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L’entretien : Franck Chadeau, président de Chadotel : « La confiance permet la délégation »

Franck Chadeau cultive le goût des autres et de leur bien-être. Grâce à cela, le président de Chadotel, groupe familial de 15 campings et résidences de loisirs, a résisté à la tempête Covid qui a touché de plein fouet le secteur du tourisme. Bénévole suractif et multicasquette, il est aussi investi presque sans limite pour le développement et la représentation des professionnels du tourisme en Vendée. Et sait s'entourer de collaborateurs efficaces en qui il a toute confiance.

Franck Chadeau, président de Chadotel

Franck Chadeau, président de Chadotel © Benjamin Lachenal

Quelles ont été les conséquences du Covid sur vos activités ? Comment se présente l’été 2022 ?

Nous avons pris une claque en 2020. Les campings représentent en effet tout ce qui était à proscrire : la proximité, la convivialité et l’échange. Les gens ont préféré les locations en famille. Et la fermeture des frontières nous a privé de notre clientèle étrangère qui représente jusqu’à 25 % de notre activité. Au camping de la Dune des Sables aux Sables d’Olonne, les touristes étrangers forment près de 70 % des habitués. Les campings n’ayant pu rouvrir que le 2 juin, l’avant-saison a été inexistante. Mais nous avons réalisé un très bel été et un beau mois de septembre, les Français ayant compensé pour partie l’absence des Anglais, des Belges, des Hollandais et autres clients du nord de l’Europe.

Au cumul, nous avons accusé une baisse de 11 % de chiffre d’affaires et de 16 % de la fréquentation de nos établissements. Mais cela aurait pu être pire s’il n’y avait pas eu les mesures de report d’échéances. En 2021, rebelote : ça a été la douche froide avec la prolongation des mesures sanitaires. Nous nous sommes adaptés pour rassurer les clients et assurer la réouverture en mai. Nous avons révisé nos conditions d’assurance permettant les annulations sans pénalité, agrandi les salles et distancé les tables pour respecter le protocole sanitaire… Résultat : la perte de chiffre d’affaires a été contenue à – 9 % par rapport à 2019 et la fréquentation à – 12 %. Pour 2022 en revanche, les réservations sont bonnes, notre clientèle étrangère est revenue. Les gens ont besoin de se détendre et de rire. Mais le Covid a aussi eu pour conséquence de doper la demande des campings en flotte locative. Les fabricants de mobil-homes sont débordés.

Chadotel va avoir 30 ans cette année. Quels sont les moments clés de cette saga familiale ?

Ancien forgeron devenu arbitre professionnel de foot pour des raisons de santé, mon père Allain a pris une gérance de camping du côté de Royan pour occuper ses étés. Puis acheté son premier camping en 1976 à la Tranche-sur-Mer. J’avais 14 ans. Je passais mes étés à la caisse de l’épicerie du camping avec ma grand-mère. J’ai ensuite passé un bac de sciences éco suivi d’une fac de langues interrompue par le service militaire. J’ai travaillé chez un tour operator avant de rejoindre l’entreprise familiale en 1999 pour aider mon père à en développer la partie commerciale. À cette époque, elle comptait trois campings en Vendée dont la Bolée d’air à Jard-sur-Mer construit en plein milieu d’un champ de maïs. J’ai développé les marchés étrangers où j’ai perçu les attentes en termes de qualité.

C’était le début des campings étoilés et la porte d’entrée du marché français pour la clientèle d’Europe du Nord. Nous avons tout de suite visé les quatre étoiles. Et acheté un camping tous les deux ans que nous mettions à ce standing avec l’aide des banques. À l’époque, il n’existait ni business angel ni réseau d’aide à l’entrepreneuriat ! Dans les années 1980, les premiers mobil-homes venant d’Angleterre ont permis de faire monter en gamme les campings et de prolonger la saison. Les premiers fabricants français, tous vendéens (IRM, Beneteau et Ridorev) se sont lancés à la fin des années 1980. Et les campings plus confortables ont connu un essor spectaculaire. Chadotel a été constituée en 1992 et j’en ai assumé la direction commerciale.

Dans quelles conditions avez-vous avez pris la succession de votre père ?

Nous avions quelques divergences de vue sur la gestion de l’entreprise. Alors en 2000, alors que nous allions lancer d’importants investissements, mon père m’a laissé les rênes sans préavis. J’avais 38 ans. Chadotel se composait de sept campings et d’une résidence de tourisme. Nous étions une trentaine de salariés permanents pour un chiffre d’affaires de 2 à 3 M€. Je n’ai pas eu de questions à me poser. Mais ça n’a pas été simple. À l’époque, il faut se souvenir qu’il n’y avait ni internet, ni téléphone portable, ni réseaux sociaux. Pour se faire connaître, c’était les salons, le bouche à oreille et les journaux locaux.

Les réservations se faisaient par fax et par téléphone. Et il y avait les juillettistes et les aoûtiens. Aujourd’hui, nous comptons 13 campings sur le littoral français dont 7 en Vendée, une centrale de réservation commune employant 6 salariés, un effectif de 85 permanents et de 600 contrats en saison. Et les campings sont ouverts d’avril à septembre.

Qu’est-ce qui vous a paru le plus ardu dans le fait de devenir entrepreneur ?

Les contraintes administratives au sens large. Pour augmenter les capacités d’accueil d’un camping ou changer de statut, il faut parfois jusqu’à cinq ans de procédures en tout genre. Je passe l’essentiel de mon temps sur les questions d’autorisations plutôt que dans l’opérationnel. L’autre difficulté, c’est la recherche des financements. L’important c’est d’être secondé par un bon expert-comptable pour monter des dossiers solides et acquérir la confiance des investisseurs. Il faut avoir beaucoup d’énergie et d’envie.

LA QUALITÉ D’UN CAMPING EST LA PORTE D’ENTRÉE DU MARCHÉ FRANÇAIS POUR LA CLIENTÈLE D’EUROPE DU NORD

Quelles sont les valeurs qui animent cette entreprise familiale ?

Nous avons toujours gardé cet esprit familial et nous le revendiquons jusqu’à le faire figurer en baseline de notre logo. En interne, cela se traduit par un cercle restreint de collaborateurs qui travaillent en famille à la direction des campings. Ils sont salariés. Mais nous les impliquons dans les prises de décision car ce sont eux les mieux placés pour proposer et valider les investissements du groupe. Nous préparons la saison avec eux en mars et la clôturons avec un séminaire d’incentive en octobre. C’est moi qui les recrute car j’ai besoin de les sentir, de valider leur motivation et leurs valeurs pour m’assurer que nous irons dans la même direction. J’ai besoin de travailler en confiance. Nos couples directeurs sont bien logés, sur place, ils bénéficient de formations pour le respect des protocoles internes et l’usage de notre plateforme informatique maison. Côté clients, nous cultivons une attention particulière au bien-être de chacun. Nous ne sommes pas des concierges. Nos équipes d’animation favorisent les rencontres entre les estivants. Nous veillons au confort de nos installations que nous entretenons et renouvelons régulièrement…

Chadotel

Chadotel compte 13 campings littoraux dont 7 en Vendée © Chadotel

Quel genre de manager êtes-vous ? Comment arrivez- vous à fédérer une quinzaine de sites et autant de couples autour de votre stratégie ?

Je prône la transparence. Les comptes, les décisions, les plannings, tout est transparent. Je ne tourne pas autour du pot. L’important, c’est le respect et la confiance. Il faut être à l’écoute. Quand un problème survient, je le règle aussitôt. Un problème partagé est plus vite résolu. Y compris s’il s’agit d’un problème de salaire. Aucune question n’est taboue. Quand je vais voir les directeurs dans les campings, je suis content d’échanger avec eux. Cela se passe dans la confiance et le plaisir. Si ce n’est pas le cas, je préfère arrêter notre collaboration.

Quelle est votre différence par rapport à vos confrères, pourquoi vient-on dans vos campings ?

J’ai toujours été précurseur et je suis à l’écoute des attentes des clients et de leurs envies. En 1992, c’était le début des toboggans aquatiques dans les piscines. Chadotel a été un des premiers à installer des structures dans ses campings. Et, pour marquer notre identité, nous avons opté pour des modèles rouge et jaune. Ajoutés aux mobil-homes, nous avons révolutionné le camping « à la papa » pour attirer une nouvelle clientèle étrangère. Aujourd’hui, la tendance est au chalet contemporain et aux couleurs permettant une plus grande intégration paysagère. Nous avons quelques éco-lodges en toile pour répondre à la demande des estivants. Mais le grand luxe c’est l’espace. Les touristes veulent des mobil-homes et des emplacements plus grands. Aussi, quand on reclasse nos campings, on essaie de supprimer quelques mobil-homes. On essaie aussi de privilégier visuellement les espaces verts en évitant les alignements. On a gardé dans tous nos campings des emplacements les pieds dans l’herbe pour les tentes et les caravanes.

Justement, quelle attention portez-vous à l’environnement ?

Nous avons porté de longue date notre effort sur le développement durable. Nous avons visé et obtenu la certification ISO 14001 mais c’est trop de contraintes administratives, tout comme le label Clé verte. Nous continuons nos efforts au quotidien sans le formalisme. On récupère les eaux de pluie pour l’arrosage et les toilettes, on n’a recours à aucun désherbant, on utilise des produits d’entretien bio et sans javel, on préserve l’eau et l’énergie avec des boutons poussoirs, des mousseurs et des détecteurs de présence. Nous avons essayé les poches d’eau sous les mobil-homes et l’eau chaude solaire. Mais ça n’a pas été concluant au regard des investissements nécessaires. Nous sommes vertueux par l’exemple et nous invitons nos clients à nous suivre en essayant de leur inculquer ce respect de l’environnement par des affiches didactiques.

Quels investissements sont nécessaires chaque année pour garder leur attrait à vos campings ?

Chaque année, nous réinvestissons 20 % du chiffre d’affaires dans l’entretien et l’amélioration de nos installations. Nous changeons nos locatifs tous les cinq à six ans au rythme d’une acquisition tous les sept à huit mois. Il faut compter entre 25 et 30000 € pour un mobil-home de quatre à six personnes avec terrasse. Le confort, c’est l’assurance de fidéliser nos clients. Certains couples s’y sont formés, d’autres ont conçu leurs enfants au camping… Mais notre attrait est surtout dû à la bienveillance vis-à-vis du client. Nous leur disons : « Venez avec votre famille dans notre famille et on essaiera de répondre à vos demandes…», dans la limite du raisonnable.

Nous investissons aussi sur le tourisme d’affaires. C’est un marché qui permet de prolonger la saison. Nous avons déjà investi dans deux salles de séminaires en Vendée. Une troisième est en préparation. Nous avons aussi quatre gîtes et une résidence ouverts toute l’année quand nos campings ferment d’octobre à mars.

Pour répondre à la demande de nos clients et se porter au niveau des clubs de vacances, nous allons renforcer l’animation de nos campings en proposant des activités dès le mois d’avril.

îtes de la Thibergère - Chadotel

Au cœur d’anciennes écuries, à Jard-sur-Mer où est situé son siège social, Chadotel dispose de quatre gîtes ouverts toute l’année et de deux salles de séminaire. © Chadotel

Vous avez annoncé une nouvelle opération de croissance externe cet hiver. Où en êtes-vous ?

L’opération était effectivement prévue fin 2021 mais elle a été repoussée à cause de la crise sanitaire. Mais l’objectif reste d’atteindre à la fin 2022 un chiffre d’affaires de 20 M€ avec cette acquisition. En 2021, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 16,5 M€.

L’IDÉE EST DE RESTER INDÉPENDANT AUSSI LONGTEMPS QUE NOUS SERONS EN CAPACITÉ DE LE FAIRE.

Vous êtes aussi président de la Fédération de Vendée de l’hôtellerie de plein air, de l’association Planet tourisme, de la commission tourisme à la CCI Vendée, et du Lions club : pourquoi ce cumul ?

Je fais aussi partie de l’APM Vendée ! Faire le don de soi pour trouver des solutions afin d’aider les autres fait partie de mon ADN. Tout cela est bénévole et le bénévolat me permet de partager mon expérience avec ceux qui en ont besoin.

Comment faites-vous pour tout gérer ?

Il faut aller à l’essentiel et savoir déléguer. Je suis bien entouré. Chez Chadotel, je délègue la partie technique à un directeur des opérations. À la CCI Vendée ou à la Fédération de l’hôtellerie de plein air, j’ai des collaborateurs très efficaces qui préparent les dossiers. On ne peut pas tout faire tout seul.

Qu’est-ce que Planet tourisme ?

C’est une association que j’ai contribué à créer il y a 12 ans. Elle regroupe tous les professionnels du tourisme sur le département : Umih, Bienvenue à la ferme, Vendée tourisme, Gîtes de France, les parcs de loisirs… Son objectif : écrire l’avenir de notre secteur plutôt que de le subir. À l’époque, il s’agissait de se réunir pour définir et défendre collectivement nos attentes face un comité du tourisme qui ne nous écoutait pas. Aujourd’hui, nous sommes la seule structure de ce type en France. Cela nous a permis d’apprendre à nous connaître et à nous fédérer. Ce groupe de prospective travaille sur des sujets d’intérêt collectif, comme la digitalisation de nos activités. Nous ne sommes plus des concurrents, on va tous dans le même sens.

Et demain, quels sont vos projets ? Chadotel restera-t-il indépendant ?

J’espère que mon fils Louis, aujourd’hui âgé de 22 ans, continuera l’histoire familiale. Il prépare un master de science éco en alternance à Angers. L’idée est de rester indépendant aussi longtemps que nous serons en capacité de le faire et de profiter de la vie et de moments simples et partagés. Il est vrai que nous sommes très sollicités par des fonds de pension. Mais mes valeurs et le respect des collaborateurs et des clients ne semblent pas compatibles avec leur modèle économique fondé sur la croissance.

CHADOTEL en chiffres

1976 : prise en gérance du 1er camping par Allain Chadeau

1992 : création de la société Chadotel à Jard-sur-Mer (Vendée)

2000 : Franck Chadeau succède à son père à la présidence

13 campings, de Pénestin (Morbihan) à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), dont 7 en Vendée

1 500 locatifs en mobil-homes

3 300 emplacements

4 gîtes

85 salariés permanents dont 20 au siège et 6 à la centrale de réservations

600 salariés en saison

16,5 M€ de chiffre d’affaires en 2021