En septembre dernier, Griffon Marine a inauguré un deuxième site à Saint-Laurent-sur-Sèvre pour accompagner sa croissance. Difficile d’imaginer qu’il y a huit ans, la société était au bord de la faillite. Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée à la tête de Griffon Marine ?
Mon histoire avec l’entreprise a véritablement démarré le 13 novembre 2016, jour de sa reprise à la barre du tribunal par Grand Large Yachting. Le groupe, fondé par Xavier Desmarest et Stéphan Constance, m’avait recruté six mois plus tôt en CDD en tant que chargé de projet en vue du rachat de l’entreprise Griffon Technologies, la branche nautisme de la société Griffon Meuble.
Ce matin-là, j’étais présent dans les locaux du site historique à Chambretaud, aux côtés des sept salariés de l’entreprise. Nous étions tous assis au milieu de l’atelier, et attendions fébrilement un coup de téléphone. J’avais acheté une bouteille de champagne et de quoi manger, en prévision d’une bonne nouvelle. Quand la direction du groupe m’a finalement appelé, cela a été un soulagement pour tout le monde. Les salariés conservaient leur emploi, et moi je prenais de facto la direction de l’entreprise rebaptisée Griffon Marine. Ensemble, nous allions nous retrousser les manches pour tourner la page et écrire un nouveau chapitre.
Lire aussi
Révolution digitale et proximité : la vision d’avenir de Cocerto
Quel a été votre parcours avant de prendre les rênes de l’entreprise ?
Après un bac électronique, j’ai obtenu un BTS en gestion de production industrielle, puis une licence avec une spécialisation dans les métiers du bois. Je suis issu d’une lignée d’artisans menuisiers. Mon arrière-grand-père avait fondé sa menuiserie qui a été reprise par mon grand-père puis par mon père. J’ai démarré ma carrière professionnelle en effectuant mon stage de fin d’études chez Beneteau au Poiré-sur-Vie, avant d’être embauché en tant que magasinier lors de l’ouverture en 2005 de son usine de Cholet. J’ai progressivement gravi les échelons en prenant en charge notamment la partie fabrication de pièces en bois. En pleine crise du nautisme en 2009, j’ai choisi de rejoindre la direction des systèmes d’information à Dompierre-sur-Yon.
Deux ans plus tard, mon besoin de retrouver le terrain m’a conduit à intégrer l’usine Jeanneau des Herbiers où j’ai participé au déploiement de la démarche de Lean Manufacturing et à l’ouverture d’un nouvel atelier. Après une douzaine d’années, j’ai souhaité quitter le navire avec l’envie d’un nouveau challenge. J’ai travaillé durant quelques mois dans une entreprise de métallerie, avant d’être contacté par un ancien collègue de Beneteau qui venait de prendre la direction d’Alumarine, filiale de Grand Large Yachting. Il m’a alors expliqué que le groupe souhaitait poursuivre son développement avec la reprise de l’un de ses sous-traitants, Griffon Technologies. Il avait pour objectif d’internaliser la fabrication des aménagements intérieurs de ses bateaux, comme le faisaient déjà à l’époque Beneteau ou encore le groupe charentais Fountaine-Pajot.
Par quoi avez-vous commencé après la validation de la reprise de l’entreprise ?
Il a fallu repartir de zéro. En difficulté, l’entreprise ne recevait plus de commandes. Désormais, elle avait l’assurance de faire monter son chiffre d’affaires grâce à l’activité du groupe repreneur qui développait un nouveau bateau, l’Allures 45.9. Mais, il fallait reconstruire l’outil industriel. L’atelier de 3 000 m² n’était plus aux normes et les conditions de travail étaient déplorables. J’ai fait venir la Carsat pour être accompagné financièrement dans les travaux de remise en état. Il fallait refaire la tuyauterie, l’électricité, créer un système d’aspiration ou encore acheter de nouvelles machines. En parallèle, j’ai créé le document unique de l’entreprise, mis en place un logiciel ERP, tout en déchargeant les camions, en tant que seul cariste de l’équipe à l’époque. Dans les premiers mois, j’étais quasiment sur tous les fronts. C’était à la fois fastidieux et stimulant. J’ai bénéficié d’un accompagnement du groupe pour la partie administrative, mais contraint de gérer seul une grande partie de l’opérationnel. Les salariés se sont chargés de nettoyer et de réaménager progressivement les locaux. Nous avons, par exemple, créé des cabines à vernis.
Il fallait reconstruire l’outil industriel. L’atelier de 3 000 m² n’était plus aux normes et les conditions de travail étaient déplorables.
Est-ce que vous vous attendiez à un tel chantier ?
Ayant rejoint le groupe Grand Large Yachting six mois auparavant, j’avais déjà un aperçu du site et imaginé son potentiel. Je savais qu’il y avait beaucoup à faire avant de démarrer l’activité. Le plus difficile a été de convaincre les directeurs généraux des autres filiales du groupe de travailler avec nous. Je me souviens notamment de la défiance du patron du chantier Allures Yachting à Cherbourg. Il craignait que nous ne puissions pas répondre qualitativement à son cahier des charges faute de structure et de matériel adapté.
Quand avez-vous finalement livré votre première commande ?
Au bout de trois mois, nous étions contents d’avoir relancé l’activité. Mais notre satisfaction a été rapidement douchée par l’appel du dirigeant d’Allures nous disant qu’il refusait tout. Je me suis rendu à Cherbourg pour voir ce qui n’allait pas. Il y avait des problèmes sur les collages et les vernis. Il a fallu tout recommencer.
Après cet épisode, avez-vous proposé des formations à votre équipe et cherché à recruter ?
À l’époque, c’était compliqué de donner envie de nous rejoindre dans des locaux vétustes. Nos salariés connaissaient bien leur métier et avaient surtout besoin d’en savoir plus sur le niveau d’exigence attendu. Et il était difficile d’obtenir des directives claires. J’ai alors proposé des améliorations techniques et essayé de simplifier la fabrication. Je suis allé à la rencontre des différents chantiers navals pour obtenir des informations techniques et définir un cahier des charges précis. Progressivement, nous avons réussi à gravir les échelons de compétences tout en poursuivant la réorganisation des espaces de travail et en recrutant. Mon parcours au sein de différents services de Beneteau m’a été d’une grande utilité. Malgré les difficultés, je savais, dès le départ, où aller dans le processus industriel.
Quels types de produits fabriquez-vous aujourd’hui ?
Nous réalisons des meubles haut de gamme sur mesure en contreplaqué et en bois massif pour équiper l’intérieur des bateaux de plaisance : cuisines, placards, banquettes, couchettes, salles de bains… Le bois est issu d’essences particulières, pas de peuplier ni de bouleau par exemple qui ne sont pas adaptés à l’environnement marin. Tous nos meubles sont collés et non pas vissés parce que ça bouge beaucoup à bord d’un bateau. Nos vernis doivent également résister à l’humidité et au sel.
Quel est votre modèle économique ?
Les marques de Grand Large Yachting (Allures, Garcia Yachts, Outremer, Gun Boat, RM) représentent 60 % de notre chiffre d’affaires. Le reste correspond aux commandes de la part d’autres chantiers navals. Bien que faisant partie d’un groupe, nous fonctionnons comme une PME indépendante et avons notre propre stratégie commerciale. Grand Large Yachting nous fait travailler tout en continuant de faire appel à ses partenaires historiques. Nous sommes donc toujours mis en concurrence et cela nous oblige, en permanence, à nous remettre en question et à mener une démarche d’amélioration continue.
Comment réussissez-vous à tirer votre épingle du jeu ?
Notre force est de nous être spécialisés dans le nautisme tandis que pour la plupart des agenceurs, l’aménagement nautique reste un complément. Notre outil industriel a été conçu pour produire uniquement des aménagements intérieurs de bateaux. Les espaces ont été pensés afin d’optimiser le flux de travail pour la fabrication de ce type de produits. Nous pouvons ainsi répondre rapidement aux demandes de nos clients, en leur apportant une expertise et un savoir-faire spécifique.
Ne pensez-vous pas qu’il y a un risque dans la spécialisation, dans un contexte tendu pour le secteur du nautisme ?
Nous sommes spécialisés, mais nous travaillons pour plusieurs marques qui fabriquent des produits différents, à savoir des catamarans et des monocoques en aluminium. Si le marché du catamaran se porte moins bien, nous pouvons miser sur celui du monocoque, et inversement. Et quand le secteur du nautisme souffre, ce sont les gros acteurs qui souffrent le plus. Les marques du groupe fabriquent en moyenne douze ou treize bateaux à l’année dont le prix oscille entre un million et quatre millions d’euros l’unité. Si ces marques perdent un client, en règle générale, elles sont en mesure d’en retrouver un autre assez facilement. Il est vrai que nous connaissons un léger creux actuellement avec en prévision une baisse de 10 % de notre chiffre d’affaires cette année après la perte d’un gros client. Mais nous ne sommes pas inquiets parce que le grand Ouest dispose d’un maillage étendu de chantiers navals de toutes tailles, avec la perspective de décrocher de nouveaux contrats.
La semaine de quatre jours fait partie des outils qui améliorent la qualité de vie au travail et la performance.
À l’automne 2022, l’entreprise a fait parler d’elle en passant à la semaine de quatre jours. Pouvez-vous rappeler les raisons pour lesquelles vous avez décidé de mettre en place ce dispositif ?
Ce changement important ne s’est pas fait sur un coup de tête et résulte d’une concertation avec l’ensemble des équipes. Souvenez-vous, à la rentrée 2022, les prix de l’énergie avaient flambé, mettant en difficulté de nombreuses entreprises. Notre facture annuelle avait ainsi été multipliée par quatre, passant de cinquante mille à deux cent mille euros. Élisabeth Borne, alors Première ministre, incitait les entreprises à faire des économies d’énergie pour éviter que certaines régions ne se retrouvent sans électricité durant l’hiver. Notre activité est très énergivore avec les machines, les lumières et surtout le système d’aspiration. Alors en pleine croissance, nous craignions de ne plus pouvoir satisfaire nos commandes. L’idée de passer à la semaine de quatre jours est arrivée à ce moment-là. Cette mesure permettait de répondre à la fois à des enjeux économiques et écologiques et d’aller encore plus loin dans la politique RSE du groupe, en accord avec l’image de la voile qui est un mode de déplacement doux.
Comment avez-vous procédé ?
J’ai convoqué l’ensemble de mes équipes pour leur proposer l’idée. À ce moment-là, notre semaine de travail s’étalait sur quatre jours et demi, du lundi matin au vendredi midi. Le vendredi était réservé aux livraisons que nous pouvions décaler au lundi. Il fallait ensuite réfléchir à l’organisation du temps de travail de nos salariés, certains ayant un contrat de 35 heures et d’autres de 40. Il n’était pas envisageable de supprimer des heures de travail, d’autant plus dans un contexte inflationniste, et il fallait aussi dans le même temps, convaincre de mettre en place des journées de dix heures.
Chacun a pesé le pour et le contre. Les salariés parents ont fait remarquer qu’ils allaient devoir augmenter le nombre d’heures d’inscriptions à l’accueil périscolaire, mais se réjouissaient à l’idée de pouvoir emmener leurs enfants à l’école le vendredi matin. Autre avantage de la semaine des quatre jours, la suppression d’un aller-retour avec la réduction de 20 % des trajets mensuels, et à la clé, des économies de carburant et la réduction non négligeable de l’impact environnemental. Après deux semaines de réflexion, chaque salarié a été invité à choisir entre trois formules, la semaine de 35 heures, de 38 ou de 40, et à déterminer l’heure d’embauche et le temps de pause. Nous avons installé une pointeuse et lancé une expérimentation de trois mois avant de pérenniser le dispositif.
Quel bilan en tirez-vous, un an et demi après la mise en œuvre ?
En communiquant sur ce changement, nous avons bénéficié d’une belle visibilité. J’ai été contacté par une soixantaine d’entreprises et je suis intervenu lors de conférences et webinaires notamment. J’ai également reçu un certain nombre de candidatures spontanées. Étant implanté dans un secteur où le taux de chômage est particulièrement bas, ce type d’initiative est forcément facteur d’attractivité. En parallèle, nous avons réussi à faire baisser la facture énergétique annuelle d’environ trente-cinq mille euros. Nous avons reçu aussi quelques critiques, certains évoquaient un risque accru d’accidents. Nous restons bien évidemment vigilants sur ce sujet. Étant responsable de la sécurité de mes salariés, j’ai notamment été contraint de demander à l’une de mes employées qui était à 40 heures de travail hebdomadaire, de baisser son volume d’heures, parce qu’elle rencontrait des difficultés à tenir la cadence.
Se lancer dans une telle démarche n’a pas été simple, mais globalement le bilan est très positif. Le projet a été hyperconstructif et a renforcé la cohésion au sein de nos équipes, parce que tout le monde a joué le jeu. Nous avons constaté moins d’absentéisme et une meilleure productivité. Les pauses sont en effet moins longues et lors des réunions, nous allons à l’essentiel !
Pensez-vous que la semaine de quatre jours puisse être généralisée ?
Non. Je pense que pour un certain nombre de secteurs d’activité tels que celui des services ou encore l’industrie agroalimentaire, le dispositif est difficile voire impossible à mettre en place. La semaine de quatre jours fait partie des outils qui améliorent la qualité de vie au travail et la performance des entreprises. Mais il existe un panel de solutions. C’est à chaque entreprise de choisir celle qui lui convient. La société a changé et il est important que le monde de l’entreprise accompagne ce changement en faisant évoluer l’ancien modèle de production. J’entends parfois des dirigeants se plaindre en affirmant que les gens ne veulent plus travailler parce qu’ils n’arrivent pas à recruter ou voient des salariés les quitter. J’estime qu’ils ont leur part de responsabilité parce qu’en réalité, beaucoup de gens aiment leur métier, ont envie de se lever le matin pour aller travailler, mais ils manquent de reconnaissance. Cette considération passe bien sûr par le salaire, mais aussi par l’envie de trouver du sens. Depuis mon arrivée à la tête de la société, j’essaie d’être au maximum à l’écoute de mes salariés et de construire avec eux un véritable projet d’entreprise. En tant que dirigeant, je trouve génial d’innover en embarquant l’ensemble de mes équipes pour que Griffon Marine continue de grandir.
En Chiffres
1848 Création de Griffon Meuble
2016 Rachat par le groupe normand Grand Large Yachting
5 300 m² sur deux sites, Chambretaud (3 000 m²) et Saint-Laurent-sur-Sèvre (2 300 m²)
60 salariés
6,9 millions d’euros de CA en 2023