Couverture du journal du 29/03/2024 Le nouveau magazine

L’entretien – Bertrand Lepineau, fondateur de Cash and Repair : « L’apprentissage par l’erreur est constructif »

Chez Cash and Repair, les collaborateurs fixent eux-mêmes leur rémunération et recrutent leurs futurs collègues. Ce management disruptif, où chacun est responsable de ses décisions, c’est celui de Bertrand Lepineau, PDG de Cash and Repair, société vendéenne de réparation mobile express qu’il a fondée en 2015. Pour cet entrepreneur qui a connu l’échec, cette liberté associée au droit à l’erreur est source d’innovations.

Bertrand Lepineau, Cash and Repair

Bertrand Lepineau, PDG de Cash and Repair © Benjamin Lachenal

Vous avez fondé Cash and Repair il y a sept ans. Comment a démarré l’aventure ?

Cash and Repair est né sur un tas de ruines. En 2012, j’ai dû déposer le bilan de la société de jeux vidéo d’occasion que je dirigeais. En un an, le chiffre d’affaires est passé de 5 M€ à 1 M€ : la chute fut brutale. Pour rebondir, on s’est mis à vendre des téléphones d’occasion dans nos cinq magasins mais cela ne fonctionnait pas alors que l’activité réparation, elle, progressait. Plus tard, cette même année, je suis allé à Nashville et j’ai découvert un petit corner de réparation téléphonique. J’ai trouvé le concept génial et je suis revenu des États-Unis avec l’idée de développer cette nouvelle activité. J’ai mis deux ans et demi pour ouvrir mon premier corner au cœur de la galerie commerciale Leclerc, zone Sud, à La Roche-sur-Yon, en 2015.

Pendant cette période, j’ai tout fait pour sauver mon activité de jeux vidéo. J’ai vendu ma maison pour payer mes collaborateurs, les loyers et les emprunts. J’ai aussi essayé de vendre les magasins. Ce fut une période compliquée. J’ai tout perdu. Je me suis demandé comment j’en étais arrivé là. Le marché s’était certes retourné avec l’arrivée des ventes internet et de la grande distribution. Mais quelle était ma part de responsabilité ? À l’époque, je gérais aussi le développement des magasins Subway dans le Sud-Ouest. J’étais moyen partout et il n’y avait pas de lien entre mes activités. Quand j’ai pris le mur de plein fouet, j’ai aussi compris plein de choses sur l’erreur et l’échec. C’est pourquoi j’ai instauré une culture de l’échec au sein de Cash and Repair. Aujourd’hui, je ne suis plus le même homme, je suis bien plus heureux.

Quel est le concept de Cash and Repair ?

Nous avons fait le choix de nous installer exclusivement dans les hypermarchés Leclerc, souvent leader dans leur ville. Notre concept, c’est de réparer sans rendez-vous en moins de 30 minutes des téléphones portables, pendant que nos clients font leurs courses, et des PC et des tablettes en 24h/48h.

Pour se différencier de la concurrence, très rude, notre modèle économique repose sur deux piliers. D’abord, la qualité de ses pièces détachées haut de gamme : toutes nos réparations sont garanties à vie, y compris les pièces d’occasion. Nous sommes les seuls à le faire. Second pilier : la formation permanente des collaborateurs au sein de notre Académie qui nous permet d’avoir un niveau d’expertise élevé.

Sur quel modèle repose votre développement ?

Nous avons d’abord pris le temps de développer notre propre réseau d’ateliers. Il s’est passé un an entre l’ouverture du premier à La Roche et le second aux Sables-d’Olonne. Aujourd’hui, nous sommes propriétaires d’une dizaine d’ateliers en Vendée, Maine-et-Loire, Ille-et-Vilaine et dans l’Indre.

En 2018, nous nous sommes demandés comment poursuivre notre développement. Gérer l’éloignement avec les équipes devenait compliqué. Tout en continuant de nous développer en propre à l’échelle régionale, nous avons fait le choix de créer en parallèle une franchise Cash and Repair pour notre croissance nationale. Nous ne vendons pas des franchises mais nous sélectionnons nos franchisés. Seul 1,5 candidat sur 100 est choisi. Chaque futur franchisé suit un parcours avec des dossiers à remplir, des visios, des échanges téléphoniques et une rencontre sur une journée avec moi, le fondateur. Le conjoint est invité pour parler de ce projet qui est avant tout un projet familial avant même d’être entrepreneurial. À l’issue de cette rencontre, chacun réfléchit et nous nous recontactons pour donner une réponse. En 2023, à l’issue de tout ce parcours, le candidat à la franchise devra être coopté par deux autres franchisés, qui deviendront ses accompagnants tout au long de sa vie dans le réseau. Ils pourront partager leurs doutes, leurs performances, leurs idées…

Fin 2018, nous avons ainsi recruté nos premiers franchisés à Paris et Ajaccio. À partir de 2020, nous avons développé ce réseau. Nous comptons 13 franchisés à ce jour et six ouvertures sont prévues d’ici la fin de l’année : l’une dans l’Est du pays, d’autres à Lyon, Laval et en région parisienne.

Chez Cash and Repair, les collaborateurs recrutent leurs futurs collègues et le choix se fait à l’unanimité. Pourquoi ?

Chez nous, le recrutement est permanent. Tous les matins, nous recevons des candidats. Il y a d’abord deux rendez-vous : l’un avec l’assistante RH, le second avec un futur collègue, puis, éventuellement, on propose une immersion afin que le candidat puisse se rendre compte de son futur métier : l’espace, le bruit… Si c’est concluant, un troisième rendez-vous réunit des collaborateurs et le candidat. À l’issue de l’entretien, l’équipe de recrutement débriefe pour savoir si on le recrute, chacun motive sa réponse. On se refait un point le lendemain et là, on vote à l’unanimité, pour n’avoir aucun doute.

Je ne voulais pas avoir la responsabilité, seul, du recrutement. C’est pourquoi j’ai délégué cette mission à mes collaborateurs. Ils recrutent leurs futurs collègues, mais ils peuvent aussi le licencier si nécessaire. Si le collaborateur juge que c’est injuste, il sollicite le conseil des sages. Et si cette instance constate un manque d’objectivité, elle intervient, mais cela n’est jamais arrivé.

Côté management, c’est le même esprit de responsabilité, il n’y a pas de chef. N’y a-t-il pas un risque d’anarchie ?

Ma conception du management, c’est de donner de la responsabilité aux collaborateurs. C’est d’ailleurs eux qui décident de leur propre rémunération.

Tout est fait pour que chacun soit responsable de sa décision. L’anarchie, c’est quand il n’y a pas de cadre. Or, ici, dans chaque équipe, dans chaque atelier, les collaborateurs définissent eux-mêmes leur propre cadre : ce dont ils ont besoin pour travailler en sécurité et en sérénité ensemble, mais aussi leurs valeurs. À l’intérieur de ce cadre, il y a une certaine liberté. Ce mode de fonctionnement se nourrit de la vision d’entreprise écrite par les collaborateurs, ce qui retire tout risque d’anarchie. Toutes les décisions sont collectives.

En aucun cas, je n’ai le mot final. Surtout pas. Cela voudrait dire que je ne délègue pas. Les collaborateurs sont responsables de leurs décisions, je n’interviens pas. Au départ, c’était dur. Plus maintenant. J’ai accepté l’idée de ne plus être décisionnaire, c’est la clé. Si j’intervenais, ce serait de la manipulation. Quand on vient me voir avec une problématique, je leur dis : « et si tu étais patron, tu ferais quoi ?» Parfois, je sais que la décision prise est mauvaise mais je laisse faire pour que chacun puisse lui-même en tirer la leçon. L’apprentissage par l’erreur, c’est fondamental, constructif. On apprend mieux en faisant qu’en écoutant. Et c’est en prenant des risques que l’on peut développer une entreprise.

Quelle place avez-vous dans cette organisation ?

Je suis le garant de la culture d’entreprise. Je m’occupe de développer l’entreprise, de définir les grandes lignes. Mais la stratégie vient du terrain, des collaborateurs présents dans les différentes tribus.

Le siège de Cash and Repair, à Dompierre-sur-Yon en Vendée.

Le siège de Cash and Repair, à Dompierre-sur-Yon en Vendée. © DR

En quoi consiste ces tribus et quelle est la vision d’entreprise définie par vos collaborateurs ?

« Le bonheur et l’épanouissement de chacun garantiront la réussite de Cash and Repair ». Cette phrase n’est pas de moi, mais des salariés et elle reflète bien ce que l’on est. Quand nous avons élaboré cette stratégie en 2017, nous avons voulu décortiquer cette vision : c’est quoi le bonheur chez Cash and Repair ? C’est quoi une équipe ? La réponse fut : “être responsable et donner du sens à ce que je fais”. Alors pour permettre à chacun de s’investir sur des sujets en-dehors de ses compétences, nous fonctionnons en tribu. Nous avons ainsi créé une tribu “Comment améliorer le quotidien” où les collaborateurs décident eux-mêmes de leur planning et du montant de leurs rémunérations ; une tribu Recrutement, une Recyclage, une Innovation et une Marketing.

Quelles sont les ambitions de Cash and Repair ?

Nous voulons développer nos points de vente, surtout en franchise. Nous espérons être leader national en termes de chiffres d’affaires d’ici fin 2023. Grâce à un outil de prédiction de chiffre d’affaires élaboré en interne, nous avons défini plusieurs zones d’implantation, là où il y a des Leclerc avec une galerie commerciale. Notre objectif est d’avoir trois à quatre points de vente par zone en moyenne. Je ne sais pas si nous l’atteindrons et quelque part, je m’en fiche. Vouloir être leader est source d’innovation et nous fait avancer. D’ailleurs, depuis 2019, nous consacrons 10 % de notre budget à l’innovation. Notre ambition est aussi être présent en 2023 dans les pays limitrophes comme la Belgique, le Luxembourg ou la Suisse.

Nous voulons également donner plus d’ampleur à Bee my Phone, notre activité dédiée à l’achat/vente de produits revalorisés : smartphone, PC portable, tablette, objet connecté et console de jeu. Tous sont garantis à vie. En 2021, nous avons lancé un site e-commerce et ouvert le premier corner Bee my Phone à Basse-Goulaine (Loire-Atlantique). Un concept store va ouvrir dans le Leclerc de Laval (Mayenne) en octobre prochain. Un franchisé Cash and Repair pourra investir dans un Bee my Phone.

Le petit nouveau de la rentrée, c’est Bobee. Qui est-il ?

Bobee est un robot capable de démanteler des smartphones pièce par pièce pour leur donner une seconde vie. À notre connaissance, c’est le premier robot de ce genre au monde. Bee fait référence aux abeilles, l’une des causes que nous soutenons, et aussi à Bee my Phone, l’une des quatre sociétés du groupe Lepineau.

Le projet est né il y a quatre ans. Nous sommes partis du constat que certaines pièces des smartphones sont faites avec des minerais extraits par de jeunes enfants et servent parfois à financer des guérillas. Et pour la planète ce n’est pas terrible. Si la revalorisation des composants est une activité vertueuse, celle-ci est aussi peu épanouis- sante pour les salariés. D’où l’idée de remplacer l’humain par un robot. Trois étudiants de l’Icam, l’école d’ingénieurs de La Roche-sur-Yon, nous ont aidés à faire le Poc, la preuve de faisabilité. Ensuite, nous sommes allés à la rencontre d’intégrateurs de solutions. La plupart ne croyaient pas en notre projet car un robot, c’est fait pour construire et non déconstruire. Le huitième a accepté de relever le défi de concevoir un robot flexible, capable de s’adapter facilement et rapidement à chaque modèle – une centaine de nouveaux produits sortent chaque année –, et qui soit facile à mettre à jour.

Nous avons démarré la conception de Bobee à l’automne 2019 et nous venons de lancer l’activité en septembre. C’est un gros investissement d’1,2 M€, en partie financé dans le cadre de France Relance. Mais nous étions convaincus dès le départ que ça avait du sens. Bobee va permettre de réduire l’impact environnemental, un enjeu national décidé par le gouvernement. Nous pensons que cela passera aussi par la limitation du renouvellement des smartphones. La durée de vie des smartphones est de sept ans. Or, en réalité, les gens changent de portable tous les 23 mois.

L’ANARCHIE, C’EST QUAND IL N’Y A PAS DE CADRE. OR, ICI, DANS CHAQUE ÉQUIPE, CHAQUE ATELIER, LES COLLABORATEURS DÉFINISSENT EUX-MÊMES LEUR PROPRE CADRE.

Quels sont vos objectifs avec Bobee ?

75 % des pièces revalorisées seront utilisées dans nos ateliers de réparation (Cash and Repair) et 25 % contribueront à refaire des téléphones portables (Bee my Phone). Notre ambition est de faire 50 % de nos réparations avec des pièces de seconde vie d’ici un an et de distribuer notre robot à l’international, à l’attention d’autres reconditionneurs, en 2023.

Bobee devrait employer 20 personnes d’ici un an : des roboticiens, ingénieurs, techniciens de maintenance ou magasiniers. Le robot démonte les pièces et les trie mais pour ranger les stocks et la logistique, il y a toujours besoin d’humain.

Vous menez d’autres actions très concrètes en faveur de l’environnement. Vous pouvez nous en dire plus ?

En 2018, nous avons créé l’association Blue Green Planet dont je suis le président. Une partie de nos actions est axée sur les abeilles, l’autre sur le nettoyage des forêts et des plages. Nous avons aussi rédigé un livre blanc sur les bonnes pratiques environnementales en entreprise. Dans le cadre de notre activité recyclage, Cash and Repair reverse 30 €/m3 recyclé à l’association.

C’EST EN PRENANT DES RISQUES QUE L’ON PEUT DÉVELOPPER UNE ENTREPRISE.

En interne, nous essayons de limiter au maximum notre impact environnemental. La tribu Recyclage est à l’origine de plusieurs initiatives, comme verser le marc de café au pied de nos plantes ou de nos arbres. Dans notre jardin, nous avons aussi deux moutons et nous allons mettre en place un potager. D’ici l’automne, nous accueillerons une ruche. Nous ferons du miel que nous offrirons à nos clients, partenaires…

Nous essayons aussi d’influencer nos fournisseurs pour qu’ils réduisent leurs emballages et nous réutilisons ces emballages dans le cadre de nos activités de réparation et de vente de produits revalorisés.

1. Smartphone de seconde main avec des pièces d’occasion.

2. Ces professionnels conçoivent et réalisent le robot.

LE GROUPE LEPINEAU

4 sociétés : Cash and Repair, Bee my Phone, CR digital (activité de grossiste), CR consulting conseil (centre de formation pour les collaborateurs et franchisés)

70 collaborateurs en propre et 50 via les franchises

24 corners dont 11 en propre et 13 franchises

CA global 12,6 M€ en 2021

Objectif 2022 : 14/15 M€