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Sur le littoral, la filière numérique fend l’armure

Pas si facile de prendre le large pour la filière numérique nazairienne sur son propre territoire. Mais pas question de rester à quai pour les TPE-PME et indépendants d’une filière qui reste encore secondaire au cœur d’un bassin historiquement industriel. Un état des lieux chiffré du secteur, établi par les services de la Carene, a nourri la réflexion des acteurs de la filière, passage obligé des entreprises aujourd’hui pour s’implanter solidement.

Thibault Chevalier Carene Filière numérique

Thibault Chevalier, chargé de mission filière numérique à La Carene, dresse un état des lieux sur le territoire. ©IJ

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la trentaine d’entrepreneurs et dirigeants présents au temps d’échanges organisé par La French Tech Saint-Nazaire – La Baule le 29 novembre dernier et animé par Pierre Minier et Cécile Oger, ont trouvé consensus. Sur un point crucial : les ESN (Entreprises de services numériques) peinent encore à attirer leurs talents et à les faire rester. Autre constat : il semble également difficile de pénétrer les grosses entreprises du bassin économique.

1,3 % de l’emploi privé

Thibault Chevalier, chargé de mission filière numérique à La Carene, a dressé un état des lieux chiffré de cette filière au sein de l’agglomération. Il en ressort notamment que l’emploi numérique dans des entreprises prestataires représente sur l’agglomération nazairienne 1,3 % de l’emploi privé (source Base Acoss 2021), soit 600 personnes, contre 9,6 % à Nantes (28 000 emplois). Dans des agglomérations proches, de taille similaire, les emplois numériques, toujours selon cette même étude, sont plus fortement représentés : 3,1 % de l’emploi privé à Vannes (1 400 emplois), 5,1 % à Vitré (1 400 emplois), et dans de plus petits territoires, 3 % à Redon (400 emplois), 2,2 % à Lorient (1 150 emplois). Force est d’admettre que « nous sommes ici une petite filière, avec beaucoup de TPE et d’indépendants, sur un marché à dimension locale, voire un peu régionale, confesse le chargé de mission qui compare : Nantes se situe clairement sur un marché national et nous concurrence énormément sur les profils juniors ». Ces derniers hésitent, selon Thibault Chevalier, à venir s’installer sur le littoral. La région nazairienne, bien qu’attractive par son côté balnéaire, renforcé par le slogan de sa voisine bauloise “travailler au pays des vacances”, peinerait donc à attirer la nouvelle génération.

« Je ne peux pas m’aligner »

En cause notamment, l’habitat, dont, à la fois la pénurie et la cherté, constituent un vrai souci pour se loger. De fait, les candidats de la région nantaise pouvant être tentés par une aventure en bord de mer ne se décident pas à franchir le cap. « Ils n’arrivent pas à trouver de logement à un tarif décent, et ils ne se voient pas faire la route tous les jours », analyse un entrepreneur présent, pour qui le « recrutement prend un temps de folie ». Une dirigeante à côté de lui acquiesce et rebondit sur la difficulté de fidéliser face à la concurrence de la région parisienne en matière de rémunération : « En un an, j’en ai déjà deux qui sont partis dans des entreprises de région parisienne pour 15 000 € de plus ; ici, je ne peux pas m’aligner », se désole la dirigeante, à la tête d’une entreprise d’une quarantaine de collaborateurs. Maintenant, soit ils partent en freelancing, soit ils négocient un salariat en full remote(1) : travailler avec le niveau de salaire de Paris, mais en restant vivre ici. »

Des métiers encore méconnus ?

Autre constat de la part du chargé de mission de La Carene : le manque de grandes entreprises du numérique implantées géographiquement. « Il n’existe pas véritablement d’ESN intermédiaires ou de grande taille ici », note Thibault Chevalier. De plus, la filière industrielle, qui domine toujours l’activité économique de la cité navale, est « imperméable à la filière numérique locale et les donneurs d’ordre contractent pour la plupart avec des prestataires du marché national ». Pour que ces prestataires, de petite ou moyenne taille, mais porteurs de compétences fortes en interne, soient reconnus par les gros acteurs du territoire, il apparaît nécessaire qu’ils soient mieux référencés. « La plupart des partenaires liés à l’emploi sur notre bassin économique ne connaissent encore rien aux métiers du numérique », fait remarquer de son côté une professionnelle du milieu. Par ailleurs, bien que plusieurs formations supérieures se soient tout récemment implantées, relocalisées ou étendues sur Saint-Nazaire (un frein repéré à l’implantation des jeunes) telles que Cesi, Beaux-arts, école d’infirmières, EPF, « nous ne disposons pas encore d’offre en formation supérieure publique dans le numérique », relève Thibault Chevalier, permettant de faire connaître la filière par le jeu des partenariats-écoles-entreprises.

Un Neopolia du numérique ?

Tous ces constats amènent les acteurs privés de la filière à se rassembler pour mener une réflexion commune. De celle-ci a découlé, entre autres, la création d’une cartographie, élaborée par la French Tech, recensant l’ensemble des acteurs directs et indirects de l’écosystème numérique de l’agglomération nazairienne et la presqu’île La Baule-Guérande, « Une sorte de Neopolia(2) du numérique » conceptualise un des dirigeants. C’est d’ailleurs ce qu’ont plébiscité les professionnels présents au moment de l’atelier collaboratif : la jouer « collectif » et « continuer les rencontres entreprises », mais également initier des « études autour des salaires dans les métiers du numérique ». Un mix qui pourrait donner des résultats, en le complétant avec les bonnes pratiques listées en amont, espèrent ces mêmes professionnels : un parcours d’intégration renforcé, un vrai projet de vie offert au salarié, de nouvelles approches de management, la mise en place d’actions de cooptation, le bouche-à-oreille et la recommandation, la priorisation du savoir-être. « Le collectif est une vraie valeur ajoutée », assure un dirigeant tandis qu’un autre loue les bénéfices des relations humaines, surtout au lancement d’une entreprise, et résume : « l’âme d’une boîte se construit aussi à la machine à café ».

 

1. Le fait pour un salarié de travailler où il veut, quand il veut, en ne passant que rarement ou pas du tout dans les bureaux de l’entreprise (quand ils existent).

2. Réseau régional dont la vocation est de fédérer et faire travailler ensemble les entreprises au service du développement de filières industrielles.

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