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Loire Estuaire : cap sur la décarbonation

Le territoire Loire Estuaire¹ vient grossir les rangs des zones industrialo-portuaires labellisées Zibac. L’Ademe, qui pilote cet appel à projets visant à décarboner les territoires industriels, va soutenir la phase d’études qui s’ouvre pour deux ans, à hauteur de 4,1 M€.

Port Saint-Nazaire

5,9 millions de tonnes de CO2 sont émis chaque année sur le territoire Loire Estuaire, dont plus de 85 % par les acteurs du projet Zibac. © Shutterstock

Avec ses plus de 8 500 emplois répartis dans 730 établissements[2], la zone industrialo-portuaire de Nantes Saint-Nazaire compte parmi les places portuaires majeures de France : la première de la façade atlantique et la quatrième au plan national. Mais la zone pèse aussi lourd en matière de carbone : 5,9 millions de tonnes de CO2 sont émises chaque année, soit 8 % des émissions de CO2 en France. Entre les différentes industries, la centrale à charbon EDF de Cordemais, la Spem (Société de production électrique) Engie de Montoir-de-Bretagne, la raffinerie de Donges ou encore le trafic portuaire dont les deux tiers sont liés aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), l’enjeu de décarbonation est de taille.

8,2 M€ pour financer des études

Après Fos-Marseille, Le Havre et Dunkerque, le territoire Loire Estuaire vient d’être désigné lauréat de l’appel à projets Zibac (pour Zone industrielle bas carbone), porté par l’Ademe dans le cadre de France 2030. La labellisation Zibac va ainsi aider le groupement composé de cinq partenaires, dont des industriels fortement émetteurs (l’Aile – Association des industriels Loire Estuaire[3], Nantes Saint-Nazaire Port, la Région Pays de la Loire, Saint-Nazaire Agglomération et la communauté de communes Estuaire et Sillon) à financer des études de faisabilité et d’opportunité pour toute une série d’actions, à hauteur de 50 % sur un montant total de 8,2 M€. Les 50 % restants seront apportés par les cinq partenaires, qui mettront par ailleurs sur pied à la rentrée l’association Adele (Association de décarbonation Loire Estuaire), chargée de porter cette dynamique collective et qui pourra s’ouvrir à d’autres acteurs du territoire. La phase d’études qui s’ouvre pour deux ans débouchera sur une phase de mise en œuvre, avec en ligne de mire un objectif de décarbonation significatif : -50 % d’émissions en 2030, et zéro carbone ou “net zéro“ d’ici 2050.

Hervé Rivoalen, directeur de l’action régionale d’EDF, qui fait partie des acteurs du projet, témoigne : « Nous sommes un acteur important du port et de ceux qui émettent, quand la centrale de Cordemais fonctionne, des quantités non négligeables de CO2. Il était donc important que l’on soit partie prenante et que l’on puisse travailler à notre décarbonation, qui est déjà bien engagée avec, par exemple, le projet Ecocombust (conversion de la centrale à charbon de Cordemais en usine de production de pellets, NDLR). Ensuite, on sait que la question de la décarbonation passera beaucoup par l’électrification d’un certain nombre de process industriels. Donc avoir une idée plus précise de ce que seront les besoins en électricité sur cette zone portuaire à un horizon de cinq à dix ans, est extrêmement important pour un producteur comme EDF. »

Créer un hub d’énergies décarbonées

« 10 % de l’énergie primaire qui est consommée en France passe par notre place portuaire, ce qui fait de cette place un hub énergétique, qui avec le projet Zibac doit passer d’un hub d’énergies carbonées à un hub d’énergies décarbonées », résume Julien Dujardin, directeur général adjoint du Grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire. La phase d’études va ainsi permettre aux acteurs de plancher sur la mise en place de différentes infrastructures, comme un hub hydrogène pour la production, l’import et le transport d’hydrogène bas carbone et un hub CO2 destiné à capturer, réceptionner, valoriser et exporter le CO2 industriel, en lien notamment avec GO CO2, projet XXL de captage de CO2 dans le grand Ouest, porté par des industriels et gaziers et soutenu par la Région.

« Il s’agit de pouvoir transporter le CO2 et l’hydrogène entre des sites producteurs, des sites consommateurs et éventuellement des sites d’importation ou d’exportation, explique Hervé Rivoalen. Demain, on doit pouvoir accueillir de l’hydrogène importé et potentiellement exporter du CO2 pour l’envoyer dans des sites d’enfouissement. Et évidemment à côté de l’import-export, il y aura des productions régionales : c’est par exemple l’idée derrière le projet Take Kair (production d’e-kérosène en Pays de la Loire à partir de CO2 capté dans une cimenterie de Mayenne, dont EDF est partie prenante, NDLR) ».

L’hydrogène, énergie clé

Du côté des énergies nouvelles, l’hydrogène figure en très bonne place. « Notre trajectoire de décarbonation vise en effet, non plus seulement à réduire et capter le CO2, mais à l’éviter tout de suite, pointe Julien Dujardin. Et cela veut dire se préparer aux nouvelles énergies, que ce soit des énergies à destination des process industriels, des mobilités du quotidien ou des navires qui sont un centre d’émissions de GES importants. Quand on regarde tout cela, on s’aperçoit qu’il y a une molécule de base, l’hydrogène, qui ensuite vient se composer avec d’autres molécules pour fabriquer par exemple du méthanol ou d’autres carburants, e-carburants ou carburants dérivés. C’est la raison pour laquelle on souhaite se positionner en tant que hub énergétique et donc hub hydrogène. » Par ailleurs, pour le développement de cette énergie, le territoire pourra notamment compter sur la start-up ligérienne Lhyfe, dont le premier pilote de production d’hydrogène offshore est opérationnel depuis fin juin au large du Croisic.

Autres infrastructures prévues : un hub gaz naturel pour la production et la distribution de gaz verts et bas carbone, et un pôle dédié aux autres énergies décarbonées permettant la production et l’avitaillement en biocarburants, bioGNL, biofuels. Enfin, les études se concentreront aussi sur des thématiques liées à l’écologie industrielle : mise en place de boucles électriques locales produites à partir d’énergies renouvelables, d’un réseau de chaleur, développement de la biomasse ou décarbonation des procédés industriels et flux portuaires, ainsi que sur la résilience industrielle : comment s’adapter au changement climatique, comment améliorer collectivement la gestion de l’eau. Au total, le montant des investissements des différents acteurs dans la décarbonation de la zone devrait dépasser le milliard d’euros.

« Reconstruire le port sur lui-même »

Un enjeu important du projet va concerner la reconversion des infrastructures existantes, avec la contrainte du zéro artificialisation. « Au moment du projet stratégique 2021-2026 de Nantes Saint-Nazaire Port, nous avions pris la décision du zéro artificialisation : les espaces à vocation économique, autorisés à l’aménagement et déjà aménagés, continueraient de l’être et à accueillir de l’activité, et les espaces à vocation naturelle seraient sanctuarisés, rappelle Julien Dujardin. Donc nous allons reconstruire le port sur lui-même, et dans le cadre de cette transition, des sites qui sont aujourd’hui dédiés aux énergies carbonées, le seront demain aux énergies décarbonées. C’est le cas par exemple d’un parc à charbon que nous avons à Montoir-de-Bretagne, qui servait à alimenter l’unité de production d’EDF à Cordemais. Demain, ce parc à charbon n’aura plus d’utilité, donc nous avons déjà lancé un appel à manifestation d’intérêt pour le convertir en un site de production d’hydrogène, dans le cadre du futur hub. Ce qui est aujourd’hui un terminal d’importation de charbon ou de pétrole brut, sera demain reconverti en infrastructure d’importation ou d’exportation d’hydrogène, de CO2, d’éthanol, d’ammoniac… »

Enfin, la décarbonation passera nécessairement par une évolution des métiers, comme l’explique Julien Dujardin : « Il y a un véritable enjeu de transition des métiers, d’accompagnement et de formation. La transition énergétique est une véritable opportunité pour préparer les emplois de demain. Simplement, cela s’accompagne et se prépare, et dans Zibac il y a un important volet autour de la formation, des compétences et de la manière dont on fait transitionner tout un territoire. »

 

[1] Zone industrialo-portuaire correspondant au domaine portuaire du Grand Port Maritime, qui s’étend de Saint-Nazaire à Cordemais.

[2] Insee, 2022.

[3] L’Aile regroupe Arcelormittal, Cargill, EDF, Elengy, Engie, Eqiom, TotalEnergies et Yara.