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Entretien : Gilles Sallé, président et fondateur d’AMP Visual TV : « Je vis des moments extraordinaires »

Curieux, audacieux, passionné d’images et de technique, Gilles Sallé est le fondateur d’AMP Visual TV. En 36 ans, lui et ses équipes ont fait de cette petite boîte vendéenne, fièrement ancrée aux Sables d’Olonne, le leader national des tournages audiovisuels. Un succès que l’on peut résumer en trois mots : innovation, diversification et proximité.

Gilles Sallé, AMP Visual TV

Gilles Sallé, président et fondateur d’AMP Visual TV © Benjamin Lachenal

D’où vous vient votre passion pour l’image et la technique ?

Je suis tombé dedans tout petit. Enfant, je passais mes jeudis après-midi à feuilleter les photos de vacances de mon grand-père, façonnant ainsi mon goût des voyages et de la composition photographique. Adolescent, je me suis aussi beaucoup nourri des retransmissions télévisées et des images tournées avec la caméra 16 mm de mon père. Ce n’est pas tant ce que je vois qui m’attire mais bel et bien la manière dont je peux le restituer et l’aspect technique. C’est donc naturellement qu’après mon bac, je suis monté à Paris suivre des études à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (Esra).

 

C’est en Vendée que vous avez fait le choix d’implanter et développer votre « petite » société de film d’entreprise. Pourquoi ?

À l’époque, je ne me retrouvais pas dans le microcosme parisien. C’était un milieu fermé, j’étais timide et j’avais beaucoup de mal à accéder aux gens qui faisaient de la télévision. Mais je suis aussi quelqu’un de pragmatique. Je me fixe toujours des objectifs accessibles, ce qui ne m’empêche pas de rêver grand et d’avoir des ambitions. Il était plus facile pour moi de commencer sur un terrain que je connaissais bien. J’ai grandi en Vendée et j’y suis très attaché. Ma famille d’origine parisienne est venue s’installer aux Sables d’Olonne à la fin des années 1950. C’est donc naturellement que j’y ai créé AMP en 1986. J’avais 21 ans. J’ai démarré avec 120 000 francs en poche, la moitié prêtée par mon grand-père, le reste par mes parents et la banque. J’ai investi dans une caméra et un banc de montage professionnels. Je tournais des films d’entreprise et, pour compléter, des films de mariage.

Ce que j’ai bâti depuis 36 ans, je le dois à la Vendée. Elle fût un formidable accélérateur de croissance grâce à son tissu économique dynamique. Le bouche à oreille y a merveilleusement bien fonctionné. Nous n’aurions pas eu le même développement à Paris ou dans une grande ville où nous aurions été fondus dans la masse. Au début, nous étions la petite boîte de Vendée. Nous étions un peu perçus comme des extra-terrestres, les Parisiens avaient du mal à nous situer sur la carte. Avec le Vendée Globe, le regard des gens sur la Vendée et sur notre entreprise a changé. Nous sommes soudainement devenus crédibles, légitimes. Quand la boîte a grandi, j’ai fait le choix de maintenir le siège social aux Sables d’Olonne. Je n’avais pas envie de rompre les racines avec ceux qui nous avaient fait confiance. C’est une façon pour moi de rendre à ce territoire ce qu’il m’a donné, à savoir des valeurs humaines fortes comme la solidarité, la fidélité, l’humilité ou la sincérité. La Vendée m’a aidé à garder les pieds sur terre. Alors pourquoi aller voir ailleurs quand on peut laisser le siège social ici ?

Je me fixe toujours des objectifs accessibles, ce qui ne m’empêche pas de rêver grand et d’avoir des ambitions.

D’une certaine façon, AMP doit aussi son destin à deux monstres de la télévision française : Georges Pernoud et Michel Drucker. Racontez-nous.

En 1984, j’ai réussi à décrocher un stage au Studio Gabriel où Michel Drucker présentait alors Champs Élysées. À l’époque, je m’interrogeais sur le fait de continuer ou non dans ce milieu. Avec Michel Drucker, j’ai rencontré quelqu’un d’extraordinaire qui m’a montré qu’il était possible de faire ce métier avec respect et humilité. Nous nous sommes plus ou moins perdus de vus ensuite, jusqu’en 2008 où il m’a rappelé. Il voulait moderniser son studio en haute définition et souhaitait confier la gestion technique à AMP Visual TV. Nous nous sommes associés en créant la société qui exploite le Studio Gabriel. Ce fût une sacrée référence pour nous.

Entretemps, en 1993, j’ai eu la chance de rencontrer Georges Pernoud. C’était à l’époque du second Vendée Globe. Il était en tournage aux Sables d’Olonne pour Thalassa et cherchait une salle de montage. Satisfait de la prestation de « cette petite boîte des Sables », il m’a conseillé de faire de la télévision. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

 

Quels sont les étapes clés de l’histoire d’AMP ?

La première décennie est celle des films d’entreprises, en Vendée. Au milieu des années 1990, AMP comptait dix salariés pour un chiffre d’affaires de 2 M€.

La deuxième décennie est celle de la télévision nationale. Ma stratégie ? Si les clients ne viennent pas à moi, c’est moi qui irai à eux. J’ai eu l’idée de mettre nos moyens techniques dans des véhicules afin d’aller là où les producteurs et chaînes de télévision avaient besoin de nous et de ne pas imposer à ces clients majoritairement parisiens de venir aux Sables. C’est ainsi que nous avons pu conserver le siège en Vendée et que l’histoire de l’activité vidéomobile avec nos cars régies a commencé. Le premier tournage était en 1993 pour le Tour de France à la Voile. Je transforme un Espace Renault en petite salle de montage itinérante. Trois ans, plus tard, j’investis l’équivalent d’un chiffre d’affaires annuel dans un « vrai » car régie. Parallèlement, en 1996, un coup de poker nous ouvre les portes de la première chaîne européenne. Pour TF1, nous retransmettons en direct le Sommet des chefs d’États de Charm El Cheik. Puis nous commençons à filmer les championnats de France de foot, les Grands prix de F1, et en 1998, les programmes de TF1 autour de la Coupe du monde. Au début des années 2000, nous créons le premier car régie HD en France.

La troisième décennie est celle de l’expansion. Tout va très vite avec une forte croissance interne, de nombreux rachats et l’association avec Michel Drucker. Nous abordons un nouveau métier, celui d’opérateur de studio. TF1 nous cède sa filiale « Studios 107 » et ses sept plateaux à La Seine-Saint-Denis. Notre chiffre d’affaires passe de 10 à 28 M€ ! En 2007, nous avons l’opportunité de racheter notre principal concurrent, Visual TV. Notre CA bondit à 60 M€… AMP devient AMP Visual TV. L’activité film d’entreprise se développe sous le nom d’AMP interactive. Paradoxalement, ce développement intervient dans un marché TV fortement concurrentiel. La pression sur les prix est insupportable pour bon nombre de prestataires et les faillites sont nombreuses. En l’espace de 20 ans, nous sommes passés de 20 prestataires premium privés à seulement nous. Notre stratégie de diversification et notre volume d’activité nous ont permis de sortir notre épingle du jeu.

 

AMP Visual TV

Gilles Sallé entouré de Georges Pernoud et de Michel Drucker, deux hommes qui ont marqué le parcours d’AMP Visual TV © AMP Visual TV

 

La quatrième décennie est celle de la consolidation. En 2017, nous rachetons l’activité studio d’Euromédia, notre principal concurrent. Nous investissons 10 M€ pour redresser l’entreprise et éviter que l’activité studio télévisé ne disparaisse en France. Parallèlement, nous rationalisons l’offre studio nouvellement consolidée de 43 à 26 plateaux. Enfin, en 2021, nous rachetons la branche vidéo mobile d’Euromédia en France et nous cédons AMP Interactive. Objectif : se concentrer sur l’activité télévision.

 

AMP Visual TV, c’est 520 collaborateurs, 20 000 heures de télévision par an et 10 000 programmes différents. Comment réussissez-vous à concilier cette croissance exceptionnelle avec une proximité avec vos clients ?

Je me suis fixé une règle : avoir des équipes à dimension humaine et proches de nos clients. J’ai donc organisé l’entreprise pour que les clients n’aient à faire qu’à un groupe d’interlocuteurs dédiés, généralement une dizaine de collaborateurs. Ainsi, notre taille n’est pas un handicap. C’est un facilitateur de projets : la proximité de l’artisan et la puissance de l’industrie. Ce principe de fonctionnement nous a permis de garder l’état d’esprit « de la petite boîte des Sables » des débuts tout en devenant leader national de la prestation de tournage télévisée, numéro trois européen et dans le top cinq ou six mondial.

 

Vous avez dit : « Je ne suis que l’ambassadeur, l’animateur d’une équipe. » Quel dirigeant êtes-vous ?

Je donne une impulsion, une direction. Mais je ne dirige pas seul. Les décisions sont prises en équipe, avec mes cinq autres directeurs généraux. Je pense être un dirigeant profondément humain. Ma priorité est que nos collaborateurs se sentent bien chez nous, soient fiers de leur entreprise. Je privilégie la pérennité de l’entreprise à l’intérêt à court terme d’actionnaires. J’essaie de construire un modèle social et économique équilibré.

 

Vous êtes précurseur dans de nombreux domaines : la HD, les liaisons HF numériques, les tournages 3D ou la 4K. Comment faites-vous pour maintenir un fort niveau d’innovation ?

Nos clients nous demandent d’avoir les meilleurs standards techniques. C’est pourquoi chaque année, nous réinvestissons environ 10 % du CA, soit 15 M€ cette année. Dans les années 2005-2015, l’arrivée du numérique et de la HD a été une rupture technologique forte. Nous sommes montés au-delà car il a fallu renouveler tous les outils. Aujourd’hui, la course à l’innovation glisse de la technique aux usages. L’Ultra HD (4K) est un écrin technique qui cohabitera avec la haute définition. Les enjeux techniques de demain concerneront la multiplicité des images pour les services connectés et les nouveaux modes de production.

Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie entre les écrans. ils sont complémentaires les uns des autres.

Justement, quel regard portez-vous sur cette mutation et comment AMP Visual TV s’y est adaptée ?

On a souvent opposé la télévision à internet ou à d’autres écrans comme le smartphone. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie entre les écrans. Ils sont complémentaires les uns des autres. La télévision se regarde aussi bien sur grand écran que sur smartphone, tout dépend du programme et du spectateur.

La télévision reste un média de masse et rassembleur. Non seulement, elle a su s’adapter à toutes les évolutions, mais elle s’est réinventée pendant le Covid. En témoignent des émissions comme « Tous en cuisine » avec Cyrille Lignac. La télévision est aujourd’hui un média connecté. Demain, vous pourrez même la piloter depuis votre smartphone. Elle est dans le quotidien des Français. Je ne suis guère inquiet sur les besoins à fabriquer des images, même si cela se fait différemment.

 

AMP Visual TV intervient pour des tournages dans une cinquantaine de pays dans le monde. L’international est-il un enjeu de développement ?

Même si nous réalisons 15 % de notre chiffre d’affaires à l’international, soit environ 22 M€, notre modèle économique est principalement basé sur le marché français. Nous le conjuguons avec des niches d’excellence à l’international en intervenant notamment sur des grands événements planétaires et les retransmissions sans fil, en HF, à l’exemple des sports mécaniques.

 

Quels sont vos prochains projets ?

Ils sont nombreux : finaliser l’intégration du rachat d’Euromédia France, mener à bien le programme d’investissement de 35 M€ sur trois ans. Nous allons aussi développer la production à distance. C’est ce que nous venons de faire pour Roland Garros. Nos caméras étaient Porte d’Auteuil mais toute la réalisation se faisait depuis notre média center de Paris. Il y a une vraie attente du marché sur cette technologie.

 

Vous êtes à la tête de la société depuis 36 ans. Comment envisagez-vous la suite ?

Je me poserai sérieusement la question aux 40 ans de l’entreprise (rires). Une certitude : j’ai fait le choix de finir ma carrière à AMP Visual TV. J’ai vécu et je vis des moments extraordinaires. Nous avons la confiance de clients prestigieux, la réputation de nos équipes n’est plus à faire…Le gamin de 21 ans que j’étais à la création n’aurait jamais osé rêver cela. Il y a tellement de choses à faire ces prochaines années, notamment dans le domaine sportif avec la Coupe du monde de rugby 2023, les Jeux Olympiques de Paris 2024, deux événements qui se déroulent en France. Je ne doute pas qu’AMP Visual TV y sera présente.

LES DIFFÉRENTS MÉTIERS d’AMP Visual TV

L’entreprise est divisée en cinq branches autour d’une même activité, la prestation de tournages télévisés :

  • Les tournages extérieurs premium (car régie) : 46 % du CA AMP Visual TV se consacre aux tournages de grande envergure sur-mesure.
  • La production simplifiée avec IXI LIVE : 7% du CA. C’est l’activité spécialisée dans la production simple, sans surcouts et autour d’outils « tout-en-un ».
  • L’activité « Studio » avec Studios de France : 32% du CA. Cette entité compte 25 plateaux de 120 à 2 090 m² en région parisienne.
  • Les transmissions sans fil (en HF) avec RF Factory : 7 % du Ce sont les motos que l’on voit sur les marathons ou les courses cyclistes. La spécialité : le sport mécanique avec les caméras embarquées dans les voitures. AMP Visual TV est l’un des principaux prestataires de sport mécanique au monde.
  • L’activité digitale et média center est rassemblée dans Letsee.

Elle représente 4% du CA. Elle gère les flux télévisuels vers internet ou les réseaux sociaux et vice versa.