien Le Corfec (fondateur Xplore), Bérengère Lehembre (Asterion Ventures), et Éric Alves (CIC Ouest). ©NLP-IJ

Cofondateur de Shopopop, solution de livraison de courses collaborative, Antoine Cheul est d’abord revenu sur les premières étapes du financement de sa start-up : « On a débuté à Nantes en 2015 avec 10 k€ de notre poche, qui sont très vite partis. On est ensuite allés voir les banques et deux d’entre elles nous ont prêté 70 k€ en pré-amorçage. À l’époque, on était un peu dans l’antichambre du moment où les banques créaient leur propre structure liée à l’innovation. J’ai rapidement compris qu’il était essentiel de savoir à qui s’adresser. On s’est alors tournés vers la Cantine Numérique, qui nous a aiguillés vers des interlocuteurs bancaires spécialisés dans l’innovation. Un moyen d’avoir une oreille plus attentive et d’obtenir un meilleur accompagnement. »

« Au bout d’un moment, les banques arrêtent de prêter »

Mais l’écosystème de l’innovation n’ayant rien à avoir avec l’actuel, les trois premières années s’apparentent à une “traversée du désert” pour les cofondateurs de la start-up : « On cherchait notre marché et notre solution avait peu de traction. Un jour, quelques supermarchés qui livraient déjà des courses ont accepté de tester Shopopop. Ça s’est très bien passé et petit à petit, la communauté a pris. Cela nous a permis de passer de 200 livraisons par mois à l’époque, à plus de 300 000 aujourd’hui, soit plus d’1 Md€ de courses transportées depuis notre création. »

Pour financer sa croissance, la start-up s’est alors tournée vers des fonds d’investissement et réseaux de business angels locaux. Une étape qui a marqué Antoine Cheul : « Au bout d’un moment, les banques arrêtent de prêter et il faut aller chercher de l’apport en capital ailleurs. C’est ce qu’on a fait en 2016 et 2017, mais ça n’a pas fonctionné : on a loupé notre première levée de fonds. D’où l’importance d’avoir un bon “leveur” dans son équipe. »

« Plus vous avez de l’argent, plus on vous en prête »

En insistant, la start-up a finalement réussi à se financer via Bamboo (un réseau de business angels nantais) et Pays de la Loire Participations (un fonds régional public). Avant de voir débarquer dans l’aventure des fonds régionaux tels que West Web Valley (devenu Xplore) et Go Capital… « C’est une fierté d’avoir réussi à le faire en local. Mais il faut garder à l’esprit que la levée est très chronophage et pénible (six à neuf mois de travail). Une fois les fonds obtenus, il faut aussitôt retourner voir son banquier pour récupérer de la dette. Car plus vous avez de l’argent, plus on vous en prête. C’est un bon moyen de gonfler son portefeuille en non dilutif. Et vous serez bien accueillis, ce qui est moins le cas quand vos poches sont vides. »

Si les parcours de financement en “early stage” (jusqu’à 1 M€) sont « assez bien fléchés, selon le cofondateur de Shopopop, les suivants sont beaucoup plus complexes. Plus les tours de table augmentent, plus il faut ajouter de partenaires bancaires qui se partagent le risque. Aujourd’hui, on en a ainsi cinq ou six et il ne faut pas hésiter à en solliciter un maximum. »

« Vous n’obtiendrez jamais plus de 10 % du capital d’un fonds »

Après avoir rappelé que « pour un deuxième tour de table, la limite de levée se situe autour de 3 M€ », Antoine Cheul a abordé la question à poser lors d’un rendez-vous avec un fonds d’investissement : « La question centrale, c’est combien il pèse ? Car quoi qu’il arrive, vous n’obtiendrez jamais plus de 10 % du capital d’un fonds. Donc si vous sollicitez un fonds de 40 M€, vous n’obtiendrez jamais plus de 4 M€. C’est un élément essentiel à garder en tête dans vos projections pour envisager le coup d’après. C’est pour cette raison que, sur notre dernière levée de 20 M€, on a refusé des rendez-vous avec des fonds qui nous avaient déjà donné 10 % de leur capital. On savait qu’on serait forcément embêtés au tour d’après. On s’est donc tournés vers un fond parisien qui a 300 M€ de capital, Meridiam, ce qui nous laisse encore des perspectives. »

« Financer moins, mais mieux »

Cofondatrice d’Asterion Ventures, société parisienne de capital-risque qui accompagne les start-up à impact en France, Bérengère Lehembre a embrayé sur les nouvelles attentes des fonds d’investissement et les dernières tendances : « Aujourd’hui, on reçoit jusqu’à 200 decks (présentations des points clés du business plan et de l’activité, NDLR) de start-up par mois. Depuis notre création en 2011, on en a financé 20, avec un ticket moyen d’1 M€. Dans notre portefeuille, on a de plus en plus d’entreprises industrielles. Et notre deal flow (volume d’opportunités d’investissement, NDLR) montre clairement qu’une vague d’industrialisation arrive en France. Là où il y a une vraie crise, c’est dans la création d’entreprises qui ambitionnent de devenir des licornes. Car cela devient beaucoup plus difficile de trouver des financements pour des séries B, C et plus. Pour nous convaincre, une start-up doit aujourd’hui prouver qu’elle a créé un produit ou début de produit performant. Autrement dit, on recherche de la rentabilité. L’objectif, c’est de financer moins, mais mieux, donc on valorise désormais les entreprises qui ont une capacité de financement non plus de 12-18 mois, mais plutôt de 24-36 mois, pour éprouver leur business model. »

 

Johan Ricaut et Antoine Cheul, cofondateurs de Shopopop. ©Benjamin Lachenal

Johan Ricaut et Antoine Cheul, cofondateurs de Shopopop. ©Benjamin Lachenal

« La visibilité cash est devenue essentielle »

Des constats partagés par Éric Alves, directeur de l’agence Nantes Loire Entreprise au CIC Ouest : « Nous sommes plus exigeants qu’avant sur certains critères financiers, et la visibilité cash est effectivement devenue essentielle. On a déplacé le curseur de 18 à 24 mois. D’autre part, on a également besoin d’avoir un ratio dette brute sur fonds propres raisonnable. Côté tendance, les start-up nous sollicitent effectivement moins qu’avant, mais on accompagne davantage de PME innovantes. On voit aussi davantage de projets industriels et à impact, notamment autour de l’énergie. Sur l’année, nous avions ainsi accordé 10 M€ de crédits en 2022, contre 9,5 M€ en 2023, mais avec de plus gros tickets moyens. »

« On va vous challenger sur le budget prévisionnel »

Les deux spécialistes du financement ont ensuite livré des conseils concrets aux nombreux entrepreneurs présents qui envisagent de lever des fonds. Selon Éric Alves, « le combo gagnant pour réussir une levée, c’est d’abord de s’appuyer sur un incubateur, être accompagné par un chargé d’affaires et un expert-comptable spécialisés dans l’innovation, sans oublier d’aller chercher les différentes aides possibles : Région, Europe… Il faut également garder à l’esprit qu’on va désormais vous challenger sur le budget prévisionnel que vous allez nous remettre. Donc n’hésitez pas à effectuer des “crash tests” : des cas dégradés qui nous permettent de voir quels leviers vous pouvez actionner pour préserver votre cash le plus longtemps possible. C’est comme ça qu’on pourra vous accompagner au mieux. Et pas qu’une fois ! Car nous restons persuadés que les start-up d’aujourd’hui sont les ETI de demain ».

« Un bon potentiel de scale et de résilience »

« Dans tous les cas, restez humbles et soyez prêts à être entourés, ce qui nécessite des capacités d’écoute, a ajouté Bérengère Lehembre. Et n’oubliez pas que l’élément central, c’est votre capacité à proposer un business model qui crée de la valeur, avec un bon potentiel de scale (changement d’échelle, NDLR) et de résilience. »

 

* H7 est un accélérateur responsable et lieu totem du numérique de la Métropole de Lyon.