Couverture du journal du 12/04/2024 Le nouveau magazine

La solitude du dirigeant : mythe ou réalité ?

La deuxième édition du salon Entreprendre en Vendée se tenait les 27 et 28 avril aux Essarts. Initié par La Fabrik 3.0, cet événement professionnel s’adresse aux porteurs de projets et aux chefs d’entreprise en quête d’inspiration et d’informations pratiques. L’occasion d’échanger sur des problématiques communes et de sortir du sentiment de solitude pouvant peser sur le dirigeant. Si ce dernier décide seul, l’isolement, en revanche, n’est pas une fatalité.

Aurélie Ripoche, La Fabrik 3.0

Aurélie Ripoche © La Fabrik 3.0

« J’ai ouvert l’espace de coworking La Fabrik 3.0 en 2018 pour lutter contre mon propre isolement, se souvient Aurélie Ripoche, la co-gérante du lieu. J’étais à mon compte depuis 2012 et en manque de contacts. Tout était pesant : la pause déjeuner devant mon ordinateur, la prospection, la capacité à déconnecter les soirs et week-ends sans craindre de manquer quelque chose d’important… ». Celle qui souhaitait “juste“ se faire un bureau pour y rencontrer d’autres professionnels s’est vite rendu compte que d’autres indépendants vivaient le même sentiment. « La Fabrik offre davantage qu’un simple espace de travail, c’est un lieu d’accompagnement à l’entrepreneuriat dans toutes ses dimensions », précise l’entrepreneure.

C’est encore en se basant sur sa propre expérience qu’elle crée, l’année dernière, les journées Entreprendre en Vendée. « À partir du moment où un projet commence à grossir, des murs se lèvent et les prises de décisions deviennent plus complexes, analyse-t-elle. Il est vital pour sa santé et celle de son entreprise de savoir s’entourer. » Et d’ajouter : « Les journées Entreprendre en Vendée servent à lever la tête du guidon. Elles répondent à des questions qui nous ont tous traversés à un moment de notre vie de chef d’entreprise. On ne va pas prendre les décisions à leur place, mais on leur offre un temps pour réfléchir, échanger, franchir un cap. »

À grand pouvoir, grande responsabilité !

Sophie Jolivet ©DR

C’est le cas de Sophie Jolivet, franchisée Raison Home depuis trois ans sur le Pays de Mortagne. Salariée dans un groupe de travail temporaire spécialisé dans le bâtiment pendant 12 ans, la néo-entrepreneure a d’abord intégré la holding sur un poste de manager avant de se lancer en solo. « J’ai expérimenté une forme de solitude à assumer des responsabilités difficiles sans être soutenue pour autant. Ce n’était pas ma boîte alors, quitte à assumer des choix complexes, autant qu’ils m’appartiennent totalement. » Elle poursuit : « J’ai quitté le groupe après avoir mené une réflexion autour de ma reconversion pendant la période Covid. La franchise Raison Home est venue à moi et j’ai décidé de me lancer. »

Trois ans après, la dirigeante trouve dans la méditation et les soins énergétiques un exutoire au sentiment d’isolement qu’il lui arrive encore de ressentir. « On a beau être accompagnés par des réseaux de professionnels et/ou d’experts, c’est bien évidement seuls qu’on prend les décisions, souligne-t-elle. Il faut l’accepter et faire avec. Personnellement, j’ai trouvé dans les rituels que je mets en place une soupape pour évacuer la pression. J’ai aussi investi récemment dans des bâtons de marche pour aller me reconnecter à la nature quand j’ai une décision importante à prendre. Partager, écouter l’expérience des autres, me fait aussi beaucoup de bien. La solitude est toujours là, mais elle n’est plus pesante. »

Les bénéfices de la solitude

Laurence Baudouin © O.S.E.R entreprendre avec assurance

Bénéfique la solitude ? C’est la thèse soutenue par la coach professionnelle Laurence Baudouin, intervenante sur le salon. « 45 % des dirigeants se sentent isolés, commence-t-elle, quand 85 % évoquent des difficultés à s’entourer. » (Enquête Bpifrance – novembre 2016, NDLR) Une solitude dont les symptômes se traduisent par un sentiment d’insécurité et une incapacité à faire appel aux autres. Le danger, outre l’isolement social, c’est que ce sentiment affecte les performances de l’entreprise, les relations professionnelles et personnelles, jusqu’à l’apparition de problèmes de santé. « La plupart des dirigeants entreprennent avec le cœur. Or, dans la solitude, le cœur a une place infiniment petite. Le mental, en revanche, est présent… Je dirais même qu’il galope ! » explique celle qui intervient bénévolement au sein de l’antenne 60 000 Rebonds de la Roche-sur-Yon, association qui aide les dirigeants à rebondir après une liquidation judiciaire. Elle précise : « Il ne faut pas croire que la liquidation intervient forcément à la suite d’une faute de gestion. Parfois, c’est le corps qui dit stop ! Je me souviens d’un entrepreneur venu témoigner de son échec. Il avait fait un premier infarctus et continué à travailler depuis son lit d’hôpital. Trois mois après sa sortie, un deuxième infarctus lui a fait comprendre qu’il n’avait plus le choix. Il ne pouvait plus diriger et a donc liquidé son entreprise. On lui a demandé pourquoi il n’avait pas vendu, puis pourquoi son comptable, par exemple, ne pouvait pas orchestrer la liquidation sa place. C’est là où le concept de solitude s’incarne totalement. Il était à l’hôpital dans un état nécessitant des soins intenses. C’était son entreprise, sa décision à lui seul ! Parfois, on peut s’alléger en déposant ce qui nous pèse auprès d’un tiers, mais on trace seul le chemin… Ceci dit, la solitude lui a été bénéfique, ajoute-t-elle. Parfois, la liquidation est là aussi pour nous réveiller. Elle a permis à cet entrepreneur de prendre du temps pour lui et de se mettre en position du moment présent. » Elle ajoute : « Les événements nous traversent pour nous faire prendre conscience qu’on est sortis de notre cadre de référence. La solitude permet de réajuster les priorités et d’évoluer. Depuis, cet entrepreneur est redevenu salarié, puis il a remonté d’autres boîtes. Autant la solitude est destructrice lorsqu’elle est subie, autant elle est bénéfique quand elle est choisie. Aucune émotion n’est négative en soi. La peur évite le danger, la colère permet de comprendre ses limites, la tristesse de laisser les choses qui ne nous appartiennent plus. Les partager avec un professionnel de l’accompagnement devraient faire partie de la vie d’un dirigeant car en grandissant, il fait grandir aussi son entreprise », conclut-elle.