« L’aviation, c’est très conservateur ; quand on innove, il faut aussi se battre pour montrer que l’innovation va dans le sens de la sécurité », pose d’emblée Raphaël Dinelli. Dans son atelier aux Sables-d’Olonne, l’ingénieur en matériaux composites spécialisé dans les énergies renouvelables prépare son nouvel objectif d’envergure : un tour du monde décarboné et sans escale. Une première mondiale destinée à mettre en avant les solutions alternatives aux modèles actuels du secteur.
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À cinquante-six ans, après avoir participé à quatre éditions du Vendée Globe et conçu l’avion électrique Eraole multi-hybridé aux énergies propres, Raphaël Dinelli n’en est pas à son coup d’essai. « J’ai passé dix à quinze ans à tester des systèmes d’énergie renouvelable, avec des brevets sur les panneaux solaires, sur les éoliennes. Et mon dernier tour du monde en 2008, avec parfois des taux de 100 % d’humidité et de fortes chaleurs, je l’ai réussi sans énergie fossile. »
« Démontrer que d’autres solutions peuvent faire évoluer le monde »
Mais après ces expériences réussies, Raphaël Dinelli souhaite encore se lancer une nouvelle mission : « Le graal du graal, le tour du monde non-stop, décarboné. » En 2020, l’ingénieur débute ses recherches par le concept technique. « J’ai commencé à dessiner, à mettre toute une équipe sur les rails, et j’y ai associé Daher, Safran, Airbus. »
Et une rencontre avec Bertrand Piccard scelle le début de cette aventure. L’explorateur suisse a déjà réalisé un tour du monde dans un avion solaire, Solar Impulse, en 2015 et 2016, avec le pilote André Borschberg. Aujourd’hui, il souhaite « démontrer que d’autres technosolutions peuvent faire évoluer le monde vers un avenir plus durable ».
Deux ans de construction avant les tests
Aux Sables-d’Olonne, la maquette de l’avion trône en plein milieu de l’immense hangar dans la zone d’activités. Avec son cockpit et ses 37 mètres d’envergure, l’ensemble permet d’imaginer la vie à bord de cet engin qui volera à 3 000 mètres d’altitude et jusqu’à 200 km/h. Des conditions de vie spartiates, avec l’impossibilité de rester debout.
Raphaël Dinelli a embarqué toutes ses équipes de 49Sud pour mener à bien Climate Impulse. Créé en 1997, et doté d’un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros en 2023, le bureau d’études est spécialisé dans la fabrication de démonstrateurs à énergies propres pour la mobilité et la construction.
Avec la conception et construction de cet avion, la dizaine d’ingénieurs et techniciens s’active depuis février 2024 dans une course contre-la-montre pour tenir les délais d’un départ prévu en 2028. Ailes, fuselage et cockpit seront construits en Vendée avant que les pièces ne soient transportées et assemblées à l’aéroport de Tarbes pour les tests en vol. « C’est un projet stimulant pour l’ensemble des équipes qui auront aussi en charge le programme d’essais en vol, l’encapsulation des cellules solaires et la sécurité », détaille Florence Baron, responsable de la communication et des partenariats. Actuellement composée de treize salariés, l’entreprise recrute et va vite s’étoffer pour atteindre une vingtaine de collaborateurs à la fin de l’année. Au total, ce sont une quarantaine de personnes mobilisées. « Il y a vingt salariés chez nos sous-traitants et partenaires, à temps plein chez Ariane Group, Airbus. Chez Green GT en Suisse, il y en a cinq. Ces derniers préparent les piles à combustible », poursuit-elle.
Un défi technologique
Si ce challenge inédit embarque les équipes, la priorité de Raphaël Dinelli reste la sécurité. La conception s’effectue autour de deux réservoirs d’hydrogène liquide maintenus à -253°C, qui alimentent des moteurs électriques par l’intermédiaire de piles à combustible. Ces deux réservoirs seront situés à l’arrière de l’appareil. « L’hydrogène liquide, c’est quand même assez explosif et délicat. Donc, on utilise un carburant liquide. On touche donc aux technologies utilisées par les engins spatiaux. »
Concernant l’investissement global, Florence Baron l’estime à 80 millions d’euros. Mais Raphaël Dinelli préfère évoquer le coût de construction de l’avion à 50 millions d’euros. « Je considère que le coût de l’avion, c’est quand on a la carte grise et donc le feu vert. Après, il faudra financer la communication et toute la logistique en 2027 et 2028. L’avion avec son laissez-passer officiel et la campagne d’essais coûte aussi assez cher parce qu’il y a toute une année de logistique et les pilotes d’essai. »
Du côté des partenaires, « il y a ceux qui apportent du cash et les techniques qui représentent 15 à 20 millions d’euros ». Avec la mise à disposition de produits, de matériaux ou de compétences. De son côté, Bertrand Piccard amène des sponsors, mais aussi son réseau, notamment Syensqo, partenaire scientifique.
« Nous serons un vrai démonstrateur »
Cet avion à hydrogène nouvelle génération est aussi un « démonstrateur » pour de nouvelles solutions. Surtout dans un secteur qui promet la neutralité carbone d’ici 2050 après un accord des représentants de 193 États réunis en 2022 à l’assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). « Nous n’affirmons pas que l’hydrogène est la solution idéale ou qui sera retenue, même si déjà de nombreux partenaires comme Airbus partent dans la même direction. Toutefois, nous serons les premiers à faire voler deux réservoirs de 14 m3 d’hydrogène liquide ; les mêmes volumes que dans les avions de ligne », conclut Raphaël Dinelli. Le futur de l’aviation s’écrit peut-être en Vendée.