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Manuel Cousin : le tour du monde avec « un nouveau collectif de partenaires »

Cadre chez un concessionnaire automobile durant plus de vingt ans, avec la course au large en fil rouge de sa vie, Manuel Cousin s’est lancé dans une reconversion au début des années 2010. Devenu skipper professionnel, s’alignant sur toutes les courses de la classe Imoca, ce Sablais d’adoption va entamer son deuxième Vendée Globe. Après la perte de son partenaire principal en 2022, une course aux sponsors s’est engagée pour le compétiteur. À quelques jours du départ, il s’est confié à IJ.

Sablais d'adoption, Manuel Cousin est un habitué de Port Olona. MATHIEU MARIN - IJ

Que représente pour vous le Vendée Globe ?

La plus grande course à la voile autour du monde : le graal pour un skipper professionnel. Nos Jeux olympiques, l’événement majeur de notre discipline tous les quatre ans. Pour être au départ, il y a énormément de travail, d’abnégation et de partage. Depuis une dizaine d’années, période où je suis entré en catégorie Class 40 et maintenant en circuit Imoca, toute ma vie est tournée vers la course au large. Un métier passion, dont le Vendée Globe représente le plus d’émotions, d’exigence et d’engagement. Avec une équipe de six personnes qui œuvrent autour d’un projet commun allant de la recherche de sponsors, la montée en puissance du bateau, mais aussi la logistique et la technique avec un travail sur l’informatique, la mécanique et l’hydraulique. Un skipper possède plusieurs casquettes alliant le sportif, l’artisan et le chef d’entreprise.


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Ces quatre années de préparation ont été marquées par la perte de votre sponsor principal…

La campagne Vendée Globe n’est pas l’affaire de trois mois en mer. Il dure quatre ans avec une course aux sponsors qu’il a fallu réengager. Avec le groupe normand Setin, fournisseur en matériel industriel et quincaillerie, nous sommes restés ensemble pendant presque dix ans. Les dirigeants ont souhaité ne plus faire partie de l’aventure, pour des raisons financières (le budget annuel de Manuel Cousin lors de la campagne Vendée Globe 2020 était de 700 k€, NDLR). Toutefois, nous avons encore l’Imoca en commun. Ils nous laissent l’usufruit du bateau jusqu’à l’arrivée de cette édition. Ensuite, nous verrons pour un éventuel rachat ou la revente ensemble. Quincailliers professionnels, ils apportent également une aide, avec la fourniture de petits outils et sont à ce titre partenaires techniques, avec Enihcam, Slam ou encore Hyundai France.

MATHIEU MARIN – IJ

De quelle façon votre vie avant la reconversion vous sert-elle dans la recherche de sponsors ?

Premièrement, conserver mon bateau de la dernière édition m’a permis d’éviter le marché d’occasion et donc un nouvel achat. Ensuite, la recherche de marchés, c’est une démarche que je connais de mon ancien métier. J’ai été cadre commercial pendant un peu plus de vingt ans chez un concessionnaire automobile. Forcément, quand il a fallu que je reprenne ma valise avec mes petits documents, ce n’était plus pour aller faire de la prospection mais vendre mon projet. Avec un seul objectif : être au départ du prochain Vendée Globe. Mais il y a eu de nombreux refus, certains soirs étaient démoralisants parce que l’on porte des espoirs énormes sur certains rendez-vous. Mais rebondir est une nécessité dans ce défi sportif et financier, on y pense nuit et jour.

Aujourd’hui, nous embarquons un nouveau collectif de partenaires : Giffard Manutention, Brioches Fonteneau, Ligne et Lumière, Altitude Infra et EDP. Ils ont tous des spécialités différentes et sont complémentaires allant de la réparation de matériel neuf et d’occasion, la menuiserie en passant par la fibre optique ou le nettoyage. Sablais d’adoption, en signe de clin d’œil, un partenaire majeur est du département. Le réseau vendéen est puissant, j’ai pu le constater avec une forte entraide pour la recherche de financements.

Comment l’entraide vendéenne s’est-elle traduite ?

Dans l’aventure et le partenaire officiel. Sylvine et Marion Kohler, à la tête des Opticiens Kohler en Vendée, n’avaient pas les moyens budgétaires pour nous suivre. Mais elles ont énormément œuvré pour nous mettre en relation avec Mathieu et Christine Fonteneau (Brioches Fonteneau), dont l’entreprise éponyme existe depuis 1977. Une histoire de rencontre qui a fonctionné puisqu’ils se sont engagés pour leur premier Vendée Globe (investissement non communiqué, NDLR) à la fois en tant que fournisseur officiel et sponsor de mon Imoca. Notons aussi l’engagement du chocolatier vendéen Patrick Gelencser, passionné de voile. Chacun à leur niveau, les membres de ce collectif apportent un nouveau souffle à l’histoire et à mon projet qui met en valeur Coup de Pouce, une association qui œuvre contre le décrochage scolaire des enfants.

Dans le monde de la course au large, les budgets deviennent colossaux. Où vous situez-vous ?

Nous avons bouclé le budget l’année dernière, à un an du Vendée Globe. Pour cette année 2024 de course, nous sommes à environ 800 k€. Si de nombreux projets concurrents se chiffrent en millions, cela reste beaucoup d’argent. Néanmoins, je pense pouvoir dire qu’on est dans les petits budgets de la classe Imoca et toujours à la recherche d’autres partenaires. Avoir un bateau et vivre de la course au large est un engagement de tous les instants pour avoir les ressources financières : logistique, maintenance du bateau, équipements techniques, salaires des membres de l’équipe, frais d’inscription (20 k€ sur le Vendée Globe, NDLR) et de préparation ou encore les assurances.

Sur l’aspect performance et compétition, il me faut plus d’argent. La construction des Imoca de dernière génération coûte près de 7 M€ avec les nouvelles évolutions technologiques. Mais je vois déjà plus loin pour faire exister des projets comme le mien. Les partenaires, engagés pour cette dixième édition, sont tous quasiment prêts à repartir dans quatre ans. Il y a la volonté de s’inscrire dans la durée, ce n’est pas un one shot. L’édition 2028 se prépare déjà…

Lorsque l’on se lance dans un deuxième Vendée Globe, quels sont les objectifs ?

J’ai envie de faire mieux (23e position en 2020-2021, NDLR). Le graal, c’est de le terminer. Je l’ai vécu une fois. Passer la ligne d’arrivée, remonter ce chenal et s’amarrer au ponton, c’est un moment chargé d’émotions. Ce nouveau tour du monde, je l’aborde différemment parce qu’il y a forcément un peu plus d’expérience. Nous avons peur la première fois, mais nous avons autant de craintes la deuxième fois parce qu’on sait ce qui nous attend.

Je ne refais pas le Vendée Globe pour simplement le refaire. Rêve d’une vie en 2020, l’ambition est d’être plus compétitif avec ce bateau. Il est certes relativement ancien (2007), mais a été énormément amélioré avec de nouvelles dérives et l’ensemble du gréement changé et ne ressemble plus à celui du dernier Vendée Globe. Enfin, il pèse une tonne en moins (8 tonnes). Sur l’ensemble de la flotte, il y a dix-sept bateaux à dérive, j’espère être dans le top 5.

Dans quelques jours, Manuel Cousin va vivre son deuxième Vendée Globe. Une aventure au grand large de trois mois. MATHIEU MARIN – IJ

Pendant les trois semaines d’ouverture du village, vous êtes très sollicité. Dès le 10 novembre, vous serez seul. Quel est votre rapport au temps ?

Jusqu’au départ, je vais rentrer dans un entonnoir de pression qui va monter de plus en plus. La transition va être particulière parce qu’il va y avoir 300 000 personnes au départ, voire plus. Passer de cette euphorie collective à la solitude au moment du top départ, c’est assez compliqué. Chaque skipper s’est préparé mentalement. Et il y a un moment, il faut switcher au niveau du cerveau en se disant : « Notre vraie vie est là, c’est maintenant qu’il faut faire. C’est le moment clé ». Mes journées seront ensuite à l’écoute du bateau, et un système de quarts (fraction du temps et période sur un bateau, NDLR) s’enclenche entre la consultation des fichiers météo, les manœuvres ou encore les temps de sommeil.

Néanmoins, je me dois d’être présent au village et je me réjouis de ces semaines d’effervescence. Si je regarde quelques années en arrière, j’étais aussi parmi cette foule pour admirer ces bateaux qui me faisaient rêver. Je me souviens que dès que je pouvais voir un skipper, que j’accrochais un regard et que j’avais un petit sourire, j’étais le plus heureux. Depuis le 19 octobre, le public fait la queue pendant deux à trois heures. Donc, on peut au moins leur rendre ce bonheur parce qu’ils sont bien courageux de faire ça. Cette ébullition va me porter pendant ce tour du monde.

Quel est votre regard sur les engagements environnementaux ?

Nous sommes les premiers témoins du réchauffement climatique. La mer est sacrément en danger. Sur le bateau, nous avons mis des panneaux solaires, de l’énergie facile. Il y a aussi les hydro-générateurs, de petites hydroliennes, que l’on met dans l’eau quand le bateau avance, qui permettent de produire de l’électricité.

Au-delà de la question préoccupante des déchets en mer, il y a un point qui ne trompe pas : avec le réchauffement des eaux antarctiques, la limite des glaces remonte. Nous avons de moins en moins de place pour passer le cap Horn sans prendre le risque de tomber sur un iceberg. Donc, je pense que la réalité des choses est là. Les océans se réchauffent au point que l’Antarctique se morcelle. Il y a des icebergs qui se détachent de l’Antarctique et qui vont mourir petit à petit en se réchauffant. Un jour, nous espérons pouvoir tourner aussi autour de la planète sans utiliser une goutte d’énergie fossile¹.

 

1 L’avis de course 2028, dévoilé dans quelques jours, devrait interdire l’utilisation de l’énergie fossile.