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ENTRETIEN – Daniel Robin et Benoît Hennaut, dirigeants d’Herige : « Une croissance profitable et durable »

Fabricant et négociant en fournitures et matériaux pour le bâtiment, le groupe vendéen Herige est une société familiale centenaire, régie par un double système de gouvernance. Daniel Robin, représentant de la troisième génération, est le président du conseil de surveillance. Benoît Hennaut est le président du directoire. Depuis 2021, Herige a structuré sa stratégie de développement autour d’une politique RSE volontariste.

Daniel Robin, Benoit Hennaut, Herige

Daniel Robin, Président du conseil de surveillance et Benoit Hennaut, Président du directoire d'Herige - ©Benjamin Lachenal

Quelle est l’histoire du groupe Herige ?

Daniel Robin : Le groupe Herige, connu avant 2015 sous le nom de Vendée Matériaux, a vu le jour en 1907 à L’Herbergement, en Vendée. Au début, l’entreprise vendait des fournitures agricoles avant de se lancer dans la construction avec une première usine de parpaings. Mais c’est après la seconde guerre mondiale, avec la période de reconstruction, que l’activité a vraiment éclos. En 1955, mon grand-père, qui avait deux filles, transmet l’entreprise familiale à ses deux gendres : Hubert Robin, mon père, et Martial Caillaud. Cette deuxième génération va favoriser la croissance du groupe via le rachat d’activités de négoce. En 1962, Baudry et Matériaux devient Vendée Matériaux puis VM Matériaux à la fin des années 80 pour préparer l’entrée en bourse en 1990. Vendée Matériaux n’était en effet pas un nom très exportable. L’entreprise accélère son développement dans la menuiserie industrielle et le béton prêt à l’emploi. Aujourd’hui, le groupe Herige se compose de ces trois activités bien distinctes : le négoce de matériaux de construction (VM Matériaux), l’activité la plus importante, Atlantem (menuiserie industrielle), et Edycem (le béton prêt à l’emploi).

Quel est votre parcours pour arriver à vos fonctions respectives ?

Benoît Hennaut : J’ai une formation d’ingénieur nucléaire. J’ai travaillé dans le domaine du bâtiment et de la construction en démarrant ma carrière au sein du groupe familial italien Ariston Thermo Group, en Italie, en Belgique et en France. J’ai ensuite rejoint le groupe Lafarge en Allemagne, puis en Malaisie, avant de revenir dans l’Hexagone prendre la direction de la filiale française. J’ai poursuivi ma carrière dans les métiers de la plasturgie chez Aliaxis, leader mondial en tuyauterie industrielle et systèmes de transport de fluides, où je me suis occupé de l’Europe de l’Ouest. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’occasion de rencontrer le groupe Herige. Le sens donné à l’entreprise et les attentes des actionnaires, leur vision d’entreprise pragmatique et agile m’ont donné envie de relever le défi. J’ai rejoint le groupe en juillet 2020 pour prendre officiellement la présidence du directoire [1] en septembre, succédant ainsi à Alain Marion.

DR : Je suis entré dans le groupe en 1978 et j’y ai effectué toute ma carrière. J’ai commencé en tant que chargé des ressources humaines. Huit ans plus tard, avec mon père, nous avons eu l’opportunité de racheter l’activité béton. J’ai ainsi pris la direction générale de Vendée Béton, devenue VM Béton, puis Edycem en 2016. J’ai pris ma retraite en 2017 et suis devenu Président du conseil de surveillance en 2019 [2].

Depuis 25 ans, la gouvernance du groupe s’articule autour d’un directoire et d’un conseil de surveillance. Pourquoi ce choix ?

DR : Jusqu’en 1997, nous avions une gouvernance familiale. À la suite du décès de mon cousin Jean-François Caillaud qui dirigeait alors VM Matériaux, nous nous sommes interrogés sur la façon dont nous allions organiser le groupe car personne n’avait la compétence ou le souhait de prendre la présidence. C’est pour cette raison que nous avons opté pour un directoire et un conseil de surveillance. Celui-ci dispose de trois comités spécialisés : audit et risques, rémunérations et nominations, RSE. Le directoire pilote la stratégie définie par le conseil de surveillance. Ce système de gouvernance a un double intérêt. Il nous permet de faire appel à un manager averti et expérimenté, tout en continuant à avoir un œil sur le management du groupe.

Comment fonctionne cette double gouvernance ?

BH : C’est une gouvernance qui fonctionne bien parce qu’il y a à la fois une vraie responsabilité opérationnelle des trois directeurs généraux, ainsi qu’une implication forte des actionnaires familiaux et des administrateurs extérieurs, que ce soit au sein du conseil du surveillance ou d’autres instances du groupe.

DR : Précisons que ces administrateurs extérieurs sont des chefs d’entreprise ou cadres supérieurs. Grâce à leurs expertises sur des sujets majeurs comme la RSE, la bourse, la transformation de l’entreprise en lien avec les marchés financiers, ils peuvent nous donner des conseils éclairés, sans l’affect que nous, la famille, avons pour Herige, nous aidant ainsi à mieux arbitrer nos décisions.

 

Edycem, l’activité béton du groupe Herige – ©Groupe Herige

BH : En complément et de manière consultative, le conseil de surveillance dispose d’un comité stratégique pour chacune de ces trois branches (VM, Atlantem, Edycem). Ces organes de conseil sont des émanations du conseil de surveillance. Ils étudient les grandes orientations et s’assurent de la cohérence des choix stratégiques avec les résultats attendus et les équilibres financiers. Ils sont composés de référents familiaux et, là aussi, d’administrateurs extérieurs.

DR : Au sein des trois branches d’activités, il y a des comités RSE, audit et rémunération. Cette organisation nous permet de multiplier l’implication des membres familiaux au sein du groupe et de les intéresser à la vie d’Herige. Nous sommes aujourd’hui une cinquantaine d’actionnaires familiaux dont une trentaine d’actifs.

BH : En résumé, en tant que président du directoire, je m’appuie sur les grandes orientations fixées par le conseil de surveillance qui lui-même s’appuie sur le retour des comités stratégiques pour les sujets métiers et des comités audit, rémunération et RSE pour les sujets régaliens, à savoir les sujets transverses au groupe et pilotés par la holding. À partir de cette base-là, nous mettons en place les plans d’actions pour atteindre nos objectifs. C’est une gouvernance agile et efficace avec des échanges fluides et réactifs.

Il n’y a donc que des atouts à cette double gouvernance ?

DR : Oui, je le pense. Quand nous avons recruté Benoît, nous ne lui avons jamais caché notre souhait qu’un jour il y ait des actionnaires familiaux à des postes de direction générale, ou autre. Dans cette optique, nous avons rédigé il y a deux ans une charte sur notre vision de groupe, avec un volet « gouvernance » et un volet « RH », où nous avons formalisé le cheminement que doit suivre un futur jeune actionnaire familial qui voudrait entrer dans le groupe.

À l’automne 2021, vous avez lancé l’Herige Académie. Dans quel but ?

BH : Compte tenu des multiples transformations rencontrées par le secteur de la construction (numérique, environnementale…) actuellement, il nous a alors semblé opportun d’aller plus loin pour permettre à l’ensemble des salariés de développer leurs compétences techniques ou sur des sujets majeurs comme la RSE. Ce programme annuel se compose de modules, ouverts aux actionnaires familiaux. Les formations ont lieu à Audencia, au siège ou dans les différents sites du groupe.

Quel lien entretenez-vous avec la Chaire Audencia « Entrepreneuriat familial et société » ?

DR : Cette chaire a été créée en 2013 par le Medef Vendée, la Région Pays de la Loire, Audencia et des entreprises mécènes comme Fleury Michon. Nous ne sommes pas directement partie prenante. Sa vocation est de contribuer à une meilleure connaissance des entreprises familiales régionales, nationales et internationales. Miruna Radu-Lefebvre, titulaire et fondatrice de cette chaire, est d’ailleurs intervenue lors de notre séminaire familial annuel en octobre dernier pour expliquer à nos jeunes actionnaires comment ils pouvaient se situer par rapport à leur envie de rejoindre le groupe et les rassurer sur leur légitimité.

Le club « Génération Herige » permet-il justement à la jeune génération de s’impliquer dans l’avenir du groupe ?

DR : Ce club est né en 2005 de la volonté des actionnaires familiaux de pérenniser leur implication dans le groupe. Il a pour vocation d’entretenir un ciment familial et un attachement fort à l’entreprise.

Il favorise les rencontres entre dirigeants, actionnaires familiaux et leurs enfants afin de développer leur connaissance de l’entreprise, s’enrichir des valeurs familiales et préparer la nouvelle génération à ses futures responsabilités.

Herige, salariés

Une partie des 2500 salariés du groupe Herige lors de la dernière convention – ©Groupe Herige

En 2021, le groupe s’est engagé dans une politique RSE volontariste. Pourquoi ?

BH : Cette politique s’inscrit dans le cadre du plan de transformation 2020-2025 de l’entreprise. Elle concilie trois facteurs clés : un engagement environnemental, un équilibre social et un développement économique sur le long terme. Un premier travail important avait déjà été fait avant mon arrivée. Nous l’avons structuré pour que la RSE devienne l’élément ombrelle de la stratégie du groupe. En résumé, notre ambition RSE est celle d’une croissance profitable et durable. Nous anticipons ainsi un véritable tsunami environnemental, à la fois excessivement vertueux et contraignant pour les entreprises à l’image de la RE2020 qui impose une réduction de l’empreinte carbone des bâtiments neufs en 2030 de 30 %. Sur ce point, nous sommes déjà prêts et c’est une vraie fierté.

Quelle est votre méthode ?

BH : En partenariat avec WWF, nous avons commencé par évaluer l’impact d’Herige sur le réchauffement climatique puis nous avons déterminé ensemble la trajectoire à suivre pour réduire cet impact carbone. Ensuite, nous avons décliné cette analyse activité par activité. Sous l’égide de notre direction RSE, chaque directeur de branche a travaillé sur des actions concrètes pour mesurer et réduire l’impact carbone de son domaine d’activité. Nous avons ensuite compilé ces informations pour avoir une évaluation précise de notre impact carbone à l’horizon 2030, en identifiant toute une série d’actions concrètes à mettre en place. Ainsi, pour la première fois en 2022, nous avons élaboré un budget extra-financier, comprenant d’un côté la réduction chiffrée de notre empreinte carbone, et de l’autre, la liste des initiatives concrètes pour répondre à cet objectif. Par exemple, utiliser des camions-toupie à moteur électrique, privilégier progressivement l’éclairage Led moins gourmand en énergie, ou encore diminuer le volume des produits carbonés à base de ciment classique en les remplaçant par d’autres liants moins polluants faits à partir d’argile. Pour s’engager dans une telle voie, il faut avoir une forte capacité d’innovation.

DR : Dès 2002, nous nous sommes associés avec l’École centrale de Nantes pour créer une chaire béton. Via le crédit impôt recherche, nous finançons un groupe de doctorants qui développe pour nous des produits innovants comme le béton décarboné qui présente les mêmes caractéristiques (résistance, durabilité) qu’un béton classique.

La fresque du climat est-elle un outil de sensibilisation que vous utilisez ?

BH : Oui, bien sûr. Elle permet une prise de conscience concrète en trois heures de la catastrophe annoncée si l’on ne prend pas des mesures fortes et immédiates pour réduire notre impact sur l’environnement. Nous sommes convaincus que cette action peut libérer d’autres initiatives RSE.

Où en êtes-vous dans vos engagements RSE ?

BH : Nous privilégions dès que possible les emprunts verts. L’an dernier, pour la première fois, 50 % de nos prêts étaient des prêts à impact. Leur taux d’intérêt bonifié est conditionné à un certain nombre d’objectifs RSE, variables selon les banques, comme la sécurité, la mixité sociale, la parité homme/femme, la réduction de nos gaz à effet de serre…

Nous sommes également engagés en faveur de l’économie circulaire. Nous sommes ainsi actionnaires de l’éco-organisme Valobat et de Menrec, une société qui récupère les châssis de fenêtre en fin de vie et les recycle. En mai dernier, nous avons aussi fait l’acquisition, en région Aquitaine, d’Audoin et Fils Béton. L’une de leurs activités consiste à récupérer, nettoyer et concasser les granulats issus de la déconstruction pour les réutiliser dans des bétons futurs. À partir du 1er janvier 2023, la Responsabilité élargie du producteur (REP) bâtiment impose la collecte, le recyclage et la réutilisation de tous les déchets du bâtiment à la charge des metteurs sur le marché. Nous allons donc travailler à la mise en place de ces dispositifs d’économie circulaire pour nos activités béton et menuiserie.

Comment suivez-vous ces objectifs ?

B.H : Notre comité RSE émanant du conseil de surveillance se réunit tous les trois mois pour examiner les engagements pris et la mise en œuvre des politiques et de leurs résultats. Parallèlement, au sein du Codir, nous formons l’ensemble des membres aux enjeux RSE et 30 % de la rémunération variable des cadres dirigeants est indexée sur des objectifs RSE. Quant à notre direction RSE groupe, elle coordonne la politique RSE décidée par la gouvernance et veille à la faire aligner dans chaque branche en lien avec les comités RSE. À cela s’ajoute Graines d’impact, un collectif ouvert à toutes les initiatives des collaborateurs. Chaque mois, ils reçoivent une newsletter pour les informer sur les actions en cours et, surtout, leur donner envie d’agir avec des défis solidaires à relever.

[1] Mandat de quatre ans.

[2] Mandat de trois ans.