Couverture du journal du 29/03/2024 Le nouveau magazine

L’entretien : Sophie Georger-Ménereau, PDG de Pramac : « J’ai déjà organisé ma transmission »

En 1992, à peine sortie des études, Sophie Georger-Ménereau reprenait Pramac, à la suite du décès brutal de son père. Un épisode qui a profondément marqué la dirigeante vendéenne, présidente du Medef Vendée. À 53 ans, elle a déjà préparé la suite pour que l’entreprise basée à Challans et spécialisée dans le marché des accessoires pour câbles et chaînes puisse rester indépendante et familiale.

Sophie Georger-Menereau pramac

Sophie Georger-Menereau PDG de Pramac © Benjamin Lachenal

Quel est le métier de Pramac ?

Pramac est l’abréviation de « Pour répondre au marché des accessoires pour câbles ». Son métier est d’importer, de stocker et de redistribuer auprès des professionnels des produits forgés estampés, en acier et en inox, comme des accessoires pour câbles et chaînes, ainsi que des colliers de serrage. Ces produits, que l’on met au bout d’un câble ou d’une chaîne, servent à faire de la manutention et du levage. Nos clients sont des quincailleries professionnelles, des spécialistes de fournitures industrielles et des professionnels du levage, essentiellement en France. C’est un marché de niche sur lequel nous sommes ultra-spécialisés alors que pour nos concurrents, il s’agit d’un complément de gamme. Cette ultra-spécialisation nous permet d’avoir entre 6 et 18 mois de stock sur quasiment tous nos produits. Ainsi, sur 6 M€ de chiffre d’affaires, il y a 2,7 M€ de produits stockés, ce qui représente sept à huit millions de pièces différentes. Stocker a toujours fait partie de la culture de Pramac. Mais, au fil du temps et avec la délocalisation en Asie de la fabrication des produits forgés estampés, c’est devenu une nécessité. Et l’on voit bien qu’en période inflationniste, avec des problématiques d’approvisionnement mondial, c’est une force.

L’entreprise a été fondée il y a 50 ans en région parisienne par votre père, Roger Ménereau. Comment est-elle arrivée à Challans ?

Mon père était dessinateur industriel et concevait des serre-câbles plats duplex simplex. Son assistante commerciale n’était autre que la cousine de mon grand-père. En 1972, ils créent ensemble Pramac. En 1981, à la faveur de la politique de décentralisation, mon père cherche à s’installer en province. Un cousin vendéen propose de lui trouver un terrain. Mon père a alors un coup de foudre pour le département et s’installe à Challans. Dans un premier temps, il garde Pramac en région parisienne et crée une tôlerie industrielle, la Sovece (Société vendéenne de conditionnement et d’emballage), là où se trouve Pramac aujourd’hui, à quelques mètres près. Il fait des coffres et des mallettes en tôle, ainsi que des présentoirs. En 1987, il décide enfin de délocaliser Pramac. En 1991, il fait construire un bâtiment, vend Sovece et se concentre sur Pramac. La TPE compte alors cinq salariés et réalise un chiffre d’affaires de 11,5 MF (1,7 M€, NDLR).

L’année suivante, Roger Ménereau décède brutalement. Et du jour au lendemain, vous devenez cheffe d’entreprise…

Mon père nous a quittés le weekend du 1er mai 1992. L’année précédente, j’avais obtenu ma maîtrise de langues étrangères appliquées au commerce international après deux mois de stage en Alle- magne. J’avais décidé d’y rester comme assistante de français, et ce week-end- là, j’étais partie avec des amis.

Nous n’avions pas de téléphone portable et ma mère ne parlait pas un mot d’allemand. Quand j’ai fini par apprendre la nouvelle, je suis immédiatement rentrée en Vendée. D’emblée, l’expert-comptable et le notaire m’ont alertée sur le devenir de l’entreprise. Ils ont mis en avant ma formation commerciale et mes compétences linguistiques, le fait que mon père aurait aimé que je prenne sa suite et que sans moi, les salariés allaient perdre leur boulot. Le lundi matin, je prenais ma décision et débutais ma carrière de cheffe d’entreprise. Enfin, pas tout à fait officiellement. Difficile de convaincre les banquiers à seulement 23 ans et sans expérience… Ma mère Elisabeth est devenue PDG mais dans les faits, c’est plutôt moi qui dirigeais.

Aviez-vous imaginé un jour vous investir dans Pramac ?

Avec mon père, nous n’avions évoqué le sujet que récemment. J’étais jeune. J’étais une fille et le monde de la quincaillerie était très masculin. Me confier les rênes de l’entreprise n’était pas forcément la première chose à laquelle il avait pensé. Pourtant, tout au long de mes études, il n’a eu de cesse de m’orienter vers des choses utiles à la gestion d’une entreprise. Au lycée, il m’a conseillé de suivre des cours de dactylo pour «savoir taper sur un clavier d’ordinateur plus tard », et de comptabilité-gestion parce que «ça sert toujours et que tu ne sais pas ce que tu feras plus tard. » Quand je suis arrivée à la fac, il m’a encouragée à prendre l’option codage informatique parce que «l’informatique, c’est l’avenir », lui qui avait informatisé Pramac dès les années 80. En résumé, il m’a appris à être indépendante et autonome quoi que je fasse dans la vie et cela m’est encore très utile.

Quelques mois avant sa mort, lorsqu’il s’est concentré sur Pramac, il avait senti le besoin de donner un nouveau souffle à la direction de l’entreprise. Mais à 53 ans, il était plutôt dans l’optique de passer la main. Alors, il m’avait proposé de travailler avec lui à mon retour d’Allemagne. C’était un simple projet et nous devions en reparler en septembre 1992. Nous n’en avons pas eu le temps.

Comment se sont passés vos premiers pas ?

C’était très perturbant de basculer du monde insouciant de la vie étudiante à celui de l’entreprise avec une responsabilité vis-à-vis des salariés, le poids moral d’assurer la transmission, plus le deuil à assumer. Avec ma mère, on s’est serré les coudes.

Mes seules expériences professionnelles se résumaient à trois stages et à quelques salons où j’avais accompagné mon père comme traductrice. Et mon unique feuille de route se limitait à quelques notes griffonnées par mon père, retrouvées par hasard sous le sous-main de son bureau. Il prévoyait, entre autres, de doubler le chiffre d’affaires en deux ans – nous l’avons fait en quatre ans – et de faire davantage d’importation directe en Asie.

Avec ma mère, nous avons aussi fait preuve de bon sens à nos débuts en participant à de très nombreuses formations, conférences et ateliers pour nous imprégner de la culture économique.

Évidemment, j’ai mis le nez dans les dossiers de l’entreprise pour comprendre comment elle fonctionnait. Je suis passée à tous les postes, j’ai appris à préparer une commande et un bon de livraison, à faire un budget prévisionnel et j’ai suivi un commercial dans ses tournées. Je travaillais sept jours sur sept, 12 heures par jour. Une fois que j’ai eu un peu de recul, je me suis lancée dans des formations pour apprendre à diriger. Je suis entrée dans les réseaux (CJD1, APM2, Réseau Entreprendre Vendée, EBCL3, Medef Vendée…) pour rencontrer d’autres chefs d’entreprise et découvrir comme ils fonctionnaient. Je dupliquais, en les adaptant, leurs bonnes pratiques. Ce travail acharné a fini par payer et j’en suis fière. Il m’a permis aussi d’acquérir une légitimité auprès de mes collaborateurs.

Quelle a été votre stratégie pour développer Pramac ?

Quand j’ai repris l’entreprise, il n’y avait que des VRP multicartes, c’est-à-dire multi-employeurs. Ils étaient généralistes et ne faisaient pas le chiffre d’affaires nécessaire. Or, en période de crise, nous avions besoin d’actions commerciales fortes. L’une de mes premières décisions fut donc de recruter nos propres technico-commerciaux et de les placer prioritairement dans des zones géographiques où il y avait un potentiel de développement, à savoir le Nord-Est et le Sud-Est.

Ensuite, nous avons renforcé nos stocks et nos services. Nous travaillons exclusivement en BtoB. Si un client final nous contacte directement pour supprimer un intermédiaire, nous refusons systématiquement. Cette éthique génère la confiance de nos partenaires. Aujourd’hui, s’ils n’ont pas la réponse à une question technique, ils osent nous mettre en relation avec leur client final sans peur de se faire doubler. De la même manière, nous pouvons gérer la livraison de leur client final, ce qui les soulage de la logistique et leur fait gagner un temps précieux.

J’ENCOURAGE LE DROIT À L’EXPÉRIMENTATION ET À L’ERREUR CAR C’EST EN EXPÉRIMENTANT QUE L’ON AVANCE

Enfin, nous avons développé nos gammes, en ciblant des produits avec une qualité minimum. Nous proposons deux gammes : l’une, technique, destinée à une utilisation professionnelle avec des garanties charges et des produits normés; et une série économique tout aussi performante qui s’inscrit davantage dans une utilisation de quincaillerie et dont l’utilisation ne nécessite pas de garantie de charge. Nous sommes les seuls à être spécialisés sur cette niche de marché. Nous sommes aussi les seuls à avoir une gamme aussi large avec différents types d’acier et d’inox, avec des profondeurs très variées (des plus petites aux plus grosses dimensions), associé à une forte capacité de stockage. Toute commande de marchandises passée avant 15h part le soir-même pour une livraison entre 24 et 48 heures. Cette organisation nous permet d’être un acteur de référence sur le marché national.

Votre père avait mis en place une politique sociale volontariste. En quoi consistait-elle ?

En janvier 1990, mon père avait mis en place un accord d’intéressement, une mutuelle pour les cadres et des sur-cotisations retraite. Si l’entreprise était rentable, il voulait que tout le monde puisse en bénéficier. Cet accord existe toujours et est renouvelé tous les trois ans. Mon père encourageait les salariés à mettre de l’argent de côté en cas de coup dur. Il avait aussi prévu que l’entreprise abonde sur la prime d’intéressement jusqu’à 300 %. Il avait compris que les salariés qui ont des problèmes financiers, ont des difficultés à se concentrer sur leur travail. Il voulait les protéger.

J’ai poursuivi sa politique sociale volontariste. En février 1994, les salariés ont eu accès à un plan d’épargne entreprises. Ils pouvaient défiscaliser leur prime d’intéressement en la plaçant sur ce compte, bloqué pendant cinq ans. Ce dispositif a été complété en 2021 par un plan épargne retraite collectif.

La convention collective prévoit une hausse de salaire de 3 % tous les trois ans. Chez Pramac, elle est de 1 % tous les ans. Nous anticipons aussi les accords de branches et les avantages liés à l’ancienneté sont intégrés dans le salaire dès l’embauche. Nous accompagnons aussi très fortement les projets professionnels et les envies de formation des équipes.

Pramac

L’équipe actuelle de Pramac © D. R.

Quelle dirigeante êtes-vous ?

Je suis une dirigeante consciente de ses incompétences. Je ne suis ni une bonne négociatrice achat ni une bonne vendeuse. En revanche, je sais faire du sourcing, des tableaux de bord, du contrôle de gestion… J’impulse les réflexions et les orientations mais je délègue tout ce que je ne sais pas faire. C’est important que l’entreprise fonctionne sans moi, que les salariés soient autonomes. J’encourage aussi le droit à l’expérimentation et à l’erreur car c’est en expérimentant que l’on avance.

1. Centre des jeunes dirigeants d’entreprises.

2. Association progrès du management.

3. Entreprises du bassin de Challans et du littoral.

Quel regard portez-vous sur la conjoncture économique actuelle et sur la manière dont les entreprises vendéennes la traversent ?

Depuis un peu plus de trois ans, l’économie mondiale est bousculée par des événements que nous jugions improbables auparavant. En Vendée, nous avons la chance d’avoir un territoire rural avec un tissu d’entreprises à la campagne. Beaucoup sont des petites PME-PMI. Elles ont l’avantage d’avoir des circuits de décision plutôt courts et, peut-être, de pouvoir se remettre en question plus rapidement et facilement qu’ailleurs, en testant d’autres modes de fonctionnement, d’autres stratégies. Cette agilité est clairement un atout, tout comme la solidarité entre les entrepreneurs vendéens. Grâce à tout cela, je suis persuadée que nous arriverons à être innovants et à nous sortir de ce mauvais pas, quoi qu’il arrive. À condition d’accepter de ralentir l’activité si nécessaire, plutôt que de travailler à perte et de mettre en péril la pérennité de l’entreprise.

PRÉPARER MA TRANSMISSION, C’EST POUR MOI LA GARANTIE QUE L’ENTREPRISE PUISSE RESTER FAMILIALE ET INDÉPENDANTE

Préparez-vous la transmission à la troisième génération ?

Oui, j’ai déjà géré tout ce qui concerne la transmission capitalistique. S’il m’arrive quoi que ce soit, tout est réglé pour que Pramac soit financièrement transmise à mes six enfants âgés aujourd’hui de 15 à 26 ans. C’est pour moi la garantie que l’entreprise puisse rester familiale et indépendante. Il est encore un peu tôt pour savoir si l’un ou l’autre aura un jour envie de prendre ma suite. Mais cela n’empêche pas de préparer une certaine gouvernance éclairée au sein d’un conseil de surveillance et d’un conseil d’administration. Depuis deux ou trois ans, je prends le temps de leur expliquer ce qui se passe dans l’entreprise, de les faire participer autant que faire se peut à certains événements, comme l’inventaire de fin d’année. Je les éclaire sur la culture de l’entreprise, sa politique, sa stratégie et ses valeurs. En parallèle, tous les quatre ou cinq ans, je rédige un testament déposé chez le notaire et je prépare une feuille avec les grandes orientations à prendre pour l’entreprise que je glisse sous le sous-main dans mon bureau, comme l’avait fait mon père. À une différence près : j’en parle à mes équipes. C’est important qu’elles le sachent pour avoir les moyens d’assurer la pérennité de l’activité.