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Stéphane Bourdon-Minier : « Le métier évolue beaucoup avec le numérique »

Agence immobilière indépendante et familiale, le cabinet Rongier fête ses 100 ans cette année. Son directeur, Stéphane Bourdon-Minier, revient sur l'histoire et les évolutions de cet acteur bien installé sur la place nantaise.

Votre cabinet fête ses 100 ans. Est-ce courant dans votre secteur ?

Le cabinet Rongier est le plus ancien cabinet nantais avec Piraud et Thierry, les plus connus du grand public datant, eux, d’après-guerre. Si le cabinet a 100 ans, c’est grâce à ses collaborateurs fidèles : une comptable depuis 28 ans, une personne en gestion locative présente pendant 25 ans… En septembre, je souhaite mettre à l’honneur les collaborateurs actuels et anciens, ainsi que nos fournisseurs. On fait en effet travailler plus d’une centaine de prestataires : ascensoriste, menuisier, plombier, maçon, électricien, vitrier, couvreur… qui pour certains nous accompagnent depuis 20 ans, 30 ans.

Quelle est l’histoire du cabinet ?

Il a été créé en 1920 par Émile Rongier. À cette époque-là, on ne parlait pas d’agents immobiliers, mais d’agents d’affaires car on revendait surtout des fonds de commerce. Mon grand-père, qui avait été clerc de notaire, est venu après la guerre travailler avec lui, puis s’associer, avant de lui racheter le cabinet en 1950.

En plus de l’activité de vente de fonds de commerce, il a été promoteur sur Nantes dans les années 1960, ce qui n’était pas courant. Il n’a pas construit beaucoup d’immeubles, une dizaine, mais derrière, ça a permis le début de l’activité de syndic. Durant cette époque, certaines personnes achetaient aussi pour mettre en location et on a donc également débuté la gestion locative. C’était un métier à tiroirs… 

Votre grand-père a-t-il vécu beaucoup de transformations ?

Pour la petite histoire, il a aussi été précurseur de la lutte contre le bruit à Nantes en créant une commission. Il emmenait mon père marcher dans les étages des immeubles en construction avec des sabots pour en tester l’isolation. J’ai moi-même grandi dans un immeuble construit par mon grand-père et le jour où j’en suis parti pour m’établir dans un immeuble lambda, j’ai compris l’importance de l’isolation phonique !

Mon grand-père a aussi très vite adhéré à la FNAIM, la fédération nationale de l’immobilier, créée pour protéger et défendre les intérêts des professionnels auprès des pouvoirs publics. Le cabinet Rongier est l’un des plus vieux cabinets nantais affilié à la fédération.

Mon grand-père a participé à l’élaboration de certains textes, notamment lorsque le ministre du Logement était un certain Hervé de Charette… 

Il a donc fait du lobbying ?

Depuis 1965, il y eu beaucoup de lois qui régissent la profession. Les textes sont de plus en plus contraignants pour nous et on a voulu que les clients puissent faire la différence entre ceux qui ont une profession réglementée, une formation juridique, cotisent à des caisses permettant, en cas de problème, de rembourser le client et les mandataires. 

Dans cet esprit, depuis le début de l’année, il y a beaucoup d’agents immobiliers qui affichent un caducée*. J’en fais partie. Il garantit au client qu’on fait un certain nombre de formations par an, qu’on a des garanties professionnelles. Mais les notaires trouvent que, dans l’esprit du consommateur, celui-ci peut produire une confusion avec le leur. Ils viennent de gagner le procès en première instance, mais la FNAIM a fait appel.

Votre cabinet fait aussi de l’immobilier d’entreprise ?

C’est mon père qui a créé cette activité. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’agents à faire de l’immobilier d’entreprise, tout simplement parce que quand on construisait un local, c’était pour y exercer. Tout le travail de mon père a été de dire à ses clients qu’ils pouvaient acheter des locaux en tant qu’investisseurs.

J’ai moi-même repris cette activité peu après mon arrivée il y a 14 ans. Je me consacre à ses trois facettes : la vente, la location et la gestion locative, sur Nantes métropole. On fait peu de transactions, les ventes que l’on fait venant essentiellement de notre activité de syndic et de gestionnaire. 

Je ne fais pas de commerces, uniquement des bureaux et surtout des locaux d’activité. Pour moi, c’est un meilleur placement que l’habitation pour les investisseurs car il y a peu de turn-over : je gère des locataires de locaux qui étaient déjà en place quand je suis arrivé. Je travaille d’ailleurs beaucoup avec les enfants des clients de mon père. Il y a une vraie continuité générationnelle.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur votre activité ?

On fait 750 k€ de CA. J’ai estimé entre 60 et 80 k€ les pertes liées principalement à l’absence de locations et de ventes pendant deux mois. 

Environ 30 % de mon portefeuille de locaux professionnels n’a pas payé ses loyers. J’ai négocié avec les propriétaires en faisant du cas par cas et 90 % ont annulé purement et simplement le loyer d’avril pour participer à l’effort de reprise. C’était contre mon intérêt à court terme, mais pour celui-ci à long terme. Si des locataires doivent déposer le bilan, le temps de la procédure puis de retrouver quelqu’un, ça prendrait des mois. C’est ce que j’ai argumenté aussi auprès des propriétaires.

Pour tous les autres arriérés, on a étalé la dette jusqu’à la fin de l’année, ce qui a permis aux locataires de souffler. À part un ou deux dossiers qui vont partir en contentieux, ça se passe plutôt bien. Personne n’a fermé, mais j’ai bien un tiers des 30 % qui sont inquiets. C’est très lié à leur activité. Après le confinement et le maintien du télétravail beaucoup de clients de restaurateurs dans les zones industrielles ne sont pas revenus. Août est traditionnellement calme et en octobre ils vont devoir payer la taxe foncière, soit un à deux mois de loyer… Pour eux, ça va être compliqué.

De quelle manière appréhendez-vous l’avenir dans votre activité ?

Je vois de plus en plus de numérique et donc, malheureusement, de moins en moins de contact humain. Le confinement a accéléré les choses. Mon père a pris sa retraite en 2009 et fait toute sa carrière sans ordinateur. Nous, on est passé à la tablette pour faire les états des lieux et j’ai profité du confinement pour passer à la signature électronique. J’aurais sans doute dû y passer il y a trois ou quatre ans… Le métier évolue beaucoup avec le numérique.

Cette montée en puissance du numérique vous inquiète-t-elle ?

Il y a quinze ans, je m’étais inquiété de l’arrivée du site
Leboncoin. Je pensais, qu’à terme, les gens n’auraient plus besoin d’un agent immobilier. Sauf que, lorsque l’on regarde les statistiques, les chiffres sont stables avec en gros 50 % du marché tenu par les professionnels. Est-ce parce que la législation ne cesse de se renforcer ? Je le pense. 

Mais la nouvelle génération en place, et encore plus celle qui arrive, n’ont pas l’habitude de faire appel à des intermédiaires et de payer des honoraires quand elles peuvent l’éviter. Pour le métier de la transaction, j’ai donc toujours une inquiétude, même si pour l’instant elle ne se concrétise pas.

En ce qui concerne l’activité de gestion de copropriétés, on voit beaucoup de start-up qui développent des modèles pour en simplifier la gestion. Des plateformes de syndic low cost sont apparues. Ce sont des formules qui peuvent fonctionner pour de petites copropriétés. En revanche, à partir d’une dizaine de copropriétés, les gens veulent un syndic. D’autant que beaucoup de lois sont venues renforcer les obligations, les formalités : on a pas mal de contraintes, donc sur ce volet de l’activité je suis moins inquiet. Les gens ne sont pas contents de leur syndic, mais en changent peu, en moyenne tous les 13 ans, selon une enquête qui avait été réalisée par la FNAIM. Il faut être bon juriste, s’y connaître en travaux, être diplomate pendant les assemblées, maîtriser un peu de compta, être réactif, présent sur le terrain… 

Les copropriétaires se plaignent aussi souvent du turn-over de leurs gestionnaires. Pour l’éviter et empêcher à terme la perte de dossiers, je me suis associé avec Antoine Couprie en 2016. Il se consacre exclusivement à cette activité, qui se développe depuis quatre ans. Sur les dix personnes que compte le cabinet, cinq font de la copropriété. Quand je suis arrivé, il n’y en avait qu’une. Aujourd’hui, on gère 112 immeubles et surtout, on en perd peu. 

Sur cette activité aussi, le numérique a des impacts. Depuis peu, un texte permet de faire maintenant des réunions par visio, mais ce n’est pas évident de gérer à la fois une salle et des écrans pour compter les voix. Ceux qui pondent les textes n’ont jamais tenu de réunion de copropriété…