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Le numérique responsable, nouveau défi des entreprises

"Pourquoi et comment mettre en place une démarche numérique responsable ?" Tel était le thème de l’un des ateliers proposés fin novembre par la CCI Vendée dans le cadre de la 9e Innovation Week. L’occasion de faire un état des lieux et de se pencher sur les raisons de s’intéresser au sujet du numérique responsable, à travers des témoignages et conseils d’experts et d’entreprises.

©Shutterstock

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« À votre avis, combien d’équipements numériques en service recense-t-on aujourd’hui à travers le monde ? » interpelle David Remaud, fondateur du cabinet Num&res [1]et animateur d’atelier à l’Innovation Week. Réponse : 34 milliards[2] (ordinateurs, téléphones, tablettes ou encore objets connectés).
En 2019, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre s’élevait à 4 % au niveau mondial. Cela semble peu, mais c’est l’équivalent des émissions de l’aviation civile. Et cette année « nous avons franchi deux nouvelles limites planétaires [3] » rappelle David Remaud. Dans un contexte marqué par les crises sanitaires, climatiques et énergétiques, il est donc nécessaire de redéfinir nos usages du numérique. En particulier pour les entreprises.

À la fois problème et solution

« Nous sommes plutôt au début de la prise de conscience » constate Safia D’Ziri, présidente d’ADN Ouest[4]. « Depuis une dizaine d’années, nous parlons de Green IT, la notion de numérique responsable, elle, est récente. » Et au fait, c’est quoi exactement le numérique responsable ? « C’est d’abord la notion de soutenabilité écologique. Le numérique est à la fois un problème et une solution, poursuit Safia D’Ziri. Tout en ayant un impact sur l’environnement, il présente un intérêt pour la préservation de la biodiversité, en apportant une aide à la décision ou dans la gestion de nos ressources. » Le second aspect concerne l’engagement éthique. « Nous œuvrons pour un numérique qui respecte l’humain, intégrant la notion d’accessibilité, et qui ne soit pas un facteur d’exclusion dans notre société[5]. »
Et peut-on l’assimiler à la sobriété numérique ? Pour la présidente d’ADN Ouest, les deux notions sont liées, mais il y a une légère différence : « la sobriété numérique est plus de l’ordre de l’injonction et liée aux comportements et usages de chacun. Le numérique responsable concerne une démarche plus globale. »

Pourquoi se lancer ?

Et alors, quel intérêt pour les entreprises ? « À l’heure du changement climatique, tous les gestes comptent, estime Safia D’Ziri en mettant en avant l’argument économique. Si on allonge la durée de vie des équipements, que l’on réduit la quantité de matériel informatique, on va moins dépenser. Autre exemple, on peut faire jusqu’à 60 % d’économie d’énergie avec un data center vertueux. » Par ailleurs d’un point de vue social, s’engager sur la voie du numérique responsable est un moyen d’attirer les jeunes candidats, souvent plus sensibles aux questions écologiques et « une façon de répondre à la demande des clients qui regardent les indicateurs RSE ou encore des collaborateurs en quête de sens » souligne David Remaud. Il s’agit enfin de se mettre en conformité avec la loi ; la loi Reen[6] qui vise à limiter le renouvellement des terminaux ou encore à promouvoir des centres de données moins énergivores, et la loi Agec[7] anti-gaspillage. Autant de raisons qui doivent inciter à inscrire le numérique dans la stratégie RSE de son entreprise.

Comment s’y mettre ?

Pour entamer une démarche numérique responsable, il faut déjà avoir en tête la règle des « 5 R » principe fondamental des écogestes : Refuser, Réduire, Réutiliser, Rendre à la Terre et Recycler. Et surtout, pour la présidente d’ADN Ouest, « la première chose à faire est de former le top management, parce qu’il y a des modes de calcul à connaître, une méthodologie particulière. » Cela peut passer par une formation très pointue, mais aussi par une sensibilisation du comité exécutif via des quiz ou une fresque du numérique. Après l’étape du partage des connaissances, il faut « analyser l’empreinte de l’entreprise. D’une société à une autre, les impacts peuvent varier. » ADN Ouest travaille notamment sur des outils pour mesurer le numérique et le rendre lisible en essayant, par exemple, de trouver des systèmes d’équivalence qui parlent à tout le monde. « Mesurer c’est déjà agir, cela permet d’avoir un point de départ pour ensuite lancer un plan d’actions. »

Des exemples concrets

Et sur le terrain, quelles sont les actions concrètes déjà mises en œuvre ? Chez Dubreuil notamment, l’équipe marketing a choisi de travailler sur la cinquantaine de sites internet que compte le groupe vendéen. En lien avec la société de conseil et services numériques Digital4Better, la solution logicielle Fruggr (qui évalue l’impact environnemental et social des applications numériques des entreprises) a été déployée. « Cet outil nous a permis de mettre le doigt sur les sujets que nous devons traiter, pour améliorer les indicateurs au quotidien, explique Olivier Billion, directeur marketing du groupe. Nous avons des sites historiques sur lesquels nous avons des changements à faire. On a aussi lancé de nouveaux sites en travaillant sur l’optimisation. » Olivier Billion reconnaît que chaque effort réalisé est récompensé par une plus-value économique. « Optimiser le temps de chargement d’une page a pour effet de réduire l’impact écologique du numérique, tout en permettant à un utilisateur de rester plus longtemps sur la page. »
Autre exemple, chez Dynamips. Pour le prestataire de services informatiques, le numérique responsable a fait partie des trois chantiers prioritaires cette année. « Nous avons travaillé sur l’élaboration d’une charte qui va servir de base de travail à notre service informatique, précise Fabien Lévêque, directeur marketing et chef de projet RSE. Nous avons déjà pris l’habitude de préparer un poste informatique en réglant la luminosité, en installant un moteur de recherche vertueux, à savoir Ecosia.org. Par ailleurs, nous travaillons avec deux partenaires, acteurs de l’économie circulaire : AFB Atlantique (basée à Sainte-Luce) à qui l’on envoie le matériel dont on ne se sert plus pour qu’il soit reconditionné, et Leasecom qui propose de la location évolutive de matériel. »

[1] Cabinet de conseil en numérique basé à Basse-Goulaine

[2] Source : Rapport Green IT 2019

[3] Le concept des neuf limites planétaires défini par une équipe internationale de 26 chercheurs a été publié en 2009 dans les revues scientifiques Nature et Ecology and Society.

[4] Réseau de professionnels du numérique (qui réunit 640 entreprises des Pays de la Loire et de Bretagne) qui a créé en automne 2020 une communauté chargée de mettre en avant le sujet du numérique responsable.

[5] Le fonds de dotation ADN Ouest, créé en 2015, soutient des projets d’intérêt général favorisant l’inclusion grâce au numérique.

[6] Loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.

[7] Loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.