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Entretien avec Fabrice Hégron de « En Direct des Eleveurs » : « Être là où on ne nous attend pas »

À Remouillé, la marque "En Direct des Eleveurs" produit, transforme et vend du lait et de la crème en Pays de la Loire et en Bretagne. Parmi les agriculteurs à l’origine de cette démarche, Fabrice Hégron revient avec nous sur l’histoire de cette aventure d’entrepreneuriat social qui pourrait être pitchée ainsi : comment réussir un projet un peu fou sans un sou en poche ?

Fabrice Hegron

Fabrice Hegron © Benjamin Lachenal

Vous fêtez les cinq ans d’un vrai pari ?

Tout le monde, que ce soit le milieu agricole ou de grands groupes, nous avait dit qu’au bout de deux ans on serait morts et on va avoir cinq ans.

Il y a cinq ans, on commençait les travaux, on lançait le premier coup de pelle pour construire la laiterie. On fêtera la sortie de nos premiers produits en septembre. Derrière la marque En direct des éleveurs, il y a dix exploitations et 24 éleveurs qui possèdent chacun en moyenne 40 vaches. L’année dernière, on a réalisé 7,5 M€ de CA en lait et crème car on n’a pas 50 produits… On traite à l’année une dizaine de millions de litres de lait. Et on peut encore doubler la production.

 

Comment résumer En direct des éleveurs ?

En 2010, avec d’autres agriculteurs on s’est posé une question : « Comment être encore agriculteurs en 2020 ? » Et notre réponse a été celle-ci : il fallait que l’on produise, transforme et vende nous-mêmes.

Fabrice Hegron

Le lait En direct des éleveurs est conditionné en poches souples © Benjamin Lachenal

 

Comment a débuté l’histoire ?

Je suis petit-fils et fils d’agriculteur, associé avec mon frère. En 2009, on a subi une grave crise laitière en France. Pendant quinze jours, on a jeté notre lait. À l’époque, je suis intervenu dans les réseaux politiques pour leur faire prendre conscience de la nécessité de changer le modèle agricole. J’ai arrêté fin 2010 parce que rien ne bougeait. On est dix ans plus tard, et ça n’a toujours pas changé… Entretemps, beaucoup d’agriculteurs ont arrêté et, chaque jour, il y a des suicides.

L’histoire a démarré, je m’en souviens très bien, un jour où il faisait très froid. J’ai fait 50 km pour aller à une réunion qui devait nous permettre de répondre à la question de notre avenir. On devait être cinquante éleveurs et on s’est retrouvés à cinq.

 

Le projet a-t-il été facile à mettre sur pied ?

Je suis de nature très optimiste et je pensais qu’on allait bâtir ce projet en six mois. Puis, je me suis rendu compte qu’on aurait besoin de 8,5 M€ et on n’avait pas un euro en poche… C’est pour cette raison que deux sur les cinq de départ ont abandonné.

Le projet est vraiment parti fin 2011. À l’époque, je n’étais pas ce que je suis aujourd’hui. Avec mes collègues, on est allé sur Internet et on a tapé : « Comment faire une usine de lait UHT ? » On a reçu des propositions de pays très lointains, qui nous expliquaient qu’il nous fallait une citerne pour la poudre de lait, une pour l’eau, une pour l’huile de palme, un mélangeur… Ce n’était pas du tout notre projet.

On a ensuite pris contact avec des fabricants et, le plus souvent, on n’a pas été pris au sérieux. Les devis qu’on recevait se chiffraient en millions d’euros. On a fait un business plan, mais à notre manière… À un moment donné, on s’est dit que ça n’allait pas suffire.

Fabrice Hegron

La laiterie traite une dizaine de millions de litres de lait par an et peut encore doubler sa production © Benjamin Lachenal

 

Qu’est-ce qui a changé la donne ?

Dans la vie, je pense qu’il n’y a jamais de chance, mais des opportunités. Et des rencontres. Sans les rencontres, on n’aurait rien fait ici.

J’ai eu la chance de rencontrer des entrepreneurs locaux qui ont trouvé l’idée géniale. Ils sont rentrés par hasard dans ma vie et sont devenus notre CRS, notre Comité restreint stratégique. Ils nous ont accompagnés et fait grandir sans jamais faire à notre place. C’est pour ça que ça a été long. On a appris. À présenter notre projet, à le défendre, à en parler en public…

Et puis, il y a eu un gros tournant fin 2014. On commençait à parler un peu plus de notre projet dans la presse, mais on n’avait toujours pas de banque qui nous suivait. Je connais, je pense, toutes les banques de la place française : elles m’ont toutes bien reçu, dit merci et au revoir ! Toutes, sauf une : le Crédit Mutuel.

En 2014, grâce à une rencontre improbable, j’ai aussi fait la connaissance d’une ONG, Ashoka 1. Tous les ans, elle choisit dans le monde des entrepreneurs sociaux qu…