Pouvez-vous résumer en quelques mots le concept de Célérifère ?
Notre entreprise, créée en 2019, a pour vocation de proposer une mobilité douce et écoresponsable, s’inscrivant dans le cadre de l’objectif de décarbonation que se sont fixées la France et l’Europe, à savoir d’arriver à deux tonnes de CO2 par an et par personne d’ici 2050. Notre idée est de proposer aux entreprises, aux collectivités ainsi qu’aux particuliers, un nouveau modèle économique basé sur l’économie bleue en produisant localement, avec des matériaux recyclés ou recyclables.
Quel a été votre parcours avant la création de votre entreprise ?
Je suis né à Fontenay-le-Comte, d’un père marocain et d’une mère vendéenne. Au cours de mes études, j’ai rencontré des difficultés à trouver des stages dans une ville marquée par plusieurs fermetures d’usines, SKF et la Samro notamment. Après un DUT de Génie mécanique, j’ai suivi des études d’ingénieur en alternance chez Valeo, avant de travailler pendant huit ans dans le développement de produits. J’y ai appris à connaître les matières. J’avais déjà en tête l’idée de concevoir un produit propre. Comme il me manquait des compétences business, j’ai souhaité faire une formation complémentaire qui m’a permis d’être embauché en tant qu’ingénieur commercial France Export dans la région angevine. J’ai attendu d’avoir plus de 20 ans d’expériences professionnelles dans l’automobile, le ferroviaire et l’industrie, avant de me lancer dans la création de mon entreprise. Depuis mai dernier, je me consacre à 100 % à Célérifère. C’était une nécessité vis-à-vis de mes investisseurs, mais aussi de mes collaborateurs.
Vous avez créé votre entreprise il y a quatre ans, mais l’idée a germé bien avant, précisément durant l’hiver 2011, à la suite d’un épisode personnel assez désagréable. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai toujours été habitué à prendre ma voiture en entreprise. Ce matin-là, alors que j’avais rendez-vous à Paris, j’ai donc pris mon véhicule de fonction. Sur le chemin, dans le secteur du Mans, il a commencé à neiger. En arrivant au péage de Saint-Arnoult, l’épisode neigeux s’est intensifié, entraînant un énorme bouchon sur l’autoroute. Je suis resté coincé pendant 13h, et suis arrivé seulement aux alentours de 23h à l’hôtel. Entretemps, j’avais dû prévenir mes clients. Ce jour-là, je me suis promis de ne plus jamais retourner sur Paris en voiture. Si j’avais pris le train, je serais aussi resté bloqué, mais au moins j’aurais été au chaud, et j’aurais pu continuer à travailler.
Vous avez donc pris le train la fois suivante ?
Oui, mais là encore, ça ne s’est pas passé comme prévu. Le train vous permet de vous rendre d’une gare à une autre. Ensuite, vous prenez les transports en commun ou bien un taxi. Et cette fois-ci, alors que j’avais rendez-vous en banlieue parisienne, je suis sorti du RER et me suis retrouvé en pleine campagne, avec aucun transport à disposition. J’ai alors dû marcher pendant une heure et demie sous le soleil, en costume avec ma petite valise. Je suis arrivé chez mon client, épuisé. À ce moment-là, je me suis dit que si j’avais été en possession d’un petit véhicule transportable, j’aurais pu facilement réaliser ces derniers kilomètres, sans effort et surtout j’aurais gagné du temps.
Qu’avez-vous fait ensuite ?
Je me suis mis à faire des recherches sur internet. Je suis tombé sur le site d’un magasin parisien qui proposait notamment des trottinettes électriques. J’en ai essayé une qui valait 1 500 € mais qui n’était vraiment pas au point. Nous étions en 2012. Ce n’est que trois ans plus tard que j’ai enfin trouvé une trottinette qui me convenait : un modèle léger, pliable, qui pouvait aussi bien rentrer dans un coffre qu’être emmené à bord des transports en commun. Cette trottinette me faisait gagner du temps, permettait à mon entreprise de faire des économies, et surtout je décarbonais mes déplacements en produisant 100 fois moins de CO2 qu’une voiture. Mais ce produit fabriqué en Asie n’était pas réparable. Je me suis alors demandé pourquoi il n’y avait encore aucun acteur français sur ce marché. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de me lancer dans la réalisation d’une trottinette électrique made in France et écoresponsable.
Par quoi avez-vous commencé ?
Entre 2015 et 2017, tout en restant salarié de la société DSO Développement, j’ai réalisé le cahier des charges de la trottinette électrique parfaite selon moi. Dans un premier temps, affolé par les bouchons et l’odeur nauséabonde aux abords de l’école de ma fille, je voulais pouvoir me servir de ce véhicule pour l’emmener chaque matin. J’ai alors imaginé un plateau large et des options afin de pouvoir installer un enfant à l’avant. Je voulais aussi que la trottinette soit pliable et dotée d’une batterie amovible, pour la recharger facilement à bord du TGV. En 2017, j’ai parlé de mon projet à mon employeur, Charles Barreau, devenu aujourd’hui mon associé. Il a fait part de son intérêt et m’a donné un coup de pouce pour réaliser un prototype. J’ai ainsi fait appel à des écoles, l’IUT de Nantes où je donne des cours, ou encore des écoles de commerces pour l’analyse du marché. Entre 2017 et 2019, j’ai ainsi créé un premier prototype.
En 2019, vous avez été confronté à une première difficulté, à savoir la crainte de l’interdiction de l’usage de la trottinette électrique dans certaines villes ?
Oui, à ce moment-là, les trottinettes en free-floating[1] (libre-service, NDLR) étaient en train de se développer, créant la confusion en raison de l’absence de réglementation concernant ce type de véhicules. On s’est alors demandé s’il était pertinent d’investir dans un produit qui pouvait être potentiellement interdit. En juin 2019, nous avons été reçus par un député vendéen qui nous a rassurés. Il nous a expliqué qu’il n’était pas question d’interdire, mais plutôt de réglementer l’usage de la trottinette électrique, estimant au passage qu’elle allait devenir indispensable pour participer à la décarbonation des mobilités.
Cette annonce vous a finalement conforté dans l’idée de lancer Célérifère.
Oui, un mois plus tard, nous avons en effet pu nous lancer dans la démarche de création d’entreprise. Après avoir obtenu un prêt du CIC Ouest et une aide du réseau Initiative Vendée, l’aventure a démarré avec l’embauche d’un apprenti pour la conception, le suivi et l’identification des fournisseurs. En 2021, les Villes de Vertou, de La Roche-sur-Yon et le groupe nantais Keran ont été les premiers clients à nous faire confiance sur des préséries, et à nous faire un retour d’utilisateurs, afin de nous permettre d’apporter des améliorations. Toutefois, on rencontrait encore des difficultés à positionner le produit. Cette année-là, alors que nous participions au salon Made in France, plusieurs personnes sont venues nous voir en nous disant que l’usage de la trottinette était dangereux. Le nombre d’accidents a en effet augmenté ces dernières années, mais il est important de signaler que dans le même temps, le nombre d’utilisateurs a explosé, passant de quasi zéro à 2,5 millions d’usagers aujourd’hui. Et comme pour tout véhicule, il faut d’abord apprendre à s’en servir, et respecter le code de la route. Ces accidents peuvent aussi être la conséquence de comportements imprudents de la part des autres usagers de la route. Il y a aussi dans notre pays un réel manque d’infrastructures pour les mobilités douces : pistes cyclables, voies vertes, etc.
Quelles sont les caractéristiques de votre trottinette électrique que vous commercialisez depuis janvier 2021 ?
Notre trottinette est un mélange de trois produits : le vélo, le skateboard et la trottinette. Au départ, on voulait lui donner un autre nom. Avec l’arrivée du free-floating, la catégorie EDPM (engin de déplacement personnel motorisé) est d’ailleurs apparue dans le code de la route fin 2019[1]. Elle regroupe tous les petits véhicules électriques roulant à moins de 25 km/h. Nous sommes finalement restés sur le terme »trottinette » qui est immédiatement identifiable, et plus simple pour le référencement internet. Avec notre trottinette baptisée IMI, qui signifie »bon sens » en japonais, nous avons cherché à proposer un produit premium et différenciant. Fabriquée localement – la plupart de nos fournisseurs sont situés dans le grand Ouest -, elle est réparable et recyclable. La planche est faite à partir de bois des Vosges, issu de forêts éco-gérées. Le métal utilisé (aluminium et acier) est recyclable à 99 %. Nous fabriquons des pièces en impression 3D, avec du plastique recyclé. Pour les poignées, nous récupérons des chutes de cuir chez nos fournisseurs. On intègre également des équipements qu’on achète en local : les éclairages ou encore les freins. Seuls les cellules de la batterie et les composants électroniques, introuvables en France, viennent d’Asie. Il faut accepter que notre produit ne soit pas parfait. Notre objectif est d’avancer pas à pas, d’essayer de donner une impulsion et montrer qu’il est possible de relocaliser et réindustraliser.
En décembre 2021, vous avez obtenu le label Ruptur. Pouvez-vous nous rappeler de quoi il s’agit ?
L’association Ruptur fondée par Charles Barreau en 2018 s’inspire des neuf piliers de l’économie bleue qui sont aujourd’hui le socle de notre entreprise. Avec Charles, nous sommes partis d’une feuille blanche avec, en tête, l’idée de créer une trottinette propre, un produit qui était jusqu’à présent complètement dans l’économie rouge. Production locale, collaboration avec l’ESS ou encore revalorisation font partie des fondements que nous avons mis en œuvre. Il y a aussi dans ce label la notion de transmission. Dans le cadre des cours sur l’économie bleue que je dispense à l’IUT de Nantes, j’explique comment nous avons réussi à mettre en place un modèle économique vertueux avec la création de Célérifère.
Depuis cette année, en plus de la trottinette, vous proposez d’autres produits, des vélos électriques ainsi qu’un kit d’électrification. Pourquoi avez-vous décidé de vous diversifier ?
Après la commercialisation de la trottinette, nous avions déjà proposé en plus un service de maintenance ou encore de la location longue durée (LLD). Mais ce n’était pas suffisant. À la demande de nos clients, entreprises et collectivités, nous avons décidé d’étoffer notre offre en proposant des vélos. Toujours dans la logique des fondements de Ruptur, nous avons mis en place une filière de récupération des cadres mis au rebut dans les déchetteries, afin de proposer des vélos électriques reconditionnés. Le démontage est effectué par des personnes en insertion. Nous nous chargeons ensuite de remettre les cadres en état et de les équiper d’une batterie démontable de la forme d’une gourde, identique à celle présente sur nos trottinettes. L’idée de proposer un kit d’électrification découle quant à elle d’une réflexion menée après ma participation à La Cabine, programme d’accélération de start-up porté par la CCI Vendée. Dès le départ, nous avions choisi de privilégier le BtoB. Mais face à une certaine lenteur dans les prises de décision concernant les sujets de mobilité, il nous est apparu comme une nécessité de nous adresser aussi aux particuliers, qui sont potentiellement des salariés, et donc des ambassadeurs pouvant nous faire connaître auprès de leur entreprise. En mai dernier, nous avons ainsi lancé notre site internet et cherché un nouveau bâtiment pour augmenter notre capacité de stockage, alors que nous étions à l’étroit dans notre local de 40 m² à Dompierre-sur-Yon. Depuis le 1er septembre, nous sommes installés ici, à Montaigu, dans un atelier de 250 m² que nous louons. Notre stratégie a été payante, puisqu’après une opération portes ouvertes au grand public les 8 et 9 septembre, nous avons vendu plus que lors des six premiers mois de l’année. Mais aujourd’hui, nous avons besoin d’acheter des pièces détachées pour la fabrication de nos produits.
C’est la raison pour laquelle vous venez de lancer une levée de fonds ?
L’an dernier, nous avions déjà obtenu 200 k€ pour le lancement de notre projet de vélo reconditionné. Et désormais, il nous faudrait entre 250 k€ et 500 k€ pour commander des pièces, faire du stock et développer notre partie commerciale. Nous souhaitons mettre en place un réseau de distributeurs partageant nos valeurs, qui seront nos relais partout en France, en particulier pour le montage du kit d’électrification.
Quels sont vos objectifs de croissance ?
Après avoir lancé deux nouveaux produits, inauguré notre bâtiment, nous tablons sur un chiffre d’affaires de 200 k€ cette année avec la commercialisation de 100 à 150 produits (trottinettes, vélos, kits). L’idée, c’est d’en fabriquer au moins 300 en 2024, et ensuite de doubler chaque année, pour arriver à notre vitesse de croisière avec la réalisation de 1 000 à 1 500 produits par an.
Envisagez-vous des recrutements ?
Oui, si nous atteignons ces objectifs, nous allons devoir recruter et probablement déménager, même si nous avons encore la possibilité de nous étendre sur 500 m² supplémentaires. Pour l’heure, nous avons déjà une politique de sous-traitance avec des acteurs de l’ESS : Trait d’Union, Apysa, APF, qui mettent à disposition des moyens de fabrication. En tant que startupper, j’ai réussi à m’entourer d’experts qui m’accompagnent dans chaque domaine. L’idée sera à l’avenir de compléter cette équipe pluridisciplinaire que nous avons réussi à constituer.
EN CHIFFRES
2019 : création de Célérifère
2021 : commercialisation de la trottinette électrique
2023 : lancement du vélo électrique reconditionné et du kit d’électrification
200 k€ : Objectif de CA pour 2023
4 collaborateurs
[1] Le développement des trottinettes en libre-service, visant à compléter l’offre de transports dans les grandes villes a débuté en 2018, avec notamment l’apparition de l’opérateur américain Lime à Paris.
[2] Depuis le 25 octobre 2019, le code de la route reconnait les EDPM comme une nouvelle catégorie de véhicules et en définit le statut. La création d’une réglementation vise à lutter contre les comportements dangereux et à promouvoir un usage responsable.